fAUST – Blickwinkel

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fAUST – Blickwinkel
(Bureau B)

Après l’inédit perdu retrouvé et remasterisé Punkt  chez Bureau B en 2022, après la sortie de nouveaux morceaux en 2022 également (Daumenbruch) chez Erototox sous le nom de fAUST (avec un petit f), après les quatre albums intitulés Momentaufnahme I – IV (archives 1971-1974) parus en 2023 chez Bureau B à nouveau, précédemment parus à l’intérieur du coffret faust 1974 toujours chez Bureau B en édition très limitée en 2021, la main squelette toujours « krautrock » avec ses rythmes psychédéliques « motorik » et ses rajouts d’électroniques et de paysages sonores dub et hypnotiques continue de travailler d’arrache-pied en 2024.

Zappi Werner DIERMAIER (membre fondateur) a donc reconduit pratiquement à l’identique l’équipe de la formation de Daumenbruch sur Blinckwinkel (tous sauf Andrew UNRUH d’EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN), soit Dirk DRESSELHAUS (alias Schneider TM), Jochen ARBEIT d’EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN, Sonja KOSCHE, le guitariste allemand Uwe BASTIANSEN, Elke DRAPATZ de MONOBEAT et le membre fondateur de fAUST Gunther WÜSTHOFF.

Ces six morceaux de Blickwinkel (tout comme les trois morceaux de Daumenbruch) ont été enregistrés en live avec un squelette de batterie au studio Zone de Berlin et ont été envoyés tels quels à tous les musiciens, qui ont donc chacun de leur côté ajouté leurs « overdubs » sans savoir ce que les autres faisaient.

Cette option « démocratique » ou communautaire faustienne, voulue par tous, aboutit donc à un album curieux comme si en 2024 (cinquantenaire de Faust IV), le groupe avait voulu faire un hommage « à la fAUST » de sa carrière désormais complétée par ces inédits et raretés qui ressortent depuis la fin du confinement. Pourtant, cet album de 2024, ce Blickwinkel (qui veut dire « vu sous cet angle ») est bien au-delà d’une parodie ou un clin d’œil qui refuse et va même au-delà de toutes les catégorisations.

Blickwinkel est une entreprise profondément faustienne, un projet communautaire basé sur des idéaux démocratiques qui évite les influences extérieures pour créer quelque chose de totalement autonome. La mouture première de l’album a commencé avec Zappi DIERMAIER derrière sa batterie dans le home studio de son voisin Dirk DRESSELHAUS à la basse, aux côtés des effets électroniques de batterie d’Elke DRAPATZ.

Le trio s’est lancé dans une séance d’impros qui a donné naissance, au terme de cette période de 2 heures à 53 minutes et à 6 morceaux d’une durée moyenne de 8 minutes, comme un succédané analogue audio de la vitesse de la vie après le confinement. Ces créations plutôt complexes, et loin d’être de simples impros, ont été mixées par Dirk DRESSELHAUS lors d’une troisième heure, puis envoyées à un casting varié de collaborateurs, selon la méthode indiquée plus haut.

Ces contributions sont venues via un mélange multidisciplinaire d’approches et d’instruments, dont le Spieluhr de Gunther WÜSTHOFF (un séquenceur boîte à musique qu’il a construit pour son synthétiseur ARP au début des années 1970), la guitare, le kalimba et l’harmonium de Jochen ARBEIT (le tout relié à une unité d’effets) et l’utilisation par Sonja KOSCHE d’une harpe fabriquée à partir des fils d’un lit et d’un ventilateur. Ce qui fait que bourdons, retards, cliquetis et bruits provenaient de partout à l’intérieur et hors du studio.

En fait, seul Uwe BASTIANSEN (STADFISCH) a ajouté des mélodies, apportant un soutien à distance aux séquences de basse de Dirk DRESSELHAUS et canalisant la magie initiale. Malgré leurs pratiques et processus différents, ces musiciens ont tous une longue histoire ensemble, et leur libre association a produit des résultats inattendus qui ont été adoptés par Zappi DIERMAIER et Dirk DRESSELHAUS lorsqu’il s’est agi de réassembler le tout.

Rejetant le pouvoir de veto comme le comble « des conneries néolibérales » (dixit DIERMAIER), les trois complices de studio ont choisi de conserver plus ou moins tous les « overdubs » de l’album, exploitant la table de mixage comme dernier instrument pour fusionner et canaliser tous ces éléments.

Le résultat est une sorte de métamorphe très abouti, parfois psychédélique parfois convivial, puis industriel, ambiant, étrange ou motorik, mais refusant toujours toute catégorisation facile. Les définitions stylistiques sont constamment bouleversées par des assemblages inattendus : des cordes baroques, des cuivres, un peu de pannes sonores impromptues (ou pas), chacune de ces opportunités offrant une nouvelle combinaison sur le thème abordé par les morceaux.

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Shlaghammer et Künstliche Intelligence (tous deux au-delà de 9 minutes) démarrent superbement l’album et varient entre le calme (l’accalmie) et des envolées et mélodies au synthé qui semblent être un contrepoint à cette drôle d’armée disloquée qui avance un peu cahin-caha sous le feu quoi qu’il arrive. Sunny Night poursuit cette impression de calme mais avec un fond ambiant sourd, métallique, dissonant qui se dissout et s’évapore au bout de l’essoufflement (9 minutes) et convoque le motorik allié au planant. Les deux derniers morceaux amenant la conclusion (Kratie sur plus de 13 minutes) d’un aboutissement implacable et vérifiant le fait que tout cet album s’est fait autour de la batterie en mode effréné, impeccable, discordant mais maîtrisé et presque imparable.

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Avec cette nième version du groupe (qui tient tout de même depuis trois albums, Punkt compris) et sa discographie immense (ses live ne se comptent plus), fAUST continue de rendre hommage à cette musique des années 1970 et reste l’unique et digne survivant des groupes allemands hors normes de cette période un peu borderline-bordélique qualifiée par Eric DESHAYES (dans son ouvrage chez le Mot et le Reste en 2007) d’Au-Delà du Rock.

Xavier Béal

Page : https://faust.bandcamp.com/album/blickwinkel-curated-by-zappi-diermaier

Label : https://www.bureau-b.com/releases.php

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