Festival Interceltique de Lorient 2023 – Seconde Partie : Entretien avec Jean-Philippe MAURAS

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Festival Interceltique de Lorient 2023 – Seconde Partie :

Entretien avec Jean-Philippe MAURAS

Le Festival Interceltique de Lorient (FIL) avait célébré dans un contexte particulier de restriction sanitaire son cinquantième anniversaire en 2021. L’édition suivante annonçait donc le démarrage d’un nouveau cycle devant aboutir aux cent ans de la manifestation. Ce cycle s’engageait sous l’égide d’un nouveau Directeur artistique, Jean-Philippe MAURAS. Ce dernier, après s’être longuement exprimé avec nous sur l’édition 2022, a de nouveau bien voulu nous dévoiler divers aspects de l’organisation du 52e Festival Interceltique de Lorient (soit l’édition 2023), en évoquer les coulisses, et se projeter dans « l’après ».

Cette année, c’est ta deuxième édition en tant que Directeur artistique. La pression est la même que l’an dernier ou tu es plus rassuré ?

Jean-Philippe MAURAS : Je ne sais pas si on peut dire plus rassuré ! En tout cas, la pression est toujours là puisque ça reste une énorme organisation. Il y a déjà quelques repères. On sait les choses qui ont pu fonctionner l’an passé, donc c’est un peu plus facile. Il y a un peu plus de facilité de mon côté et aussi du côté des équipes. Cela permet justement d’aller encore plus loin et d’essayer de proposer le meilleur festival possible.

C’est aussi la première édition sans l’ombre du Covid depuis 2019 !

JPM : C’est vrai que l’on n’a pas du tout de restrictions cette année, pas de masques, pas de gel hydro alcoolique obligatoire. Il n’y a pas du tout cette pression-là.

Il y en aura quand même sur les différents sites parce que le public a pris l’habitude d’avoir des gels hydroalcoolique un peu partout, ce qui est très bien, au delà de la Covid, par rapport à d’autres virus ou à d’autres microbes.

As-tu procédé à des réaménagements sur certains sites ?

JPM : J’appelle souvent 2022, l’an 1 du nouveau cinquantenaire. Cela avait été l’occasion de tester de nouvelles choses. On en a gardé principalement une qui est le Kleub, cette scène de musique actuelle celtique, qui est sur la place de l’Hôtel de Ville. On affine ce lieu qui a remporté énormément de succès dès la première année.

Du coup, on a travaillé sur un autre secteur du Festival qui est la Place des Pays celtes. C’est une grosse réflexion autour des pavillons des différentes nations qui sont présents depuis de nombreuses années pour pouvoir travailler sur une place avec une grande scène commune et avec les pavillons tout autour de la place.

L’idée est que de 11 h le matin à 2 ou 3 h du matin, il y ait une animation constante sur cette place située derrière le palais des Congrès, place Glotin. On est au cœur du Festival, dans le cœur Interceltique, c’est le cœur qui bat. Quelle que soit l’heure, il y aura toujours quelque chose.

J’aime aussi cette notion de mélange et de partage, qu’un groupe galicien cède la place à un groupe irlandais qui cédera la place à un groupe mannois et ainsi de suite. L’idée est que pour un festivalier, un visiteur qui arrive sur Lorient, peu importe l’heure, il se passe toujours quelque chose sur cette place. Il y aura toujours de la musique, et puis c’est aussi une occasion de découvrir des spécialités de chaque nation. On crée un très grand bar interceltique avec notamment, pour ceux qui aiment, des bières pression de chaque nation. L’idée est de mettre en image cet Interceltisme qui nous tient à cœur !

À consommer toutefois avec modération (rires) !

JPM : Bien entendu, mais il y a des bières sans alcool (rires) !

Tu nous en parlais, le Kleub est conforté ?

JPM : On va même augmenter un peu la jauge, on a travaillé pour recevoir encore plus de monde d’une meilleure manière. On garde la même formule, deux artistes ou groupes chaque soir avec un DJ set pour terminer.

L’an dernier, l’Amphi avait remplacé l’Espace Marine. Cette année, cela change à nouveau.

JPM : Cette année, ça devient l’Espace Jean-Pierre PICHARD. On a remis un toit. Paradoxalement, pas à cause de la pluie mais l’an passé, le soleil nous a causé pas mal de soucis. Il nous a même obligé à annuler quelques spectacles de l’après-midi parce que l’on était en plein cagnard. On s’est aperçu que le toit ne servait pas simplement qu’à protéger de la pluie mais aussi à protéger du soleil et à faire de l’ombre.

Le Festival démarre par un colloque intitulé « Bretagne … Celtique ! ».

JPM : C’est un travail en étroite collaboration et porté par l’Institut Culturelle de Bretagne. Elle s’investit énormément sur le Festival. Le thème du colloque fait écho à une exposition qu’il y a eu en 2022 aux Champs libres à Rennes qui était « Bretagne … Celtique ? ». Celtique ou pas celtique ? Il y eu beaucoup de polémiques là-dessus. Il y avait peut-être une tendance à démontrer que la Bretagne n’était pas celtique. Donc, l’idée était de faire un colloque de réflexion avec différents intervenants pour reposer la question que la Bretagne est vraisemblablement … celtique !

Pour cette édition, l’Irlande est à l’honneur. Une année de l’Irlande, c’est la garantie d’une belle fréquentation, ça parle aux gens !

JPM : C’est certainement, avec la Bretagne et l’Écosse, la nation pour laquelle les gens imaginent le plus des symboles celtiques. Il y a beaucoup de choses qui symbolisent l’Irlande.

On a d’ailleurs joué sur le travail du visuel cette année sur tous ces symboles qui sont liés à l’Irlande. Déjà, c’est un pays ! On réunit culturellement la République d’Irlande et l’Irlande du Nord.

Cela a été un vrai plaisir de travailler à la programmation de cette édition, de pouvoir mettre des concerts très importants de groupes et artistes irlandais chaque jour avec différentes esthétiques. C’était tellement riche que j’ai du faire des choix. J’aurais même pu faire deux programmations. On aurait pu faire vingt jours et vingt nuits tellement il y avait de choses à programmer.

L’Irlande n’a pas toujours joué le jeu, mais cette année il y a vraiment une programmation riche et dense.

JPM : Oui, et en essayant de travailler avec des jeunes pousses irlandaises et des groupes que j’espère on reverra dans cinq, dix ou vingt ans sur le Festival. Je pense notamment à CUIG, à GALVIAN WAYS. On fait appel aussi à quelques légendes, et je suis très fier qu’on puisse accueillir Frankie GAVIN mais encore USHERS ISLAND avec Andy IRVINE et Donal LUNNY. Tous ces artistes correspondent à DE DANANN, BOTHY BAND, PLANXTY.

Je suis très heureux de faire aussi le grand écart avec CLANNAD. Ils font leur ultime concert en France à Lorient pour leur tournée d’adieu et j’en suis très flatté. CLANNAD, c’est cinquante ans, c’est quasiment l’histoire du Festival. On passe aussi par ALTAN avec l’ORCHESTRE NATIONAL DE BRETAGNE et l’hommage que l’on fait à Paddy MOLONEY avec THE FRIEL SISTERS.

Tu viens d’évoquer l’hommage à Paddy MOLONEY donc aux CHIEFTAINS. L’ombre de Yann-Faňch KEMENER va aussi planer sur le Festival avec les groupes BARZAZ et DIÈSE 3.

JPM : BARZAZ a décidé de refaire une série de concerts en demandant à Youenn LANGE s’il acceptait de succéder à Yann-Faňch KEMENER sur le même répertoire et les mêmes arrangements. Il était évident que le FIL ne pouvait qu’ouvrir la porte à ce projet.

DIÈSE 3, c’est un projet que, dans une autre vie avant de prendre la direction du FIL, j’ai accompagné. Antoine LAHAY, Pierre DROUAL et Étienne CABARET étaient de jeunes musiciens à l’époque, il y a une dizaine d’années. Ils avaient fait une résidence et un travail en commun entre leur musique et le chant de Yann-Faňch. C’était une musique bretonne un peu expérimentale qui avait donné lieu à un enregistrement qui n’était pas sorti et qu’ils ont tout compte fait sorti récemment. (NDLR : cf. notre chronique) À cette occasion, ils refont une série de concerts aussi et pour remplacer Yann-Faňch KEMENER, c’est la grande Annie EBREL qui a accepté le challenge et qui fait donc quelques dates avec DIÈSE 3.

Ce sera donc une re-création !

JPM : Une re-création pour le plus grand plaisir de tout le monde !

Qui dit Festival Interceltique dit création et cette année ce sont les quarante ans du Bagad SONERIEN AN ORIANT avec une création qui s’appelle Porzhiou.

JPM : Bagad de Lorient, Festival de Lorient, c’était incontournable pour les quarante ans de ce bagad qui accompagne vraiment, depuis sa création et pendant les dix jours, ce festival.

Porzhiou, c’est la création pour son quarantième anniversaire qui est géré par Elias LE BOT qui est un jeune musicien très talentueux. Ce titre fait référence à Lorient. On l’appelle souvent la ville au cinq ports. Cette création sera rejouée vraisemblablement cet hiver dans d’autres endroits sur le pays de Lorient.

Il y aussi des ouvertures vers d’autres musiques avec des artistes que le FIL connaît bien, comme Suzanne VEGA ou I MUVRINI.

JPM : L’ouverture a toujours fait partie de la programmation du FIL. Je reste toujours sur le phénomène que nous ne sommes pas une culture fermée. C’est bien l’ouverture aux autres qui nous enrichit et qui permet justement de véhiculer et transmettre notre culture.

Avec Suzanne VEGA, on est dans la veine folk. Elle est new-yorkaise, d’origine irlandaise. C’est une artiste que j’ai eu l’occasion de voir à plusieurs reprises et c’est vraiment une artiste à découvrir sur scène. Il se passe quelque chose entre le public et elle. C’est un grand honneur pour moi de la recevoir à nouveau.

I MUVRINI est passé d’une manière récurrente au cours des trente dernières années. Ce sont nos cousins corses. À une époque où on devait un peu plus lutter pour notre reconnaissance territoriale ou culturelle, ils ont fait partie des groupes majeurs qui ont contribué à vulgariser de la bonne manière la culture corse et à répandre la parole que ces cultures dites minoritaires pouvaient quand même s’ouvrir au monde et qu’on n’avait pas à les enfermer. I MUVRINI est très heureux de revenir sur Lorient.

Un concert qui est plus étonnant, c’est celui de Hubert-Félix THIEFAINE !

JPM : C’est le « pas sur le côté » que j’aime bien faire en tant que programmateur, en tant que directeur artistique ! L’année dernière, j’avais ouvert ce « pas sur le côté » avec Gaëtan ROUSSEL puisque qu’il n’est ni Breton, ni issu d’un pays celte. En revanche, c’est un vrai musicien, quelqu’un qui est très curieux, très à l’écoute d’échanges, de passerelles. Cela a été une très belle soirée.

La démarche est la même avec Hubert-Félix. C’est vraiment un artiste de scène, auteur, compositeur. Je trouvais que c’était bien qu’on puisse l’accueillir sur le FIL. Il est très heureux aussi pour la première fois dans sa longue carrière de s’arrêter sur ce festival qu’il connaissait et où il disait qu’il ne serait jamais programmé. Si, c’était possible ! On reste un festival basé sur le pays de Lorient et c’est aussi une occasion pour des gens, qui peut-être aiment un tout petit moins la musique celtique, d’avoir un concert qui sera plus rock ou plus ouvert sur un style de musique différent.

C’est ce petit pas sur le côté qui montre cette ouverture aux autres.

L’an dernier, tu nous avais parlé d’une création à laquelle tu tenais particulièrement, Celtic Odyssée. Le spectacle sera rejoué cette année et en plus sur la plus grande scène.

JPM : Cela a été une des créations du Festival 2022. On l’avait programmé deux fois au Théâtre et on avait joué deux fois à guichets fermés.

Je souhaitais vraiment ce voyage musical entre les musiques des huit nations celtes européennes. L’idée était de confier la barre de ce bateau qui navigue, qui fait cette odyssée à un artiste. J’avais demandé à Ronan LE BARS d’être à la direction artistique de ce spectacle. Il a pu réunir des grands noms de différentes nations, je pense notamment à Karen MATHESON pour l’Écosse, à Denez PRIGENT pour la Bretagne. Ce voyage a été un vrai bonheur.

Cette année, on fait le voyage numéro deux, toujours avec Ronan LE BARS, avec les mêmes musiciens autour de lui mais avec une distribution différente pour représenter les pays. On va à nouveau voyager, sur un autre répertoire, mais toujours en passant par les Asturies, la Galice, la Bretagne, les Cornouailles, le Pays de Galles, l’Ile de Man, l’Écosse et pour finir l’Irlande, puisque l’Irlande est à l’honneur cette année. On est très flatté et très heureux que la chanteuse d’ALTAN, Mairéad NI MHAONAIGH, ait accepté de participer à cette création et elle en sera la voix irlandaise.

Celtic Odyssée est programmée cette année à l’Espace Jean-Pierre PICHARD pour permettre à un plus grand nombre de personnes de venir.

Un enregistrement est-il prévu ?

JPM : Je ne peux pas en dire trop ! Si ce n’est pas un enregistrement, on pense très sérieusement à une diffusion télévisée pour une diffusion un peu plus large.

Ce que j’aime sur un festival, ce sont les moments uniques, c’est-à-dire que ce que l’on crée, on va le jouer là. À la rigueur, ce sera joué une ou deux autres fois.

La première mouture, on l’a jouée au Celtic Connections à Glasgow en janvier dernier avec la même distribution qu’en 2022. Cela a été un vrai plaisir pour tout le monde de se retrouver.

Cette année, j’espère bien qu’on aura des opportunités. On a des demandes auprès d’Oviedo, auprès de Belfast, Glasgow serait à nouveau intéressée, mais au-delà de ces représentations, il n’y aura pas de suite.

Donc, ça reste des moments uniques où, comme on dit, on y était ! Ce ne sont pas des spectacles qui sont rodés et qui tournent cent fois. Il y a toujours une émotion, cet instant de la première fois qui est assez fantastique en musique.

En 2022, il y avait eu le dernier soir, pour le final, un spectacle qui s’appelait Lorient chante. C’est un spectacle qui est voué à être pérennisé ?

JPM : Oui, on pérennise ! Je vais employer une expression de jeunes : « C’est trop bien ! » (rires). Le groupe qui a été le plus programmé sur les cinquante-et-une dernières années, c’est la formation de chants de marins DJIBOUDJEP, autour de Mikaël YAOUANK.

Il clôturait le Festival et c’était l’occasion d’interpréter tous ces chants de marins, dont beaucoup étaient composés par Michel TONNERRE.

Lorient est une ville maritime où les gens chantent. Il y a des chansons qui sont très liées au pays de Lorient et les gens les connaissent. Le dernier Dimanche, après dix jours et dix nuits de fête, la plupart des délégations étrangères repartent et le soir, on rend la ville aux lorientais. On fait en sorte que les dernières notes de musique soient sur ces chants de Lorient. C’est pour cela qu’on a appelé cette soirée Lorient chante. On avait initié ça l’année dernière et le maître d’œuvre, le Monsieur Loyal, c’est Guillaume YAOUANK, le neveu de Mikaël, qui a accepté cette carte blanche avec plein d’invités.

J’ai souvenir en 2022 de ces milliers de spectateurs qui étaient là bras dessus, bras dessous, à chanter Mon p’tit garçon. C’est un beau feu d’artifice en chansons, très émouvant, pour clôturer un festival qui est très dense.

Les Coulisses du FIL

On a parlé du colloque « Bretagne … Celtique ! ». Qu’évoque pour toi cette notion d’Interceltisme ?

JPM : L’Interceltisme est un concept assez particulier puisqu’on ne trouve même pas le mot dans le dictionnaire. On dit souvent qu’il n’y a pas d’histoire de l’Interceltisme. Il y en a une, puisque on voit déjà, dès le XIXe siècle et au cours du XXe siècle, plusieurs manifestations dès les années 1920-1930 qui prônent ce mouvement de pan-celtisme, des rencontres entre ces différents peuples qui gardent une culture et une langue par rapport à des origines communes.

Je pense notamment au rapprochement entre la Bretagne et le Pays de Galles qui s’est fait très tôt. Il y avait déjà des intellectuels qui se partageaient des choses. On s’est aperçu qu’on avait les mêmes racines.

En Bretagne et hors-Bretagne, on a à différents moments des rendez-vous inter-celtiques. Le premier festival à porter ce nom, c’est celui de Lorient, mais pas dès 1971 puisque juste avant c’est d’abord la Fête des cornemuses.

On est sur la cinquante-deuxième édition. Ce n’est pas rien, c’est deux générations. Cela fait donc deux générations que l’Interceltisme existe.

C’est pour moi une notion de rencontres entre les peuples, afin de pouvoir partager, de pouvoir communier ensemble, de trouver des transversalités au niveau de notre culture, au niveau de la musique, au niveau de la danse, des langues, de la gastronomie. On parle souvent des huit nations celtes d’Europe. On a un point commun. On parle de l’Arc Atlantique. On a pour toutes ces nations l’océan en commun. Certains disent qu’on est au bout de l’Europe, je dirais comme en breton qu’on est au commencement, au début de l’Europe.

Tout ce qui a pu se créer au cours de ces cinquante dernières années avec Lorient, avec les hommes et les femmes qui ont construit et qui ont forgé ce festival, fait que l’Interceltisme a déjà une histoire et il existe ! Je ne désespère donc pas qu’un jour on trouve le mot Interceltique dans le dictionnaire.

On peut s’en rendre compte par la densité de sa programmation ou par le nombre de sites qu’il occupe, le Festival Interceltique est une grosse machine. Le siège est situé au sein du Stade du Moustoir à Lorient. Cela représente combien de personnes à l’année ?

JPM : D’abord, le Festival a une structure associative. C’est une association loi 1901. Les membres de cette association sont les bénévoles qui œuvrent sur le Festival. Il faut avoir une à deux années de bénévolat pour faire partie de l’association. Cela correspond déjà à plus d’un bon millier de membres. Cette année, on a à un peu plus de 1600 bénévoles.

Cette association qui met en place ce Festival fait de plus en plus appel à des professionnels car il a pris de l’ampleur. Aujourd’hui, on est 14 permanents à l’année, mais sur le Festival on est un peu plus de 800.

Il y a 1600 bénévoles d’un côté, un peu plus de 800 salariés saisonniers de l’autre, donc pour faire fonctionner le Festival Interceltique, c’est 2400 personnes. C’est une structure, une entreprise de 2400 personnes pendant dix jours pour œuvrer à faire de ce Festival ce qu’il est.

Cela génère en plus une économie et une image très importantes pour la ville.

JPM : Il y a une étude qui avait été faite, en 2018 je crois, commandée par différentes structures économiques qui montrait que pour un euro dépensé sur le Festival, il y en avait quatre qui retombaient sur le territoire. À l’époque, cela correspondant pour un budget de 6 millions, à 24 millions d’euros de retombées économiques sur le pays de Lorient. Ce n’est pas rien. Cette année, on est sur un budget de 7 millions, donc on peut imaginer qu’on soit sur des retombées économiques entre 28 et 30 millions d’euros pour le territoire.

L’Irlande est à l’honneur cette année. Y-a-t-il un ordre de passage préétabli pour chaque nation ?

JPM : Il y a un pays à l’honneur depuis les années 1990, ce n’est pas depuis l’origine. Cela peut souvent être une demande d’un pays. L’Irlande avait été à l’honneur en 2014 et deux fois au préalable donc c’est la quatrième fois. Les pays tournent. Il peut y avoir des ouvertures comme vers l’Australie ou l’Acadie. Il y a aussi eu une année des Diasporas celtiques.

Le thème principal du Festival reste l’Interceltisme, mais c’est bien de faire un focus sur pays ou sur quelque chose qui peut être transversale à différentes nations.

Quand on travaille avec un pays, il nous faut entre un an et demi à deux ans minimum. Ce n’est pas simplement un thème que l’on choisit. On travaille réellement avec le pays. Cette année, on a travaillé énormément avec Paris et Dublin et avec l’ambassade d’Irlande en France pour pouvoir monter ce Festival et faire en sorte aussi que le pays à l’honneur se sente effectivement mis en avant.

On parlait juste avant des retombées du FIL. Le fait d’être mis à l’honneur à des retombées pour un pays ?

JPM : C’est une vitrine assez exceptionnelle. Beaucoup de pays vont faire en sorte de participer à des salons de tourisme, etc. Lorient n’est pas un salon de tourisme, mais on reçoit 900 000 visiteurs pendant dix jours. C’est une vitrine pour ces pays et c’est aussi une manière d’inciter les visiteurs à y aller.

Il y a des candidats qui frappent à la porte ?

JPM : On a quelques demandes jusqu’en 2029. Il y a des fois des années qui sont des années anniversaires, où il y a des nations qui souhaiteraient un focus. Plus tôt on peut commencer cette notion de focus et mieux c’est pour nous au niveau de l’organisation.

Des nations pourraient aussi rejoindre la famille Interceltique ?

JPM : C’est toujours délicat ! On a huit nations sur le drapeau interceltique, ce sont les huit nations d’Europe. Je parle souvent de la diaspora celtique qui est très importante dans laquelle on va retrouver l’Acadie, mais on pourrait retrouver la Louisiane et tout le Canada, une grosse partie des États-Unis et également l’Argentine, le Brésil, la Nouvelle Zélande, l’Australie. Tous ces territoires ont été irrigués de migrations, de colonisations des fois, et ont fait en sorte que cette culture s’y développe. J’aime bien parler de la diaspora celtique au niveau mondial, c’est un thème qui me plaît. On trouve des Bretons dans tous les pays du monde, on trouve des Celtes dans tous les pays du monde. Je trouve intéressant de voir comment ces cultures qui sont vraiment ancrées ont pu s’exporter et ce qui en a été fait. J’ai parlé il y a quelques temps avec une association du Chili, au même titre que, déjà sur Lorient, il y a eu des pipe-bands japonais et palestinien. Le champ des possibles est important.

Mais je ne pense pas qu’au-delà de l’Australie ou de l’Acadie qui sont liées à Lorient, on ouvrira à d’autres pays en particulier. Les bases restent vraiment les huit nations d’Europe.

Inversement, des pays européens qui ont aussi connu la culture celtique comme la Suisse ou la Belgique pourraient trouver leur place au festival ?

JPM : En tout cas, on a beaucoup de festivaliers qui viennent de ces pays-là ! Les musiques celtiques plaisent énormément dans tous les pays. Je pense à l’Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark, à l’Italie du nord, à l’Autriche. Beaucoup de groupes celtiques, même de Bretagne, font des tournées assez importantes dans ces pays-là. C’est une réalité. Il y a aussi des festivals intéressants.

Après, culturellement, on revient vraiment aux origines de la civilisation celte. Aujourd’hui, c’est juste une esthétique qu’ils apprécient.

La préparation d’une édition démarre sitôt la précédente terminée ou en amont tout est déjà en route ?

JPM : Tout est déjà en route. J’ai commencé à travailler sur l’édition 2024 depuis mars 2023 donc elle est déjà bien entamée au niveau de la préparation, au niveau de la programmation. On va faire le bilan de l’édition 2023 et peut-être procéder à quelques changements. Tout est perfectible.

Dès la fin du Festival, on est rincés (rires) ! On part assez vite se reposer pour revenir début septembre pour attaquer tout de suite sur 2024.

Parallèlement, toutes les équipes techniques continuent à travailler au démontage, toutes les équipes administratives et financières vont travailler tout le mois d’août et septembre pour verser les salaires et régler les factures. C’est assez colossal ! Eux vont rester sur 2023 pendant plusieurs semaines tandis que sur la partie artistique, nous serons déjà sur 2024 pour pouvoir affiner les choses. Il y a toujours un tuilage entre les équipes.

On annoncera les premiers noms et le schéma de l’édition 2024 dès le mois de décembre.

Sans les dévoiler, pour 2025, tu as déjà des pistes ?

JPM : J’ai déjà des pistes sur des thématiques ou sur un pays à l’honneur mais on en reparlera (rires) !

L’Acadie nous avait habitués à une présence forte depuis 2004 et elle se fait plus discrète depuis 2019. Même si tu n’es là que depuis 2023, tu sais ce qu’il se passe avec l’Acadie ?

JPM : J’étais en Acadie début mai. Je suis allé à l’ECMA, l’East Cost Music Awards, qui est un rendez-vous pour les professionnels sur toute la musique de la Côte Est États-Unis/Canada. Cela m’a permis de rencontrer des Acadiens qui m’ont dit qu’ils avaient de supers souvenirs de Lorient et qu’ils espéraient bien revenir.

La pandémie et les notions de transports en avion sont passées par là. Il y a des raisons budgétaires. La présence d’une nation est liée à ce qu’elle donne à la délégation pour pouvoir se déplacer. Politiquement, ce sont des choses qui ont changé. On invite toujours du monde de l’Acadie. On compte pouvoir à nouveau recréer un pavillon. Il y a beaucoup de choses qui sont sur le feu.

Il y a en tout cas une vraie envie de leur côté et du notre. Après, il faut trouver les moyens financiers qui sont de plus en plus difficiles aujourd’hui pour envoyer toute une délégation pendant dix jours de l’autre côté de l’Atlantique. Peut-être une année de l’Acadie d’ici les cinq à dix ans !

Il y a aussi une vraie attente du public pour le Pavillon de l’Acadie.

JPM : Ils ont réussi pendant quelques années à faire de leur pavillon une vraie plaque tournante avec toute cette spontanéité et cette bonne humeur qu’on aime tant. Ils ont aussi des groupes assez extraordinaires. Ce n’est pas une non-volonté du Festival de les recevoir, mais plus une volonté de leur gouvernement d’avoir les moyens de pouvoir venir sur Lorient.

La programmation du FIL est conçue de quelle manière ? Ce sont des propositions qui te sont faites ? Tu suis l’actualité musicale ? Chaque nation apporte ses propres propositions ?

JPM : C’est un peu pluriel ! Je dis souvent que c’est rentrer dans la cuisine et en tant que cuisinier, je dévoile des petites choses mais pas tout quand même. Mon rôle est de travailler sur la ligne artistique. On en a parlé, le thème, c’est l’Interceltisme. C’est une chose qui est essentielle. Il y a autre chose me tient à cœur, c’est l’inter-génération, c’est-à-dire pouvoir s’adresser à tous les publics, de 5 à 95 ans, sans aucun problème. J’essaie toujours de penser à ces deux facteurs et de concevoir des choses qui ne seraient pas redondantes chaque jour. Dix jours et dix nuits, ce n’est pas rien ! Il y a douze scènes. On est aux alentours de trois cent vingt concerts proposés. Il y a beaucoup de créneaux. Sur le squelette du Festival, j’essaie de faire en sorte que ce soit une programmation qui paraisse intéressante, équilibrée et que tout le monde puisse se retrouver.

Ensuite, on va travailler avec les nations. Au delà d’une programmation qui peut être vraiment directe, chaque nation va aussi nous proposer ce qui se passe chez elle, tel ou tel artiste dont on parle beaucoup. Je vais en profiter pour écouter, pour dialoguer. Je ne peux pas faire toutes les nations chaque année mais, de temps en temps, je me déplace pour aller justement écouter.

On reçoit bien évidemment énormément de propositions. Oh là là !, c’est même incroyable ! On essaie de répondre à tout le monde. Ce sont des centaines et des centaines d’e-mails que l’on peut recevoir. On ne peut pas satisfaire tout le monde. Et puis, ce n’est pas parce qu’il y a une demande que cela va rentrer dans la ligne.

C’est vraiment mon rôle de rester curieux. J’écoute énormément de musique, au minimum de quatre à six heures par jour. Je travaille en musique. J’écoute énormément de nouveautés. Je m’imprègne. Je me déplace beaucoup. Je vais beaucoup aux concerts. Rien ne remplace le spectacle vivant, rien ne remplace le fait d’aller voir des artistes en live.

Les journées ne font que vingt-quatre heures et les années que trois cent soixante-cinq jours, je ne peux pas aller partout non plus, mais en général, tous les artistes qui sont programmés sur le Festival, je les ai vus au moins une fois en concert. C’est important. Je sais ce que l’on va présenter au public.

2024 sera une édition particulière avec un Festival décalé.

JPM : On en a beaucoup parlé à l’automne 2022 puisque c’est à ce moment-là que, d’un seul coup, on s’est rendu compte en France qu’il y avait des Jeux Olympiques qui arrivaient d’une manière assez rapide. Au niveau des évènements culturels et sportifs, sur l’été 2024, on n’aurait peut-être pas forcément les forces de l’ordre disponibles pour pouvoir assurer toutes les manifestations. Certaines seront peut-être annulées. Cela avait mis le feu aux poudres. Il y a eu beaucoup de discussions entre octobre et décembre 2022. Je ne pensais pas à l’époque passer autant de temps sur 2024. Il y avait quand même le festival 2023 à préparer.

On a quand même pu sanctuariser des dates qui ne sont pas les dates traditionnelles du Festival puisqu’il aurait dû se dérouler du 2 au 11 août. On est sur les dates des deux week-ends des Jeux Olympiques et avec la clôture qui aura lieu le Dimanche 11 août, ce n’était pas possible pour une manifestation comme Lorient d’avoir lieu sur la même période. On ne démarrera que le Lundi 12 août pour aller jusqu’au Dimanche 18 août.

Cela va être une édition adaptée, pas forcément réduite, avec les rendez-vous, les incontournables du Festival qui seront quand même tous là mais placés à des moments différents. Cela va permettre de pouvoir tester quelques nouvelles choses. On prend contre mauvaise fortune bon cœur, comme on dit. On en profite pour faire des choses différentes. On a parlé de Lorient Chante, on finira certainement par ce spectacle le 18 août.

En 2021, j’avais interviewé Sarah HEYMANN de l’agence de Communication Heymann Associés qui est en charge du FIL. J’avais évoqué avec elle certains articles de presse parfois peu sympathiques à l’encontre du Festival. Elle m’avait répondu que cela avait tendance à s’améliorer. Quel est ton sentiment sur ce sujet … sensible ?

JPM : Sur le local, la Bretagne, ça se passe très bien. C’est plus compliqué sur le national. Certains journalistes ou certains chroniqueurs restent toujours sur une image que l’on va coller. Très vite, on va nous résumer à « biniou, coiffe, Tri Martolod, etc ». On va mettre quelques fondamentaux comme cela. On a l’impression qu’on n’a pas évolué pendant des décennies. Ce qui est faux !

La culture bretonne, les cultures celtiques, sont en constante évolution. Ce sont des cultures vivantes. Je suis toujours en admiration devant des artistes qui continuent à nous surprendre. Pour moi qui suis, qui a été, plus plongé dedans, qui écoute ces musiques depuis plus de quarante ans, il y a des choses qu’on entend, des propositions artistiques qu’on n’aurait jamais entendues il y a quinze ou vingt ans. Je dis toujours que le meilleur est à venir.

Très souvent, au niveau national, tout simplement par méconnaissance, on va toujours nous ramener à ce qui s’est passé sur le gros phénomène des années 1970 et faire comme si on n’avait pas bougé, que la musique n’avait pas évolué, qu’on était toujours sur les mêmes poncifs, qu’on jouait toujours la même chose. Or, on est sur une culture vivante. C’est ce qui fait la richesse, l’essence d’un festival comme l’Interceltique. On peut proposer des choses très évolutives comme revenir sur des choses plus traditionnelles. On sait qui on est quand on sait d’où on vient. C’est comme cela qu’on construit notre culture !

La musique celtique se mélange aujourd’hui au rap, à l’électro et même au métal.

JPM : Je dirais que ce ne sont même plus des mélanges ou de la fusion. De jeunes artistes, hommes ou femmes, qui composent, ne se posent même pas la question de se dire qu’ils prennent leur culture et y ajoutent du rap. Ils font la musique qu’ils ont envie de faire telle qu’ils la ressentent.

Je pense à une formation en Bretagne comme FLEUVES qui est assez caractéristique de ce mouvement. Je pense à MOXIE pour l’Irlande. Ils n’ont pas intellectualisé leur démarche. C’est une démarche artistique qui est spontanée et ça plaît au plus grand nombre. On voit bien qu’on est constamment en évolution.

Pour revenir à ta question initiale, au sujet de certains médias nationaux, je dirais que c’est de la méconnaissance. Comment peut-on faire en sorte que ces médias puissent être au courant ? Peut-être à travers des démarches comme celles du Festival. Il a une aura nationale et internationale, ce qui permet à ces médias de s’y intéresser. Nous, on fait en sorte de demander aux journalistes de venir découvrir réellement, de venir passer quelques jours à Lorient, de venir voir le dynamisme. Je pense qu’ils changeraient d’images.

La diffusion sur France 3 de la Grande Parade et de la Nuit Interceltique a apporté quelque chose ?

JPM : Cela fait plus d’une vingtaine d’années maintenant que ces deux rendez-vous sont retransmis en national sur France Télévision, avec des audiences. C’est ce qui contribue aussi à l’image de Lorient et à sa notoriété. Que l’on puisse être à Strasbourg, Marseille, Lyon ou Grenoble, on parle du Festival Interceltique. Les gens connaissent d’une manière ou d’une autre. Ils auront peut-être une image « folklorique », mais en même temps je préfère qu’ils aient cette image-là en montrant qu’on est toujours là plutôt qu’ils n’en aient pas du tout. Dans une mondialisation telle qu’on la vit au niveau de la culture depuis de nombreuses années, on montre encore ce caractère singulier de nos cultures.

Si on avait encore un créneau pour présenter des créations, comme Celtic Odyssée, ou un répertoire plus ouvert ou plus contemporain, on pourrait montrer l’évolution de ces musiques.

En tout cas, ces retransmissions sont une vraie chance pour Lorient. France Télévision est à chaque fois ravie des taux d’audience qu’elles peuvent faire.

C’est un sujet dont on a déjà parlé en 2022, c’est aussi un serpent de mer, quid d’une présence plus large et plus visible du FIL sur l’année ?

JPM : C’est un vrai sujet ! Il faut le temps. Actuellement, l’association et la structure permanente du Festival Interceltique sont complètement dédiées au Festival. On n’est pas de trop à l’année pour travailler sur les dix jours. On fait bien quelques petites choses de part et d’autres dans l’année, mais c’est déjà très chronophage.

L’idée est de pouvoir travailler sur un ou des évènements à l’échelle du Pays de Lorient ou à l’échelle de la Bretagne en dehors du Festival. C’est un des projets. Pourquoi pas quelque chose au niveau du national ! C’est aussi un autre projet.

Suite à l’édition 2023, on va retravailler, revérifier les subsides avec différents partenaires. Il faut qu’on étoffe l’équipe pour pouvoir effectivement travailler sur d’autres rendez-vous à l’année. C’est un souhait que l’on a. Il faut qu’on ait les bonnes idées et les moyens, notamment humains, pour pouvoir mettre en œuvre ces idées.

Entretien réalisé le 20 juillet 2023 par Didier Le Goff dans les studios de RCF Sud Bretagne à Lorient
en collaboration avec Claude, journaliste et technicienne.
Un grand merci à elle.
Photos live : vidéos FIL 2023

 

Un grand merci à Manon de l’agence de communication HEYMAN ASSOCIES.

Site du Festival : https://www.festival-interceltique.bzh

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