Festival Villes des Musiques du Monde
« Rock the Casbah » le 12 juin 2021
Interrompue par le couvre-feu d’automne 2020, puis par un nouveau confinement, la programmation du festival Ville des Musiques du monde a repris dès l’annonce du déconfinement progressif. La thématique adoptée pour cette édition du festival, Douce France, choisie pour évoquer « les mélodies d’exils d’hier et d’aujourd’hui, les chansons populaires aux accents pas si lointains, les blues de banlieue, les ritournelles du périphérique et (des) campagnes » s’est donc redéployée pour un Acte 2 dans lequel nombre de manifestations et spectacles prévus l’an passé ont été reprogrammés et repensés.
Les artistes prévus ont ainsi eu droit à de nouvelles dates, et certains concerts se sont tenus dans de nouveaux lieux. Et à ce sujet, le festival en a profité pour faire découvrir son nouveau port d’attache, le « Point Fort d’Aubervilliers », installé dans la ville du même nom en Seine Saint-Denis, en bordure de la capitale. Des spectacles, des concerts, mais aussi des ateliers de musique et divers projets artistiques peuvent ainsi prendre place sous la « Grande Halle », en attendant l’ouverture d’un espace chapiteau à l’automne prochain.
La deuxième journée de programmation du festival au Point Fort d’Aubervilliers, le samedi 12 juin 2021, avait été baptisée Rock the Casbah, nom d’un célèbre morceau du groupe punk THE CLASH, et en forme de clin d’œil au regretté Rachid TAHA.
De 17 h. à 22h.30, la Grande Halle du Point Fort a accueilli cinq formations pour plus de 6h de concerts enchaînés avec peu de pauses, couvre-feu de 23h oblige: La Fanfare 93 SUPER RAÏ BAND, KOHHEN EL KEF, DuOuD, TEMENIK ELECTRIC et L’ORCHESTRE NATIONAL DE BARBÈS.
KOHHEN EL KEF
Après un accueil du public (encore clairsemé en cet après-midi très ensoleillé) par la fanfare 93 SUPER RAÏ BAND, créée en 2008 et composée de musiciens amateurs, le programme a démarré sur la scène de la Grande Halle avec un bien étrange trio, KOHHEN El KEF, un nom qui signifie « Les Oracles de Kef » une ville située au Nord-Ouest de la Tunisie.
Ce tout nouveau projet, incluant un chanteur et guitariste acoustique, un guitariste électrifié et un troisième sbire préposé aux machines, était articulé autour de chansons d’amour « d’outre tombe » (sic !) ou de désillusion, sans oublier « Je suis l’Oracle », interprétées en arabe, en dialecte tunisien, enveloppées de musique psychédélique, rock, électro et de musiques arabes et indo-pakistanaises, distillant un parfum général aussi mystérieux qu’envoûtant.
Le chanteur n’a pas manqué de remercier chaleureusement le festival Ville des Musiques du Monde grâce auquel le projet KOHHEN El KEF a vu le jour.
C’était la « première live » de ce très prometteur trio dont on attend le premier album de pied (et d’oreille) ferme !
La Fanfare 93 SUPER RAÏ BAND
Après le concert de KOHHEN EL KEF, la fanfare 93 SUPER RAÏ BAND, menée par trois musiciens du groupe FANFARAÏ – Patrick TOUVET (trompette), Samir INAL (percussions) et Mehdi CHAÏB (sax soprano) -, est revenue nous régaler de ses reprises de standards de musiques maghrébines, invitant même de jeunes pousses musiciennes à se joindre à elle.
DuOuD
Après les jeunes pousses, place aux (déjà) vétérans de la scène électro-rock-world avec DuOuD ! Après une longue période d’abstinence, le duo de oudistes le plus barge qui soit a enfin repris du service. Craignant de s’être rouillé durant ces derniers mois de disette scénique, SMADJ était déchaîné sur ses ouds acoustiques et ses machines, et son acolyte Mehdi HADDAB n’était assurément pas en reste avec son oud électrifié.
Ménageant saturations hendrixiennes, textures électro et pulsions technoïdes, DuOuD a continué à propulser le luth emblématique de la culture arabe dans les « vibes » du XXIe siècle en jouant des thèmes de son dernier EP, Get Sexy, Get Mad.
Pas facile de « rendre fou » un public encore échaudé et traumatisé par de longues semaines de réclusion, mais l’entrain des deux compères et leur sens affûté de l’invention permanente a fait monter la température, notamment avec l’inusable reprise de Chase, le célèbre thème du film Midnight Express, qui a eu raison des dernières résistances.
C’était le moment de bouger, et DuOuD a brillamment enclenché le bouton « Start »!
TEMENIK ELECTRIC
Malgré les bien légitimes marques de prudence sanitaire qu’il convient de respecter en cette période de reprise des festivités artistiques, il y a un moment où il faut savoir secouer le cocotier et faire lever le monde. La déferlante marseillaise TEMENIK ELECTRIC s’est acquittée de cette tâche sans difficulté aucune. Dans la lignée de Rachid TAHA, le quintet avait de quoi susciter les plus folles excitations.
Entre transe orientale électrifiée et moments plus introspectifs ou écorchés, le rock arabe de TEMENIK ELECTRIC, en activité depuis quasiment une bonne décennie, a su faire mouche, se livrer avec passion et appuyer là où ça gigote pour chanter la condition de l’exil et tous ces maux internes qui nous rigidifient.
Incarnation moderne de l’ « arabitude rock n’roll », TEMENIK ELECTRIC a secoué les corps comme les têtes. Mené par le charismatique chanteur et guitariste Mehdi HADDJERI et son complice bassiste Jérôme BERNAUDON, le groupe, depuis la sortie remarquée de son deuxième album Inch’Allah Baby, a accueilli de nouvelles recrues (Christophe ISSELÉE aux guitares et au oud, Fred ALVERNHE aux machines et Florent SALLEN à la batterie) avec lesquelles il a enregistré un nouvel album (Little Hammam serait son titre) à paraître bientôt cette année et en a donné quelques avant-goûts, tantôt incisifs, tantôt intimistes, lors de ce concert à haute tension.
Et quel autre groupe pouvait être plus habilité à reprendre l’incendiaire Rock the Casbah des CLASH (déjà réadapté par Rachid TAHA), qui illustrait le thème de la soirée ?
L’ORCHESTRE NATIONAL DE BARBÈS
Toute bonne soirée a sa locomotive fédératrice. Pour la soirée Rock the Casbah, ce fut cette légendaire institution qu’est l’ORCHESTRE NATIONAL DE BARBÈS, créé il y a plus de 25 ans dans le quartier parisien du même nom. La formation du groupe a certes évolué depuis ses débuts, mais le chanteur et percussionniste Kamel TENFICHE, le percussionniste et choriste à la voix chaude Ahmed BENSIDHOUM, le bassiste et compositeur Youcef BOUKELLA et le claviériste et chanteur Taoufik MIMOUNI répondent toujours à l’appel, et savent faire résonner cet appel dans la foule…
Paradoxalement moins rock que ses prédécesseurs dans la soirée, le concert de l’ORCHESTRE NATIONAL DE BARBÈS, initialement prévu dans une autre salle d’Aubervilliers en novembre 2020, était néanmoins le plus attendu par son public. Celui-ci a été accueilli par un imparable Salaam Aleikum de circonstance et autres classiques du répertoire du groupe, entre lesquels se sont glissés quelques extraits du prochain album. Malgré des éclairages parfois ternes et gluants et un son pas toujours très clair (ils étaient quand même dix sur scène !), le groupe a fait montre d’une générosité musicale qui a enthousiasmé et fait remuer tout le monde.
Bigrement entraînante et richement rythmée, la musique de l’ORCHESTRE NATIONAL DE BARBÈS cultive une nature métissée tout étant imparablement enracinée, brassant la culture maghrébine dans les grandes largeurs, raï, chaabi, gnawa, mélangés au reggae, au funk et autres armes de séductions populaires. Il n’en fallait pas plus pour faire oublier les restrictions sanitaires de ces derniers mois.
Pas de doute, la « Casbah » s’est bien réveillée et s’est remise à vivre !
Texte : Stéphane Fougère
Photos : Sylvie Hamon