FORGAS BAND PHENOMENA – L’Oreille électrique
(Cuneiform Records)
Si l’on veut bien se donner la peine de les chercher, voire de les débusquer, il existe encore des œuvres musicales surprenantes par bien des aspects, et ce dans tous les genres d’art sonore. Bien sûr, la condition première pour reconnaître ces compositions comme totalement inédites et même inouïes : des oreilles qui ne soient pas saturées par la soupe ambiante quotidienne (en général anglophone et le plus souvent diffusée par des écrans avec vidéos plus ou moins insupportables). Le silence n’est plus, vive le silence !
Le rock progressif – qui n’a jamais été à la mode et a été très souvent l’objet de quolibets – est un terreau pour les œuvres innovantes, encore très fertile. L’album L’Oreille électrique est de celles-ci, le FORGAS BAND PHENEMENA délivrant régulièrement des opus fondés sur une musique instrumentale, celle du batteur Patrick FORGAS, solaire, dynamique, superbement orchestrée pour sept musiciens, tous virtuoses, jonglant avec la polyrythmie et les multiples nuances au fil de cet album, accessible immédiatement aux oreilles peu ou pas averties, électriques ou non.
Outre Patrick qui emmène le groupe, son vieux complice Gérard PRÉVOST est à la basse électrique ; ils forment tous deux une section rythmique qui confère l’impulsion, le balancement propre à ces cinq compositions aux mesures complexes. Pierre SCHMIDT assure avec vélocité des riffs et chorus de guitare électrique caractéristiques du meilleur des rocks; Karolina MLODECKA, violoniste du groupe depuis plus de dix ans, quant à elle, en serait le chant, comparable à celui d’une sirène de L’Odyssée, tantôt aérien, tantôt lyrique, attirant immédiatement l’ouïe de l’auditeur attentif.
« Autant elle peut être très virile dans son jeu sur certains passages, nous précise Patrick FORGAS, autant elle peut être raffinée et délicate dans d’autres. Ce qui la distingue de beaucoup d’autres violonistes, c’est un sens du rythme qu’elle maîtrise remarquablement. Elle n’a pas un son jazz (…) mais plutôt classique et c’est ce que je préfère pour ma musique. » Et l’on chercherait en vain un groupe de rock actuel où le violon – parfois avec effets -, serait mis autant à l’honneur, comportant autant de registres que dans ces cinq œuvres (legatos, pizzicatos, envolées électroniques…).
Cette vibrante palette de couleurs serait incomplète sans les cuivres (trompette, cornet, trombone) de Dimitri ALEXALINE et les anches (saxophones alto, soprano et ténor) de Sébastien TROGNON. À eux deux est confié bien souvent le schéma mélodique luisant de temps forts et étincelants ; ils adoptent également le mode de la romance lors des plages méditatives. Leur apparition intermittente et le contraste de leur jeu créent une véritable jouissance auditive telles que l’on peut en éprouver dans certaines compositions de jazz, celles du trompettiste et compositeur Ibrahim MAALOUF, par exemple.
Et les claviers ? Ceux d’Igor BROVER, sous-tendent l’architecture conçue par Patrick FORGAS, seuls en introduction et en pont entre les parties d’une pièce, le jeu subtil de ce musicien se révélant indispensable pour que cette délicieuse Crème anglaise (entre autres mets) ravisse nos papilles.
Tous ces instrumentistes jouent donc une partition difficile, exigeante, comportant beaucoup de rythmes impairs, de ruptures d’intensité, et de passages dissonants, l’ensemble instaurant un climat tant surprenant que doucement incantatoire lié à la personnalité de son auteur.
L’intéressé d’ailleurs, ne nie pas un intérêt certain pour de profondes questions existentielles et l’ésotérisme qui leur est souvent lié : « Effectivement, j’ai toujours été attiré par le côté mystique des choses. Quand on écoute Hope for Happiness de SOFT MACHINE, on ressent une grande douleur et le besoin de s’interroger sur tout ce qui nous entoure. La voix androgyne de Robert WYATT, avec une profonde fragilité, m’a totalement bouleversé. Comme cet album a été mon vrai point de départ, je ne peux qu’avoir des penchants mystiques. »
À la lumière de ces propos, nous appréhendons mieux le concept qui relie tous les albums de ce groupe depuis sa reformation, en 1997, pour Roue libre. La roue en question n’est autre que la Grande Roue, celle de l’Exposition universelle de 1900, installée aux Tuileries, qui permettait – encore récemment -, d’observer tout Paris et ses environs depuis une hauteur maximale de 100 mètres. Un point de vue extra-ordinaire nécessaire de temps à autre à l’être humain, sous peine qu’il ne se racornisse.
Et forte de son succès dû à son gigantisme, cette Grande Roue témoin des années passées, chargée de mystères géographiques et historiques est comparable à un véhicule perpétuel, évoquant la Roue de l’existence. Mouvement continu et discontinu, selon l’endroit où l’on se trouve, car tout comme la montée progressive vers le sommet de l’axe, le suspense est toujours savamment entretenu tout au long de ces albums qui délivrent leurs anecdotes mystérieuses.
La composition Septième Ciel, sur ce dernier CD en date, porte un titre évocateur lisible sur plusieurs plans, dont celui de la spiritualité, en écho au montage photo en couverture de L’Oreille électrique : une grande oreille frappée par la foudre émanant de la Grande Roue. Aucun texte n’est ici nécessaire, la musique parle d’elle-même, libre, et œuvre ouverte à la sensibilité de l’auditeur, ou du spectateur en concert.
Bref, que ce soit par l’ascension en automate ou grâce à l’alchimie de ses albums, c’est à une découverte progressive du monde, autant celui qui nous entoure que celui au cœur de nos cellules, grises et autres, que nous convient ces sept artistes, délivrant des ondes hautement bénéfiques pour notre âme et notre corps.
Et la curiosité étant souvent bonne conseillère dans le domaine de l’art, si vous jetez une oreille sur cet album, émouvant, tonique et intemporel (comme ses prédécesseurs), il y a fort à parier qu’après votre première écoute, nous pourrons nous exclamer ensemble : « Longue vie au ORGAS BAND PHENOMENA ! »
Mescalito
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Label : www.cuneiformrecords.com