Frank ZAPPA – Frank ZAPPA’S 200 Motels (50th Anniversary Edition)
(Zappa Records)
Encore un coffret luxueux de six CD, au prix plutôt exorbitant certes mais qui s’avère être tout de même un précieux document (le n° 120 dans la discographie officielle). En regardant son contenu, ce coffret ne s’écoute pas à la légère et il faudra être très courageux pour tout écouter. C’est du ZAPPA pur et dur, nous ramenant à la grande époque des MOTHERS OF INVENTION. En effet, il s’agit de la réédition de son projet intitulé 200 Motels, dont nous célébrons ici les cinquante ans.
200 Motels est une œuvre assez difficile, datant de 1971, née de l’imagination folle de Frank ZAPPA accompagné de ses MOTHERS OF INVENTION (incluant notamment Mark VOLMAN, Howard KAYLAN, Ian et Ruth UNDERWOOD, George DUKE, Aynsley DUNBAR, Martin LICKERT), du ROYAL PHILHARMONIC ORCHESTRA et d’une pléiade d’invités comme Ringo STARR, Keith MOON et le comédien Theodor BIKEL.
200 Motels est, rappelons-le, un film totalement délirant et aussi un double album qui l’est tout autant. Selon les termes de ZAPPA, le film, qui raconte la vie d’un groupe en tournée, est « un reportage sur des événements réels et une extrapolation de ceux-ci ». Des éléments conceptuels se mêlent aux événements réels et nous avons au final un film rock’n’roll montrant les musiciens sur la route, ainsi que leurs relations avec le public et les groupies. C’est un document visuel expérimental et surréaliste où des images assez abstraites décrivent leurs états physiques et mentaux durant une tournée.
L’idée de ZAPPA était de tourner le film en sept jours avec quatre caméras vidéo. Il envoya le script à United Artists, et il reçut un budget de 630 000 dollars. Le ROYAL PHILHARMONIC ORCHESTRA, sous la direction d’Elgar HOWARTH, accepta d’y participer. Tony PALMER, connu pour ses films musicaux, fut nommé directeur. Le tournage commença en janvier 1971 dans les célèbres studios Pinewood avec les décors de Calvin SCHENKEL, basés sur des croquis de ZAPPA.
La musique reflète pleinement l’esprit créatif et aventureux de ZAPPA à cette époque et elle ne conviendra probablement pas à toutes les oreilles. Pour reprendre les mots de Guy DAROL, « c’est un patchwork de textures polyrythmiques, de parties atonales, d’ostinatos et de cadences », où se croisent des passages orchestrés et d’autres plus bruitistes. De même, le contenu de certaines paroles peuvent choquer et vont poser quelques soucis. Ce fut le cas avec un des musiciens de l’orchestre qui se plaignit à Marion HERROD, l’administratrice du Royal Albert Hall, où devait avoir lieu justement un concert. Il fut demandé à ZAPPA d’enlever quelques mots qui pourraient offusquer les plus sensibles. Ce qu’il fit mais pas complétement.
Le concert fut annulé alors que 4000 billets avaient été vendus. Imaginez donc le désastre. Ce fut une perte financière énorme pour Frank (l’argent des répétitions, le remboursement des billets et une amende à verser au syndicat des musiciens). Il décida d’attaquer en justice le Royal Albert Hall. Le procès eut lieu en 1975 mais hélas, ZAPPA ne fut aucunement dédommagé pour ce terrible préjudice.
Avec aujourd’hui cette réédition exceptionnelle, il aurait été très judicieux d’y inclure le film en DVD ou en Blu-ray. Mais, ce n’est pas du tout le cas. Pour un tel anniversaire, c’était logiquement l’occasion de proposer 200 Motels sous une forme définitive et complète. Cette réédition spéciale est, disons-le, quelque peu ratée, incomplète et c’est fort regrettable. Nous n’avons droit finalement qu’à de l’audio.
Mais, loin de nous l’idée de vouloir bouder notre plaisir parce que cela reste une œuvre musicale impressionnante, d’une richesse absolue. C’est du blues rock’n’roll drôle et parodique, abordant aussi la musique contemporaine et même l’opéra par certaines parties chantées. Tout l’univers de ZAPPA et des MOTHERS est bel et bien représenté ici.
En plus de l’album original (200 Motels Original Soundtrack sur les CD 1 et 2, où nous retrouvons quelques classiques comme Lonesome Cowboy Burt, Daddy, Daddy, Daddy ou Penis Dimension, des chansons régulièrement jouées en tournée dès le mois d’août 1970), nous pouvons entendre un nombre impressionnant de raretés, qui se déversent sans aucune pitié tel un tsunami sonore chaotique.
Nous sommes véritablement submergés (peut-être même beaucoup trop !) devant toutes ces versions démos originales, ces studio outtakes, ces divers mix et même aussi tous ces dialogues inédits qui sont notamment regroupés sur les CD 3 et 4 ; intitulés 200 Motels Dialog Protection Reels, ils proposent une « early version » du film incluant des dialogues non utilisés par ZAPPA et des passages musicaux présentés en version mono et sans le travail d’ « overdub » qui sera réalisé plus tard en studio.
Avouons que ces deux disques restent les moins intéressants de ce coffret et sont à réserver uniquement à ceux qui comprennent la langue. Le livret gigantesque propose plus de soixante pages avec des photos et diverses notes. C’est passionnant à lire, surtout les essais d’une des membres du groupe à savoir Ruth UNDERWOOD et de l’une des actrices Pamela DES BARRES ou Pamela MILLER, membre du groupe féminin THE GTO’S (leur album Permanent Damage fut produit par ZAPPA en 1969) et gouvernante des enfants de Frank.
Et comme tout bon coffret maintenant, il y a, en plus des CD, quelques artefacts qui relèvent du pur merchandising : notamment un porte-clé et un poster de l’affiche du film. Si vous êtes d’une nature téméraire et si vous êtes surtout un fan absolu de ZAPPA, alors, n’hésitez pas ! Ce coffret est pour vous.
Cependant, il est tout de même nécessaire de garder son calme et sa lucidité devant des objets aussi faramineux (tant par son contenu que par son prix) et de trouver légitime de nous poser une seule et primordiale question : le coffret a certes de l’allure, mais est-ce qu’un tel objet fera l’objet d’une écoute régulière ? Il est certainement fort probable que les deux CD contenant les dialogues seront très vite oubliés.
Après, bien entendu, il y a les collectionneurs purs qui veulent tout se procurer et nous les comprenons évidemment puisque nous appartenons à cette catégorie : surtout qu’il y a ici des raretés vraiment sympathiques sur les CD 2, 5 et 6, provenant des Whitney Studios (enregistrées en août 1970, puis entre avril et juin 1971) et des Strident Studios (février 1971). À vrai dire, peut-être que la version double CD est suffisante pour les autres, les plus curieux ou ceux qui ne connaissent pas ZAPPA, parce que tout ce que nous entendons ici n’est pas une musique que nous qualifierons d’ordinaire.
Honnêtement, que pouvions-nous attendre d’un tel album où se succèdent des dialogues absurdes, du blues rock et des passages orchestraux plus sérieux. 200 Motels est intense et déroutant. C’est tout l’intérêt d’une grande musique dont l’ambition première est de vouloir franchir des frontières soniques inhabituelles.
Même s’il y a des moments qui ont aujourd’hui quelque peu vieilli, tout le génie, le savoir-faire, la discipline et l’humour incisif de ZAPPA sont inscrits dans les lettres rouges flamboyantes de 200 Motels.
Cédrick Pesqué
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Mince je viens de prends un coup de vieux 😉