Fred AGAIN../Brian ENO – Secret Life
(Text Records)
Encore et toujours… Comme un besoin d’amour. Ou plutôt d’amitié. 2023 marque l’association étonnante et évidente entre deux génies de la production. D’un côté, Fred AGAIN.. (de son vrai nom Fred GIBSON). Ce sémillant jeune homme de trente ans connaît une ascension fulgurante depuis quelques années. En effet, il a œuvré auprès de poids lourds actuels de la musique (Ed SHEERAN, STORMZY, George EZRA, SKRILLEX…) tout en menant une carrière solo fort remarquée (la trilogie Actual Life). De l’autre côté, Brian ENO, que l’on ne présente plus (ce serait un affront), plus actif que jamais en cette décennie 2020 (Mixing Colours avec son frère Roger, Foreverandevernomore seul, plusieurs singles, etc.). Mais ce duo n’a rien de fortuit. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps, GIBSON ayant intégré le groupe de chant a cappella d’ENO dès l’âge de seize ans, lorsqu’ils étaient voisins ! Celui-ci joue alors une nouvelle fois un rôle qu’il connaît par cœur : mentor. Il nous a déjà fait le coup avec LARAAJI, JAMES, Ben FROST ou bien encore COLDPLAY, Anna CALVI et j’en passe.
En 2014, ENO propose alors au jeune Fred de produire les albums Someday World/High Life, réalisés avec Karl HYDE. Laissons la place aux jeunes ! Un pied à l’étrier salutaire pour Fred AGAIN.. qui va bénéficier du soutien constant de son aîné pour développer son style. Et les récompenses pleuvront pour le jeune Londonien. Ainsi, en 2020 il obtient le prestigieux prix de producteur de l’année aux Brit Awards. Tiens, tiens… comme un certain… Brian ENO vingt-cinq ans auparavant !
C’est donc fort naturellement qu’ils s’unissent pour délivrer ce printemps Secret Life. Un disque onirique et romantique, sorti sur Text Records, le label de FOUR TET. Onze titres qui s’accordent dans une tonalité douce, suave et mélancolique. Fred AGAIN.. s’impose comme un multi-instrumentiste radicalement doué, expert en électronique. Tout en retenue, il chante sans complexe des ballades soyeuses, sous influence James BLAKE (qui avait lui aussi travaillé avec ENO le temps du somptueux Overgrown). Voix trafiquée, au même titre que les sons épars recueillis au fil du temps, en plein coeur de la composition des parties d’Actual Life. Car le jeune Britannique archive, compile, triture des samples, un art du tissage musical particulièrement abouti.
Néanmoins, la patte plus turbulente de Fred AGAIN.. (entre rave et EDM) fait place au tapissage soyeux d’ambiances atmosphériques d’ENO. Nappes ambient, dream pop subtile (Enough), piano qui s’efface (I Saw You, Pause) et lo-fi envoûtante, Secret Life est un condensé de minimalisme doux. Ces pistes choyées évoquent des paysages nostalgiques où l’on sent poindre l’art du regretté Angelo BADALAMENTI (Chest), la moiteur entêtante de Trevor SOMETHING (Cmon) ou le charme dépressif du Bon IVER des débuts (Secret). Une simplicité apparente qui convoque aussi les esprits de Leonard COHEN et de John PRINE dans le songwriting (sur Secret pour le premier, reprise d’un vers de In My Secret Life, sur Come On Home pour le second, avec l’évocation de son Summer’s End).
Secret Life est un bijou, un instantané de velours. Le temps passe, les hommes rêvassent au crépuscule (cf. la pochette) et les notes s’étiolent, laissant place aux regrets joyeux… Il est toujours tentant d’émettre quelques propos acerbes lorsqu’on chronique/critique un disque. Malheureusement, j’ai cherché, creusé dans mon encrier au vitriol, mais il est presque vide. Alors oui, la perfection n’est pas de ce monde. Les saccades ambient vagues de Follow m’ont laissé froid, de même que l’expérimental Safety.
Mais comment ne pas succomber à la tendresse poignante de Secret (j’étais à ça de pleurer), au glitch implorant et classique de Chest, à la puissance hypnotique de Radio, morceau miroir de Come On Home. L’envoûtement est total, et si ENO agit discrètement c’est pour mieux sublimer le lyrisme de son poulain. Nous relevons tout de même quelques instants de bravoure du vieux sage de Woodbridge : une spatialisation sonore intense sur Pause, évoquant Reflection et Music For Installations, ou le traitement feutré de Trying s’effaçant progressivement, comme une « disintegration loop ».
Nos compères forment la paire idéale, chacun semblant tirer le meilleur de l’autre pour nous offrir une expérience auditive céleste. Toujours avec cette réserve, cette pudeur incandescente qui font les grands albums de musique rêveuse.
Olivier Bernard
Page : https://fredagainagain.bandcamp.com/album/secret-life