Fred FRITH – Guitar Solos
(Fred Records/ReR Megacorp/Orkhêstra)
Guitar Solos : certains trouveront le titre modeste, euphémique à souhait, d’autres le trouveront résolument hors contexte. Il est vrai que l’auditeur habitué aux solos de style rock ou jazz risque de ne pas y retrouver son latin ni ses ouailles. C’est étudié pour. Oubliez donc toute attente en matière de virtuosité athlétique, de records de vitesse, de feeling grumeleux et autres poses maintes fois remises sur le tas. Album défricheur s’il en est, Guitar Solos dévoile des sons que l’on ne s’attend généralement pas à entendre de la part d’une guitare électrique ou acoustique. Il y a pourtant indéniablement des cordes, et peut-être autre chose ?…
Cependant, Fred FRITH, sur cet album, ne joue pas autre chose que de la guitare, électrique ou acoustique. Les seuls autres sons tolérés sont ceux qu’il émet lui-même à l’occasion – respiration, battement de pied… – ou ceux d’une « fuzz box » et d’un « delay ». C’est d’abord la « brutalité » frontale du son qui impressionne : il n’a été fait recours à aucun overdubs, montage ou post-production d’aucune sorte.
Le son de l’instant. Le geste capté dans la « momentanéité » du son. Les dispositifs de jeu de FRITH sont au diapason de la démarche : l’instrument est frappé, martelé, tiré, penché, et sur les cordes se baladent divers objets. C’est ce qu’on appelle la « guitare préparée ».
Enfin, la gestuelle du musicien, son toucher, contribuent aussi à façonner la dynamique si particulière des pièces enregistrées, dans lesquelles se manifestent phénomènes, particules, créatures et paysages de toutes sortes. Fébrilité, rugosité, diaphanéité, moirage sont des matières d’être parmi d’autres que la guitare frithienne se plaît à explorer, à cerner.
C’est le disque de tous les possibles pour FRITH, l’ABC de son idiome improvisationnel, qui se distingue de ceux d’un Derek BAILEY ou d’un Keith ROWE. À l’instar de ceux-ci, Fred FRITH gagne avec ce disque, enregistré en 1974 – soit en marge de HENRY COW –, ses galons de pionnier de l’improvisation libre.
Deux autres volumes de Guitar Solos suivront, présentant des travaux de FRITH et d’autres renommées du genre, mais il faudra attendre 2001 pour voir apparaître un autre disque tout entièrement dédié à la guitare solo : il s’agit du non moins emblématique Clearing (sur Tzadik), qui offre un nouvel et brillant état des lieux de l’exploration sonique de Fred FRITH, avec une qualité sonore optimale.
Trente ans après son enregistrement, Guitar Solos garde néanmoins son statut de référence indispensable des musiques « différentes ».
Stéphane Fougère
Site : www.fredfrith.com/
Label : www.rermegacorp.com
Page : https://fredfrith.bandcamp.com/album/guitar-solos
Distributeur : www.orkhestra.fr
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°16 – novembre 2004)