Gabriel YACOUB – De la nature des choses

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Gabriel YACOUB – De la nature des choses
(Le Roseau / Harmonia Mundi)

gabriel-yacoub-de-la-nature-des-chosesIl est des albums pareils à des pays où il faut revenir souvent pour en voir toutes les merveilles et dont il faut apprendre la langue pour en comprendre toutes les richesses. De la nature des choses est incontestablement de ceux-ci. On pourrait juste dire que c’est le nouvel album de Gabriel YACOUB, qu’il est superbe, bien écrit et profond, comme tous les albums de Gabriel YACOUB, et qu’on a à peu près tout dit en disant ceci. Oui, mais il s’agit peut-être du premier album d’un Gabriel YACOUB nouveau.

Oh, bien sûr, le style d’écriture est le même, toujours aussi brillant et les musiques ont toujours ces magnifiques dentelles harmoniques qu’on aime retrouver au fond de nos oreilles. Mais écoutons mieux. Ou plutôt lisons mieux. Les textes sont plus riches, plus fouillés, et certains ont même des accents de secret, et on doit les lire plusieurs fois avec grande attention pour en tirer le sens caché. Gabriel YACOUB a mué, les mots l’ont transmuté et il est devenu alchimiste du verbe. De la nature des choses dit-il. C’est là le premier écueil, l’arcana prima. Me croyant malin et savant, j’ai tout de suite pensé au De Natura Rerum du philosophe latin LUCRECE, un long poème qui transcrit la doctrine d’EPICURE, connaître la nature des choses afin de se libérer des fausses croyances et atteindre ainsi l’ataraxie, la tranquillité de l’âme.

Après tout pourquoi pas ? Gabriel YACOUB ne pointe-t-il pas son doigt vers les dieux illusoires, les regrets à venir dont il se méfie ainsi que des remords tardifs ? Mais j’ai regardé le doigt et non vers l’encyclopédie De Rerum Naturis montrée par celui-ci et assemblée par Rabanus MAURUS dans les années 800 de notre ère. Encore fallait-il le savoir ? Oui, peut-être.

Encore fallait-il aussi prendre le temps de creuser au sein du titre de l’album. Une encyclopédie, donc. Un livre. Des mots. Comprenons bien. Il s’agit plus ici d’un festin verbal que d’un menu de notes, encore que celles-ci, particulièrement bien choisies, relèvent au plus haut point la saveur fine et subtile des mots. Et parmi ceux-ci Gabriel YACOUB a ses favoris, tels clair, cantique, impatience, étoile, ordinaire ou âme. Mais ce que préfère encore notre poète consenti, ce sont les mots dépassés, oubliés ou délaissés. Dans Elle disait, il y les adjectifs parégorique et rudéral, certainement connus de vous. Et dans la même chanson, notre néo-rimbaud utilise le mot vulnéraire, dont je ne vous ferais pas l’injure de croire que vous n’en connaissez pas le sens. Toutefois le terme le plus piquant est probablement le phobharmonique de La belle Anversoise, recueilli dans on ne sait quel dictionnaire. Cependant notre yacoubaudelaire n’hésite pas à systématiser sa quête motique et à l’organiser autour d’un thème. Ainsi dans Le Bois mort est-il question de boisage, de sarclage, de greffage, de marcottage, de repiquage, d’arasage, de bouturage et même d’écussonnage.

Mots de métier ou de metteur en mots, le nouveau métier de notre Gabriel. Mais je disais plus haut que nous avons affaire à un Gabriel nouveau. Thèse téméraire ? Je pourrais souligner de chant d’amour, mais d’un amour transfiguré, dans Le Feu. Ou comment aller à rebours d’un incendie de chaleur destructeur pour en faire un incendie de cœur. Je pourrais désigner Un Jour je me suis fait Poète où notre apollinaire hexacordique révèle avec humilité et humour comment il a osé, enfin, être consciemment et avec application ce que tout le monde est naturellement mais sans toujours le savoir. Voilà des chansons qui montrent bien que notre Gabriel a changé.

C’est comme s’il avait lui aussi subi l’épreuve du feu et que les flammes lui avaient forgé une plume nouvelle. Il parle plus de lui et plus profondément, même s’il habille ses mots du masque de l’énigme. Un des deux en l’air, c’est lui, Souvenirs oubliés, c’est lui aussi, Le Nom des Oiseaux, c’est encore lui. Et nous avons déjà évoqué Le Feu et Un Jour je me suis fait Poète qui sont des chansons également très personnelles. Il y a même quelque chose de fortement lui dans le fait qu’il y a deux chansons qui portent le nom d’un lieu convivial où l’on boit, Le Café de la fin du Monde et La belle Anversoise. On pourrait presque transformer De la Nature des Choses en De la Nature de Gabriel YACOUB tellement on a l’impression de vivre intimement à ses côtés et dans ses pensées le temps de l’album. Même s’il reste au fond indéchiffrable.

Et que dire du fait qu’il regarde maintenant la mort en face dans Avant que de partir ? Mais il y a mieux comme preuve de l’avènement d’un Gabriel nouveau. On a, avec raison, glosé d’abondance à propos de Il aurait dû. Gabriel y a retrouvé la manière et la matière de ses premières amours chansonnières, ces protest songs à la Woody GUTHRIE ou à la Bob DYLAN. Plus que ça, il a également renoué avec des instruments dont il ne jouait plus depuis longtemps, tel le banjo à cinq cordes des Appalaches. Et contre qui proteste-t-il ? Pour coder à peine mes mots, comme dans la chanson, il dirige sa vindicte contre le sieur Buisson, chef des contrées fédérées, qui a envoyé ses légions pour renverser le césar de la Mésopotamie accusé, à tort mais surtout avec malice, d’avoir pris part dans l’abattement de deux tours jumelles situées dans ce qui fut la Nouvelle Amsterdam. Les frappes devaient être « chirurgicales » et la guerre « brève » mais on sait qu’il en fut en réalité, réalité toujours actuelle et cruelle.

Gabriel YACOUB en chanteur polémique (au sens précis du terme), voilà qui est neuf, même si auparavant il avait déjà repris le bouleversant You Stay Here de Richard SHINDELL. La nouveauté est qu’il prend maintenant sur lui de dénoncer, mais avec son ton à lui, mélange étonnant et détonnant d’acidité et de poésie. Mais il y a plus acerbe encore. A-t-on bien écouté les paroles prononcées dans Le Bois mort ? J’en parlais précédemment concernant le vocabulaire employé. Or, si on tend bien l’oreille, c’est saisissant. On y parle de « bandes d’ouvriers tranquilles résignés devant les grilles hautes des fabriques fermées ». Ceci donne le La de la chanson et explique le sens du terme « bois mort », ce poids mort à dégraisser dans les sociétés en mal de compétitivité sans souci du social et de l’humain en général. Mais plus loin on entend cela : « Je crains de grande crainte qu’on protège sans honte le bien de quelques uns d’une haie de bois mort ». Voici des mots très forts. Et il y en a d’autres qui suivent, qu’il faut bien peser : « On a même tenté sans le moindre embarras de nous faire croire encore à la fatalité des pauvres des miracles et en la destinée en ont rempli en vrac leur discours à ras bord ». Là, c’est tout le système, et la nature du système, qui est dévoilé. Non, Gabriel YACOUB ne nous avait pas habitué à ce genre de diatribes, même si ses albums passés ont déjà contenu des chansons montrant une colère sourde mais distillée en demi-mesure, comme dans Les Rues des vieilles Capitales où il est dit : « On garde le secret du froid et la nuit des quelques parisiens qui enjambent la mort pour tomber au matin ».

Je crois à ma thèse, De la Nature des Choses est le premier opus d’un Gabriel YACOUB nouveau, qui écrit encore mieux, qui ose plus et parle plus haut. Mais peut-être ai-je trop insisté sur cet aspect de l’album. Sûrement aurais-je dû donner plus d’importance à la beauté de l’œuvre. Cependant, je n’ai aucun doute que celle-ci comblera votre attente quand vous écouterez très bientôt, cet album indispensable.

Site : www.gabrielyacoub.com

Frédéric Gerchambeau

 

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