Gabriel YACOUB : sa chanson est dite
Figure importante de la musique folk francophone, le compositeur et chanteur Gabriel YACOUB a définitivement rendu les armes le 22 janvier 2025, à l’âge de 72 ans. Son nom est souvent associé dans les mémoires à celle du légendaire groupe Malicorne, qu’il avait co-fondé avec sa compagne Marie Sauvet en 1973. Mais Gabriel YACOUB a développé une carrière soliste non moins profuse et inventive que celle de Malicorne.
Né en 1952 à Paris, d’un père d’origine libanaise et d’une mère originaire du Loiret, Gabriel YACOUB s’est passionné dans sa jeunesse pour le rock anglais avant de découvrir le folk de Peter, Paul & Mary, Woody Guthrie, Bob Dylan, Donovan, Tom Paxton, ainsi que le blues, le gospel, le chant « a capella », les ballades anglaises et irlandaises. Avec deux amis du lycée, Youra Marcus et Phil Fromont, il fonde en 1969 un groupe folk, le New Ragged Company, qui sera actif durant deux années, puis forme un duo avec le violoniste flamand René Werneer, avec qui il explore un répertoire folk anglais et irlandais.
Tous deux se font enrôler dans le groupe d’Alan Stivell, rencontré lors d’une soirée au Centre américain de Paris, et explore un répertoire plus breton et celtique. À la guitare, au banjo, au dulcimer et au chant, Gabriel YACOUB enregistre deux albums avec Alan Stivell, À l’Olympia et Chemins de Terre, qui ont fait date dans le milieu des musiques folk et même au-delà, tant ils ont contribué au renouveau des musiques celtiques sur le territoire français. Mais n’étant pas très à l’aise avec les langue gaélique, galloise et bretonne, Gabriel quitte le groupe de Stivell à l’été 1973, bien décidé à explorer un répertoire traditionnel de langue française.
C’est ainsi qu’il enregistre, avec sa femme Marie Sauvet-Yacoub et plusieurs musiciens, le disque séminal Pierre de Grenoble, qui a en quelque sorte semé la graine du groupe Malicorne, que le couple YACOUB fonde en septembre 1973 (soit un mois avant la publication de Pierre de Grenoble) avec deux autres musiciens, le multi-instrumentiste Hughes de Courson et le violoniste Laurent Vercambre.
Empruntant au répertoire traditionnel de diverses régions de France, qu’il revisite à sa façon, Malicorne s’est imposé comme le fer de lance du renouveau des musiques folk et traditionnelles. De 1973 à 1981, le groupe a donné un sérieux coup de projecteur à tout un répertoire mal connu de chansons traditionnelles, lui apportant un éclairage novateur par des arrangements inédits combinant des instruments rares ou traditionnels (cromornes, cornemuses, vielles à roue, épinette des Vosges, psaltérion, harmoniums, bouzoukis et mandoloncelles) avec la technologie moderne, et en adaptant de magnifiques ballades chantées par Marie, ou « a capella », par tous les membres du groupe.
Outre le soin apporté aux arrangements musicaux, il faut souligner celui apporté aux pochettes d’albums, tous magnifiquement illustrés, avec les reproductions des textes des chansons, mais aussi des commentaires sur chacune d’elles indiquant leurs sources d’inspiration, leurs thématiques, et parfois même des définitions de termes anciens employés.
Le long de sept albums (six disques enregistrés en studio et un en concert), Malicorne n’a cessé de se renouveler, évoluant d’une groupe folk quasi acoustique (dont le troisième disque, Almanach, constitue une forme d’apothéose « conceptuelle » en plus d’un succès commercial et critique, puisqu’il deviendra double disque d’or) à une forme personnelle de folk progressif – avec notamment l’arrivée dans le groupe d’Olivier Zdrzalik-Kowalski (ex-Komintern) à la basse, aux claviers et au chant (l’album 4) – puis de folk-rock progressif avec L’Extraordinaire Tour de France d’Adélard Rousseau… et Le Bestiaire, albums qui révèlent quelques changements de personnel au sein du groupe, avec les arrivées de Patrick Le Mercier, Jean-Pierre Arnoux, Brian Gulland (Gryphon) et Dominique Regef, et les départs de Laurent Vercambre et de Hughes de Courson.
En 1978, alors que Malicorne est à son apogée, Gabriel Yacoub enregistre un premier album solo dont le titre résume toute sa démarche (ainsi que celle de Malicorne), Trad arr., puisqu’il y arrange des pièces du répertoire traditionnel français, et y affiche une quête de ses racines. Comme les trois derniers disques de Malicorne, cet album paraît sur Ballon noir, le label créé par Hughes de Courson.
Au début des années 1980, Malicorne tente une métamorphose encore plus radicale en collaborant avec le parolier Étienne Rhoda-Gil pour l’album Balançoire en feu, lequel désarçonne une partie de son public en troquant la saveur rurale d’antan pour un son plus pop-rock sur des textes relativement abstrus.
Le groupe se sépare en 1981. Il refait surface trois ans après, à la faveur d’une tournée nord-américaine, pour laquelle Gabriel et Marie sont accompagnés de nouveaux musiciens.
Puis, en 1986, Gabriel YACOUB se lance dans un nouvel enregistrement avec encore d’autres musiciens. Ce qui devait être son nouvel album solo paraît finalement sous le nom Malicorne, à la demande du fondateur du label Celluloid. Les Cathédrales de l’industrie désarçonnent une nouvelle fois le public, optant pour une esthétique quasi new wave, avec synthétiseurs et effets de réverbération, évoquant même les productions de Peter Gabriel, de Depeche Mode ou de Human League.
Le groupe effectue encore quelques concerts de 1987 à 1989, avec encore de nouveaux musiciens (et même une nouvelle chanteuse, Nikki Matheson, compagne de Gabriel à cette époque), puis se dissout.
Gabriel YACOUB poursuit donc sa carrière solo davantage tournée vers la composition, entre folk, rock, pop et chanson française (avec quelques influences trad’ subreptices), et enregistre un nouvel album. Elementary Level of Faith paraît en 1987. C’est son deuxième album solo après Trad. Arr., et on ne pouvait l’imaginer plus différent de celui-ci, tant il épouse les nouvelles technologies usitées par la « sono mondiale », avec synthétiseurs, séquenceurs et boîtes à rythmes. Ce n’est qu’une métamorphose de plus dans le parcours de Gabriel YACOUB, qui revient à des sonorités plus acoustiques sur Bel, son troisième album solo paru en 1990. Quatre ans plus tard, il renoue avec l’idée d’une suite conceptuelle avec l’album Quatre (Boucherie Productions), réalisé avec une belle brochette de musiciens qui prennent part aux compositions, ce qui lui confère un vrai « son de groupe ».
Gabriel YACOUB récidive en 1997 avec Babel, un autre album à la production ambitieuse, pas si loin du travail d’un David Sylvian, puis avec le plus sobrement titré :Yacoub:, sorti en 2001 sur Celluloid Mélodie. L’année suivante voit la parution d’un disque conçu pour le marché américain, The Simple Things We Said (traduction de l’une des plus fabuleuses chansons de Gabriel, les Choses les plus simples), qui contient d’anciennes et de nouvelles chansons ainsi que des inédites, enregistrées par des formations acoustiques plus conformes au son de scène de Gabriel YACOUB, qui se produit le plus souvent en trio avec Yannick Ardouin (basse, piano) et Gilles Chabenat (vielle à roue) et parfois avec une plus grande formation.
C’est du reste un double album live qui sort en 2004, Je vois venir, enregistré au Théâtre de Cornouailles de Quimper l’année précédente.
Je vois venir paraît sur Le Roseau, la société de production montée par Gabriel pour assurer ses enregistrements et ses spectacles. Cette structure réédite également les albums de Malicorne et fait paraître en 2008 ce qui sera l’ultime disque soliste de Gabriel, De la nature des choses, un disque dont la conception remonte à quelques années, mais dont la publication a été différée suite à la perte des maquettes dans un incendie de la maison où vivait Gabriel avec sa compagne Sylvie Berger (connue sous son nom d’artiste La Bergère), un événement tragique relaté dans les chansons Souvenirs oubliés et Le Feu.
En juillet 2010, l’impensable se produit : Malicorne, dans sa configuration originelle (avec donc Laurent Vercambre et Hugues de Courson, et même Olivier Kowalski) augmentée de plusieurs invités issus de la nouvelle génération, se reforme le temps d’un concert aux festival les Francofolies de La Rochelle, qui fera l’objet d’une publication en DVD et en CD.
À la fin de l’année 2011, Gabriel Yacoub et Marie Sauvet ressuscitent leur duo pour une tournée baptisée l’Almanach Tour, sous le nom « Gabriel et Marie de Malicorne ». Et comme par un effet d’écho de ce qui s’était passé à l’époque de l’album Pierre de Grenoble, le duo se transforme dès la fin de l’été 2012 en une nouvelle formule de Malicorne ! Le groupe tourne et promet un nouvel album. Mais en dépit de la tenue de quelques concerts et de la parution en 2015 d’un EP, Les Cendres de Jeanne (dédié comme on s’en doute à la Pucelle d’Orléans, et qui voit la collaboration du groupe vocal corse A Filetta), qui prouve qu’une nouvelle production « malicornienne » est toujours possible, un véritable album se fait attendre… en vain ! Le temps et les disponibilités des uns et des autres manquent…
De guerre lasse, Malicorne joue son tout dernier concert en 2017 au festival du Chant de marin de Paimpol, durant lequel Gabriel Yacoub retrouve Alan Stivell, lui aussi programmé à ce festival : en duo, les deux artistes interprètent Tri Martolod et Les Filles sont volages, une chanson que Malicorne avait enregistré sur son premier album.
Outre son travail avec Malicorne et pour ses albums solo, Gabriel Yacoub a laissé d’autres traces collaboratives. Avec Emmanuel Pariselle et Marc Robine, il a notamment produit un coffret de quinze CD, Anthologie de la chanson française (paru chez EPM en 1994) et pour lequel il a enregistré dix-huit chansons. Il a de plus participé au spectacle Excalibur d’Alain Simon, dans lequel il chante en duo avec Roger Hodgson de Supertramp et avec le groupe folk anglais Fairport Convention.
Au fil des ans, Gabriel a contribué à des albums des groupes Ys (Madame la frontière), Oskorri (25 Kantu, 25 Urte), Laïs (Dorothea + le EP Le Grand Vent), Ambrozijn (10), Les Ogres de Barback (Pitt Ocha au Pays des Mille Collines), Hiks (Boson), ou encore aux disques de Didier François Brave New World et Vagabonde de Cécile Corbel. Enfin, il a contribué à deux bandes originales de film de Jacques Perrin, Le Peuple migrateur et Océans, sur des musiques de Bruno Coulais.
Gabriel Yacoub a de même écrit quelques ouvrages : Les Instruments de musique populaires et leurs anecdotes ; Brendan et les musiques celtiques (livre-disque pour enfants dont Gabriel a écrit le texte) ; Les Choses les plus simples (recueil de textes de chansons) ; et Je resterai ici, un recueil de chroniques subjectives et aléatoires du Boischaut-Sud en Bas-Berry, une région qu’affectionnait particulièrement Gabriel, et où il a vécu ses dernières années (il résidait à Marcay et est mort à Bourges).
Gabriel YACOUB laisse un héritage artistique riche et impressionnant qui lui a valu d’être récompensé de la distinction d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2013. Que ce soit avec Malicorne comme à travers son parcours soliste, il a ravivé tout un fonds patrimonial à nos mémoires, l’a propulsé dans la modernité et a repoussé les frontières de la musique folk et le regard trop borné que certains pouvaient avoir sur elle. On peut parler de « nouvelle musique traditionnelle » à propos de son travail, tant il a éveillé les esprits et l’inspiration d’artistes très divers et a stimulé l’imagination du public.
Adieu l’artiste. Tu es parti physiquement trop tôt ; mais on sait que, musicalement et spirituellement, tu resteras toujours ici.
Nous adressons toutes nos condoléances à sa famille et à ses proches.
Article : Stéphane Fougère
Photos de concert : Sylvie Hamon
PS : Pour qui souhaiterait en savoir plus sur Malicorne, nous recommandons l’ouvrage Malicorne d’Aubaud Choutet paru aux éditions Le Mot et le Reste en 2016.
Enfin, pour qui voudrait en connaître davantage sur la discographie de Gabriel YACOUB, nous recommandons l’article rédigé par notre confrère Frédéric Gerchambeau disponible sur notre site : https://rythmes-croises.org/gabriel-yacoub-du-prince-d-orange-aux-mots-d-un-archange/
Gabriel Yacoub et La Bergère à la Maison pour tous à Chatou (78), le 24 janvier 2004
Gabriel Yacoub au Café de la Danse à Paris (75), le 27 mai 2008
Malicorne au Trianon à Paris (75), le 21 septembre 2014
Malicorne au Festival du Chant de Marin à Paimpol (22), le 12 août 2017
Alan Stivell avec Gabriel Yacoub au Festival du Chant de Marin à Paimpol, le 12 août 2017