GANG CHENPA – Voices from Tibet
(MW Records)
Des voix tibétaines, l’Occident en a désormais entendu résonner un bon nombre à travers la production, somme toute assez prolifique, de CD de musique bouddhiste sacrée et de films comme Kundun, Himalaya ou 7 ans au Tibet. C’est du reste pendant le tournage de ce dernier, en 1996, que Namgyal LHAMO, Kelsang Chukie TETHONG, toutes deux retenues pour leurs talents vocaux (malheureusement pas mis en valeur dans la BO du film) hérités de leur apprentissage au sein du Tibetan Institute of Performing Arts (TIPA) dans leur jeunesse, ont rencontré Tobden GYAMTSO, un chanteur versé dans les légendes tibétaines et contraint lui aussi à l’exil, notamment du fait de son légitime militantisme antichinois. Eu égard à leur identité de Tibétains exilés et à leur passion commune pour la musique et le chant traditionnel de leur Terre d’origine, tous trois ont formé le groupe GANG CHENPA (le « peuple du pays des neiges »), voué à assurer la pérennité de leur culture musicale profane.
Car si la musique rituelle jouée dans les temples, avec ses chants harmoniques, ses trompes et ses tambours, n’est plus franchement une inconnue pour le public occidental amateur de musiques ethniques « racées », il n’en est pas de même pour le patrimoine plus spécifiquement populaire. Sans aller jusqu’à distinguer de façon radicale au Tibet une musique religieuse et une musique profane – puisque la culture tibétaine est essentiellement imprégnée de spiritualité -, il y a en effet au « Pays de Bod » tout un répertoire dont les racines remontent à l’époque d’avant l’oppression chinoise et qui, de ce fait, est savamment obscurci par le régime des envahisseurs, comme tout ce qui peut rappeler aux Tibétains leur indépendance… Au Tibet, les jeunes générations sont sevrées d’une pseudo-pop music sinisée et tout est mis en ordre pour qu’elles ignorent l’héritage de leur passé.
Au regard de ce sinistre contexte, la démarche préservatrice de GANG CHENPA est donc salutaire et primordiale. La pureté de l’interprétation revendiquée par le trio n’a rien du réflexe obscurantiste, mais relève bien plutôt d’une détermination suprême à valoriser la lumière d’une conscience identitaire.
Voices from Tibet réunit ainsi seize chants provenant des différentes régions de ce pays haut perché telles que le Kham, l’Amdo, le Kongpo, etc. Chants de dévotion, de compassion, chants romantiques, chants de montagne, chants de sagesse ou hommages à la tradition, ils sont interprétés en solo, en duo ou en trio et permettent de goûter les inflexions et les ornementations si caractéristiques à l’expression vocale tibétaine. Namgyal LHAMO, Kelsang Chukie TETHONG et Tobden GYAMTSO donnent, non sans ravissement, l’impression de danser en apesanteur, même lorsqu’ils sont accompagnés du luth (dranyen) ou du timpanon (gyumang), qui servent principalement à donner le ton et à assurer une pulsation rythmique.
La grâce fragile de leurs envolées vocales témoigne d’une ferveur inaliénable qui touche aux valeurs fondamentales de l’être et de l’existence, et l’on comprend alors en quoi la sauvegarde du patrimoine tibétain est vitale pour tout un chacun.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°8 – avril 2001)
Label : http://www.musicwords.nl