Inde du Nord : Ram NARAYAN – L’Art du sarangi

395 vues
Inde du Nord : Ram NARAYAN – L’Art du sarangi
(Ocora – Radio France)

« L’instrument aux cent couleurs », c’est l’appellation poétique la plus courante par laquelle on désigne le sarangi, cette vièle à archet de quelque 70 centimètres typique des cultures indienne, pakistanaise et népalaise. D’après une légende, le sarangi aurait été inventé par le roi-démon du Ramayana, Ravana (d’où son autre nom : Ravanahasta). Plus historiquement, la forme du sarangi, d’abord rudimentaire, a été définie au XIVe siècle par le mystique soufi Amir KHUSRAU – considéré comme le fondateur de la musique hindoustanie – et s’est sophistiquée au cours des siècles au point d’en faire un instrument à l’ample pouvoir expressif et reconnu pour sa richesse sonore.

On en joue avec un archet plutôt large et lourd avec la main droite, tandis que les effets de glissando et de gamaks (oscillations rapides) sont produits par la main gauche, en faisant glisser les dos des ongles sur les cordes en boyau. Les cordes sympathiques, dont le nombre (33) est plus élevé que sur un sitar ou un sarode, contribuent à créer sur les mélodies un enveloppement sonore continu assez particulier, plaintif, limite funèbre, mais aussi parfois radieux. Sa capacité à imiter les contours et les inflexions de la voix humaine en a fait un instrument de prédilection pour l’accompagnement du chant classique.

Présenté ainsi, on croirait avoir affaire à un instrument noble. Mais en fait, le sarangi a longtemps dû se contenter du statut d’instrument « inférieur » (car traditionnellement associé à la danse, donc aux courtisanes), jusqu’à ce qu’un musicien, avec moult persévérance et détermination, en fasse un instrument de concert soliste et le hisse au rang d’instrument phare de la musique classique d’Inde du Nord : il s’agit de Ram NARAYAN.

Originaire d’Udaipur, ville de l’État du Rajasthan, Ram NARAYAN est né, comme bon nombre de sommités artistiques indiennes, dans une famille de musiciens. Il fut initié au sarangi dès l’âge de six ans et, à quatorze ans, faisait déjà partie d’une troupe de musiciens professionnels pour l’All India Radio de Lahore. Il a au fil du temps acquis une belle réputation en tant qu’accompagnateur de grands chanteurs tels que Omkarnath TAKKUR, Bhimsen JOSHI, Bade Ghulam ALI KHAN, ou encore l’illustre tabliste Chatur LAL, qui n’est autre que son frère. (Ram NARAYAN joue sur son album solo The Drums of India, de 1961.)

Frustré de son simple rôle de soutien, le « sarangiste » s’est mis à travailler pour le cinéma indien à Mumbai (Bombay) avant de se décider à se produire en tant que soliste, ce qui, dans le milieu traditionaliste d’alors, était plutôt perçu comme une hérésie. Son initiative fut ainsi reçue avec hostilité par le public lors de sa première à Mumbai, en 1954. Mais Ram NARAYAN a fini par s’imposer deux ans plus tard et s’est dès lors commis uniquement en tant que soliste, non seulement en Inde, mais aussi, dès les années 1960, aux États-Unis et en Europe.

Son premier enregistrement pour un label français (BAM) date de 1964, et son deuxième fut pour Ocora – Radio France, avec de très doctes notes de livret rédigées par le professeur Trân VAN KHÊ. C’est celui-ci qui est à présent réédité dans ce CD digipack, après avoir été réédité une première fois en CD en 1998. À la base constitué de trois morceaux captés par l’ORTF en 1971, l’Art du sarangi est ici pourvu d’un quatrième enregistré à Bombay en 1979, et qui figurait à l’origine sur le double LP Ram NARAYAN en concert (publié lui aussi sur Ocora en 1984, et dont une autre partie a également été rééditée en CD en 1989).

Quatre ragas sont donc réunis sur ce CD. Selon la définition de l’indianiste Alain DANIÉLOU, ce cadre ou mode musical que l’on nomme raga est un « ensemble de sons correspondant à un climat émotionnel particulier et dans lequel le musicien développe un thème, généralement sous forme d’improvisation, et suivant certaines règles ». Les climats émotionnels créés par les ragas étant liés à des saisons et à des moments d’une journée, Ram NARAYAN déploie dans ce disque une ample palette émotionnelle puisqu’il joue un raga du matin (Baïragi-Bhairav), un raga du soir (Madhuvanti) et un raga nocturne (Shankara), tous trois hindoustani, ainsi qu’un raga d’origine carnatique (Inde du Sud), Kirwani. Chacun dépeint donc un sentiment différent et permet à Ram NARAYAN d’exposer toutes les capacités techniques de son instrument.

YouTube player

L’Art du sarangi dévoile un Ram NARAYAN aussi rigoureux dans son approche qu’inventif dans ses évolutions mélodiques, exubérant par instants, recueilli à d’autres, lunaire dans les alap (introductions non mesurées), solaire dans les gat (compositions avec rythmique), combinant parfaitement le style dhrupad et le style khyal. Il est de plus soutenu au tabla par Suresh TALWALKAR, dont le style s’inscrit dans la continuité et l’esprit de celui de Chatur LAL.

YouTube player

En 1971, Ram NARAYAN n’avait pas encore été récompensé par les prestigieux « Sangeet Natak Academy Award » (Grand Prix de l’académie Natak de musique) et par le « Padma Shri » (quatrième plus haut prix décerné par le gouvernement indien) – qu’il obtiendra en 1976 – mais l’Art du sarangi prouve qu’il était déjà au sommet de son jeu et a contribué à sa reconnaissance internationale. Il était donc indispensable de rééditer cette archive ; on espère que les autres LP de Ram NARAYAN (notamment le disque en concert sur Ocora) bénéficieront du même traitement.

Stéphane Fougère

Label : https://www.radiofrance.com/les-editions/collections/ocora

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.