Jean-Luc Hervé BERTHELOT / ARCANE WAVES – Disrupted Insight
(Autoproduction)
Jean-Luc Hervé BERTHELOT est un musicien tellement discret qu’il passe sous tous les radars alors même qu’il a plus de 110 albums à son actif, dans tous les genres, les premiers étant sortis dès le début des années 1970. C’est dire quel j’ai plaisir à chroniquer le nouvel opus de cet immense compositeur pratiquement inconnu en France. Un de ses albums s’intitule La Part du Silence. Cela s’applique parfaitement à lui. Une des photos les plus connues de Jean-Luc Hervé BERTHELOT, qui date des années 1970, le montre devant un système composé de deux EMS VCS3, d’un EMS AKS et d’un séquenceur Roland 104. Sur une autre photo, aussi largement diffusée, on le voit entouré de synthés marqués par les années 1980. Mais sur la plupart de ses albums, il n’utilise que des logiciels tout à fait virtuels. Cependant, pour ce tout nouveau Disrupted Insight, il emploie principalement un modulaire Eurorack. C’est assez dire qu’en 50 ans de musique électronique, Jean-Luc Hervé BERTHELOT a tout vu, tout fait, tout connu.
C’est pourquoi je ne peux me pencher sur ce nouveau Disrupted Insight qu’avec le sentiment du dernier album en date d’un véritable sage du synthétiseur, un album fruit d’une expérience et d’un savoir-faire sans bornes. De fait, Disrupted Insight mélange essentiellement des paysages soniques purement électroniques d’un niveau stratosphérique et des « field recordings » d’une qualité extraordinaire. Tout cela peut paraître complexe, voire intimidant. En réalité, c’est tout le contraire. C’est parfois un tantinet étrange, mais c’est surtout très doux, voire même douillet. On lance l’album et il n’y a plus qu’à se laisser porter d’atmosphère en atmosphère tout en rêvant à l’infini.
Il n’y a rien à comprendre à Disrupted Insight, c’est juste un tapis volant sonique. On peut y reconnaître ici et là de l’eau qui coule, des voix ou des aboiements de chiens au loin, peu importe, c’est le voyage sonore qui compte, cette impression d’être passé dans un sorte d’univers parallèle et de se promener tranquillement en flottant. Évidemment, si on se penche sur la science qui permet à Jean-Luc Hervé BERTHELOT de parvenir à un album aussi maîtrisé et aussi stupéfiant, là ça devient tout de suite beaucoup plus profond.
Mais s’y plonger est toucher du doigt à quel point chaque album de Jean-Luc Hervé BERTHELOT est un trésor de musique électronique. Et, je vous le redis, il y en a plus de 110 comme ça, dans tous les genres…
10 questions à Jean-Luc Hervé BERTHELOT…
Peux-tu nous dire un peu qui tu es et comment tout a commencé pour toi concernant la musique ?
JLHB : Je suis juste une personne qui aime la musique et les assemblages sonores. Tout a commencé dans les années 1960 par une écoute indirecte du rock anglais. Mon grand frère en écoutait à longueur de journée ; il achetait en fait tout ce qui venait de Grande-Bretagne.
À la fin des années 1960 et au début des 1970, cette influence a été prépondérante dans mes écoutes, mais je me suis également intéressé au free jazz (SUN RA), au jazz (Miles DAVIS), au bouillonnement électronique venant d’Allemagne, au rock alternatif français, et à des électrons libres comme, par exemple, Frank ZAPPA. Je m’intéressais également au recherches sonores de Pierre HENRY et de Ilhan MIMAROGLU, deux musiciens qui n’hésitaient pas à franchir les barrières des genres musicaux.
Toutes ces influences, directes ou indirectes, sont à l’origine de ma passion pour les structures sonores.
Une des premières photos de toi te montre devant un système composé de deux EMS VCS3, d’un EMS AKS et d’un séquenceur Roland 104. Peux-tu nous parler de cette époque et des albums que tu sortais en ce temps-là ?
JLHB : J’ai pu à l’époque (milieu des années 1970) m’offrir ce matériel grâce aux commandes de musiques de la chorégraphe Karine MARIN et du réalisateur Louis VIALAT. On retrouve certaines de ces musiques sur les trois premiers albums du projet JIHEL ; un bide total à l’époque ! (rire).
Je garde un bon souvenir de cette période. La rigueur du travail en studio d’enregistrement m’a permis d’évoluer dans la façon de créer ma musique et, surtout, d’apprendre beaucoup de choses en techniques de production.
Une photo prise plus tard, dans les années 1980, te montre entouré de synthés de cette époque. Comment avais-tu évolué alors en tant que compositeur et pour quels genres de productions ?
JLHB : La photo date du début des années 1990 et montre mon premier studio partiellement numérique (système 24 pistes numérique et console analogique compacte). Une période dédiée aux musiques de films, principalement documentaires et musiques additionnelles pour le cinéma, et toujours des musiques de scène pour des chorégraphies. Tous les titres non-utilisés, ou refusés, sont devenus le projet TALES dès 1996. Le projet ZREEN TOYZ a absorbé les musiques les plus expérimentales.
Encore un peu plus tard, il n’y a plus eu de photos de toi et de tes synthés, parce que tu t’es mis à utiliser des tas de logiciels. Comment s’est fait ce changement et pour quels types d’albums ?
JLHB : Un espace de travail avec un ordinateur, ce n’est pas très sexy comme photo ! (rire) Plusieurs facteurs ont fait bouger les choses : la futilité d’entasser du matériel, la montée en puissance des ordinateurs, l’évolution qualitative des logiciels, et certaines rencontres professionnelles m’orientant vers le design sonore et l’habillage d’expositions artistiques.
À part les musiques pour films documentaires, ces expériences sonores se retrouvent sur les albums de ZREEN TOYZ et par la suite sur le projet ARCANE WAVES.
Venons-en à Disrupted Insight. Peux-tu nous parler à ta manière de ce tout récent album et de l’utilisation de modules eurorack que tu y fais ?
JLHB : À l’origine, il n’était pas question de faire un album ; c’était une commande pour l’habillage sonore d’une exposition de peinture sur « les brumes marines ». Mais la pandémie du coronavirus a suspendu le temps, et tout a été annulé. Je me suis retrouvé avec une boucle sonore de deux heures qui, hors du cadre de l’exposition, n’avait plus aucun sens.
En parallèle, j’avais commencé l’assemblage d’un petit système modulaire Eurorack. Certains modules étant autonomes, je les ai utilisés, après découpage de la boucle en plusieurs morceaux, pour souligner et texturer certains passages, et ajouter quelques artefacts bruitistes. Le résultat final est devenu l’album Disrupted Insight.
FG – Un de tes albums s’intitule La Part du Silence. Peux-tu nous en parler ?
JLHB : La musique et le silence sont étroitement liés. Le silence permet de mettre en valeur différents passages sonores, de refléter une émotion, d’accentuer une mélodie, de donner plus d’impact à un rythme ; c’est, d’une certaine manière, la respiration du morceau.
Dans cet album, les silences sont à la fois respirations et, principalement, des « non-dits » entre les micro-histoires sonores. C’est un album qui peut être dérangeant pour les auditeurs ; les silences y sont parfois pesants, et déstructurent complètement les morceaux.
Tu as eu l’immense chance de pouvoir rencontrer Conrad SCHNITZLER. Peux-tu nous dire en quoi ce musicien t’a influencé et comment s’est passé cette rencontre ?
JLHB : Influencé, je ne pense pas ; nous avions surtout en commun une approche identique des assemblages sonores. Nous nous sommes brièvement rencontrés lors d’un concert de KLUSTER en 1971 à Berlin, puis plus longuement en 1973 et 1975, toujours à Berlin. On peut considérer ces rencontres comme celles de deux électrons libres, évitant clans, groupuscules et chapelles musicales, avec les mêmes déstructurations sonores en tête.
Nous nous sommes revus plusieurs fois, soit à Paris, soit à Berlin, et nous sommes toujours restés en contact épistolaire.
Avec maintenant 114 albums au compteur, quels autres sentiers sonores et musicaux te restent-il à parcourir ?
JLHB : Je ne pensais pas avoir fait autant d’albums ; je ne les compte pas. Il faut bien sûr répartir ce nombre sur cinquante années de tribulations sonores, et plus d’une vingtaine d’albums sont des collaborations, notamment le duo ZREEN TOYZ & WEHWALT devenu par la suite BERTHELOT & LAUNAY. Il y a aussi une dizaine d’albums qui sont des compilations de titres réalisés pour diverses compilations.
Je travaille actuellement sur les « Miniatures Héliotropiques », un retour vers une musique instrumentale très inspirées des années 1970, une sorte de patchwork où l’on trouve du Jazz, des ambiances électroniques, et, pour citer quelques influences, l’esprit des compositions décalées de LARD FREE, d’Albert MARCŒUR, d’ÉTRON FOU LELOUBLAN.
Allez, évadons-nous un peu. L’Asie semble avoir été longtemps l’un de tes thèmes de prédilection. Peux-tu nous parler de son importance pour toi ?
JLHB : On ne peut pas dire que l’Asie soit importante pour moi ; elle représente seulement deux périodes de ma vie, celle des voyages, et celle de la trilogie asiatique du projet Tales. Dans le dernier opus de cette trilogie (Sagarmatha), j’ai utilisé des enregistrements réalisés sur des marchés au Sikkim et au Nepal.
Que voudrais-tu dire encore en matière de conclusion ?
JLHB : J’essaie d’appliquer au quotidien l’unique règle de Maître Alcofribas Nasier et des Thélémites : « Fay ce que vouldras ».
Chronique et entretien réalisés par Frédéric Gerchambeau
Site : http://jlhb.free.fr/
Pages : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_Herv%C3%A9_Berthelot