Peter HAMMILL – Consequences

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Peter HAMMILL – Consequences
(FIE! Records)

Sans aller jusqu’à saturer l’espace médiatique (exercice que l’intéressé, de par la nature de sa démarche, ne peut guère susciter), l’actualité discographique de Peter HAMMILL a été particulièrement importante dans la première moitié de l’année 2012 puisque, entre un coffret live de 7 CD et un album expérimental de VDGG (Alt), le « thin man » nous a en plus régalé d’un nouvel album ! À la prédisposition jubilatoire pour le fan peut cependant succéder un décontenancement dû au trop grand contraste artistique des œuvres publiées.

Le coffret Pno Gtr Vox Box livrait un HAMMILL « mis à nu » dans ses performances scéniques même, réinterprétant ses classiques, ses gros calibres, ses secondes mains et ses petits-derniers avec une liberté, une audace et un goût du danger qui engendrent le tout et son contraire (extrapolations, dépassements, accidents, ratages, flamboyances…). Le live, c’est la vérité dans l’instant, entre corde raide et fulgurance. Or, le travail de studio de Peter HAMMILL ne s’inscrit pas nécessairement dans cette perspective.

On le sait, HAMMILL a toujours mis un point d’honneur à assurer tout seul la prise en charge totale de ses disques, de l’écriture à la publication, de l’enregistrement au mixage. Depuis Singularity, Peter HAMMILL n’invite même plus aucune « voix » extérieure, tous les instruments sont joués par lui, et aucun regard extérieur n’intervient dans la production (contrairement à Fireships, qui est désormais bien loin). Paradoxalement, depuis que VAN DER GRAAF GENERATOR a été réactivé, Peter HAMMILL, dans son travail soliste, se renferme de plus en plus sur lui-même.

Conçus autour de la même triade instrumentale (piano, guitares, voix), ses disques solo illustrent un souci de l’arrangement qui se traduit par diverses expérimentations fondées sur l’empilement, la superposition des couches de voix, de guitares et de piano. Toute la difficulté réside dans la construction et le placement équilibrés de ces matières vocales et instrumentales, de façon à ne pas plomber, ternir ou dévoyer la charge émotionnelle de ses chansons.

Cette obsession du son mono-tonal et de la production monomaniaque peut hélas engendrer un sentiment de monotonie ou de lassitude chez l’auditeur. Aussi, la réception de ce nouvel album dépendra donc de la disponibilité de chacun vis-à-vis de cette approche caractérisée par une économie de moyens, et l’exploitation de ceux-ci au bout de leurs possibilités.

Autant dire que pour apprécier Consequences, on a intérêt à accepter les règles du jeu et à être en phase avec les options esthétiques de Peter HAMMILL. Il n’est que d’écouter le plus long morceau, Perfect Pose : notes dissonantes de piano, petites boucles répétées de guitare électrique, « soundscapes » fantomatiques, basse ronflante, voix éprouvée… tous les éléments sont réunis pour concocter une ambiance torpide et floutée qui rappelle celles de Thin Air.

Pour autant, Consequences n’a pas l’évanescence troublée de son prédécesseur, mais il a gardé – là encore sans surprises – son fond de noirceur diluée. On navigue entre tristesse avalée, rage contenue, clairvoyance courroucée et sérénité mélancolique ou blessée. Et comme il fallait s’y attendre, l’accroche mélodique immédiate n’est pas au menu.

Les dix chansons de Consequences ne sont pas d’un abord facile, et leurs structures sont délicates à investir sous leurs couches diverses de piano, guitare acoustique et électrique, basse, voix, chœurs et percussions qui ne cessent de décliner la dialectique du trop peu et du trop plein. Et Peter HAMMILL ne nous facilite pas la tâche en commençant par Eat My Words, Bite my Tongue, qui n’est clairement pas la plus réussie des mises en bouche.

Consequences ne démarre vraiment qu’avec le malsain et insidieux That Wasn’t What I Said, ponctué de notes de piano insistantes et arrosé de salves acrimonieuses de guitare électrique. Si Constantly Overheard et Close to me jouent les funambules entre douceur meurtrie et sucrerie maussade, New Pen-Pal avance à pas feutrés mais ne semble guère aller quelque part. All the Tiredness se vautre dans une langueur malaisée à laquelle on ne succombe pas tout de suite mais qui s’incruste perfidement dans les esprits. Scissors interrompt en fin de course sa marche chavirée par un assaut cauchemardesque de guitare électrique que l’on n’avait plus l’habitude d’entendre chez HAMMILL.

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Et dans chaque morceau, des voix « usheriennes » et des chœurs se voulant évanescents consolident le terrain, ou bien l’encombrent, comme c’est peut-être le cas sur Bravest Face, qui aurait gagné à moins de maniérisme d’arrière-plan. (Gageons que l’interprétation live se chargera de remédier à cela…)

La thématique générale de ce trentième disque solo semble, à en juger par les titres de ses morceaux, traiter des difficultés, des excès, des maladresses de communication, de ces malentendus et intempestivités qui confinent au malaise relationnel. Et ça se termine par une révélation fataliste nourrie conjointement au désespoir et à la foi : A Run of Luck a tous les atouts pour devenir un classique de la scène, et un des préférés tout court dans l’œuvre protéiforme et tentaculaire de Peter HAMMILL. Et s’il s’impose dans Consequences, c’est aussi parce qu’il le clôt en habits de soirée, c’est-à-dire qu’il est plus dépouillé que les autres, et que son impact émotionnel en est plus immédiat.

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Après avoir déconcerté et divisé les uns et les autres avec neuf morceaux aux arrangements à la fois méticuleux et minimalistes qui font obligatoirement débat, Peter HAMMILL met tout le monde d’accord avec un morceau voix/piano dont on jurerait qu’il a été pris en live, d’une traite. Plus de fioritures, rien que de l’essentiel : l’émotion vive qui ne vous quitte plus et vous plante en plein désarroi après la dernière note. Écouter du Peter HAMMILL a toujours des « conséquences »…

Stéphane Fougère

Site et label : www.sofasound.com

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°32 – septembre 2012)

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One comment

  1. Merci pour cet article, Consequences n’est pas facile et demande de la patience et de l’attention… j’ai eu la chance de voir un concert de cette période (2012) « Bravest face » et « Run of luck » en furent deux grand moment ! Run of luck est sans doute une des chansons les plus sombres de Peter Hammill mais quelle beauté ! Encore merci !

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