Jean-Luc THOMAS & Ravichandra KULUR : Les Magiciens du bois et du bambou

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Jean-Luc THOMAS
& Ravichandra KULUR

Les Magiciens du bois et du bambou

Quand un maître de flûte d’un rocher occidental rencontre un autre maître de flûte d’une terre orientale, il y a fort à parier que leur « communauté de souffle » se laisse porter par les vents du large les plus aventureux. C’est ce qui s’est passé pour Jean-Luc THOMAS, musicien voyageur breton, et pour Ravichandra KULUR, l’un des virtuoses les plus sollicités (et plébiscités) du presque-continent indien : ils ont fait connaissance lors d’une création dans un festival en Allemagne, et se sont trouvés suffisamment d’affinités pour poursuivre et pour approfondir leur dialogue artistique et le muer en un projet musical inédit et inspiré qui a été consigné sur un CD, Magic Flutes (label Hirustica), dont RYTHMES CROISÉS s’était fait l’écho en 2016.

Bien plus qu’un « duo de flûtes », ce projet a embarqué d’autres musiciens – un guitariste colombien, des percussionnistes indiens et bretons – dans un voyage sonore qui part d’un double ancrage indo-breton pour s’évader sur des sentiers inattendus aux autres parfums d’ailleurs.

Depuis ses débuts, bien qu’ayant peu tourné, Magic Flutes a connu plusieurs combinaisons instrumentales. C’est donc un projet en mouvement permanent, et l’entente tant artistique qu’humaine qui s’est développée entre THOMAS et KULUR a engendré une impulsion créative fort prometteuse, en dépit des agendas chargés de l’un et de l’autre. Entre le souffle du bois et celui du bambou, les saveurs maritimes des côtes bretonnes et les jardins d’épices du Kerala, du Karnataka et du Tamil Nadu, ces Magic Flutes inventent des territoires acoustiques écrits et improvisés, chatoyants et conviviaux.

Nous avons rencontré ces deux magiciens du souffle pour qu’ils nous en disent plus sur leurs parcours et leur rencontre et sur leurs approches respectives de la musique de l’autre.

Entretien avec Jean-Luc THOMAS
et Ravichandra KULUR

Votre CD Magic Flutes est sorti il y a deux bonnes années, mais je crois que le projet a démarré bien avant ? 

Jean-Luc THOMAS : C’était en 2013, à Rudolstadt…

Ravichandra KULUR : C’est là qu’on s’est rencontrés pour la première fois, en juillet je crois. Nous sommes restés en contact, et j’ai demandé à Jean-Luc : « Pourquoi ne viendrais-tu pas en Inde ? » Et il a débarqué en 2014. C’est là que le projet a commencé.

Comment avez-vous construit le répertoire ?

JLT : D’abord nous avons enregistré rien que nos deux flûtes dans un studio de Bangalore. Une fois en Bretagne, nous avons invité le percussionniste Jérôme KERIHUEL et le guitariste colombien Camilo MENJURA, qui est venu de Londres, et nous les avons enregistrés. Puis Ravichandra a pris les enregistrements et est retourné dans le studio de Bangalore pour enregistrer deux percussionnistes locaux qui jouent du kanjira, du mridangam, du cajon, du tabla, etc. On a ensuite fait un mixage en Bretagne en envoyé le tout à Bangalore ; ils ont écouté et ont fait quelques modifications, etc.

C’est donc un enregistrement qui a beaucoup voyagé !

RK : Nous voulions avoir les meilleurs musiciens d’Europe comme d’Inde pour ce projet. Mais les faire voyager et rester dix jours durant ici aurait été très, très coûteux.

De Rudolstadt à Bangalore

Pourquoi avez-vous fait appel à d’autres musiciens ? Vous aviez senti que quelque chose manquait ?

JLT : Quand Ravi et moi avons commencé à jouer ensemble en Allemagne, c’était pour la création Magic Flute qui comprenait neuf flûtistes. Il y avait Kudsi ERGUNER, de Turquie, Fushi TSUKUDA, joueur de shakuhachi japonais, Yacouba MOUMOUNI du Mali, un flûtiste de Colombie, un autre du Danemark, un autre encire d’Irlande… Tous ces flûtistes avaient été invités au festival pour ce projet spécial. Pendant les répétitions, Ravi et moi sommes devenus amis. Il m’a invité à Bangalore en janvier 2014, et nous avons joué avec un batteur, un bassiste et un claviériste. C’était de très bons musiciens en plus d’être de bons amis de Ravi, mais ils me donnaient trop de pression ! C’était trop électrique ! J’ai dit à Ravi qu’ils étaient excellents, mais que j’avais du mal…

RK : C’est vrai que ça jouait fort ! Nous avons réfléchi – particulièrement Jean-Luc, mais j’étais d’accord avec lui – et nous avons décidé qu’il fallait mieux chercher, un son « fusion » à la manière de John McLAUGHLIN avec SHAKTI, mais assez orienté « world ». Or, nous avions des amis communs en Allemagne, rencontrés quand nous faisions cette création. Il y avait parmi eux un étonnant guitariste ; et la première chose à laquelle on a pensé était de l’avoir comme troisième musicien. Heureusement pour nous, Camilo MENJURA vivait à Londres, ce qui a facilité les choses. Ça aurait été très difficile d’amener quelqu’un qui vivait au Brésil ou en Colombie. Habitant à Londres, il pouvait venir en Bretagne quand il voulait. Alors on l’a invité. On lui avait envoyé auparavant tous les morceaux, il a travaillé dessus et quand il nous a envoyé les idées qu’il avait en tête, ça a donné quelque chose de très, très différent.

Vous avez donc opté pour un son plus acoustique, et vous avez donc fait appel à des percussionnistes.

JLT : C’est ça. On a recruté Jérôme KERIHUEL et deux percussionnistes indiens.

RK : On a utilisé deux percussions indiennes : le mridangam, qui est la percussion principale dans la musique classique d’Inde du Sud. Cet instrument a plus de 2000 ans d’âge ! Sa sonorité est très profonde, et de nombreux et fabuleux musiciens jouent de cette percussion en Inde du Sud. La seconde percussion est un tambour sur cadre appelé kanjira.

On a pris des percussionnistes qui ont des agendas très chargés, mais ils convenaient parfaitement pour notre musique. On a également pris un autre percussionniste qui joue du tabla ; c’est un élève de Zakir HUSSAIN. Il joue aussi de la percussion africaine et du cajon péruvien.

Des combinaisons différentes

Il y a eu donc en tout sept musiciens impliqués dans Magic Flutes. Avez-vous déjà fait des concerts tous ensemble ?

JLT : En fait, ce qu’il y a de très singulier dans cette aventure pour moi, c’est que chaque combinaison musicale a ses propres caractéristiques, sa propre histoire. SERENDOU, c’est une histoire entre Yacouba MOUMOUNI et moi, ainsi qu’avec Boubacar SOULEYMANE. Et il semble qu’avec Ravi l’histoire est telle que nous sommes aujourd’hui. Juste nous deux. Mais on peut avoir une formation pour nos amis en Europe, une autre en Inde, peut-être une autre au Brésil (on a joué avec Carlos MALTA à Rio). Nous sommes des amis, maintenant. Nous avons joué en France avec le percussionniste Prabhu EDOUARD. L’an dernier, il y a eu un guitariste pour le festival Fifres et Garonne, à Bordeaux (St-Pierre d’Aurillac), où je jouais tous les ans. Tu devrais aller là-bas ! C’est une incroyable rencontre de musiciens ! Le vendredi, chacun joue sa musique, mais le dimanche, tout le monde joue ensemble. C’est comme ça qu’on a eu Carlos MALTA sur scène avec nous ! Dans l’album Magic Flutes, j’ai composé un morceau pour lui appelé Pifano Carioca. C’est un très grand ami.

Et donc, plusieurs amis ont joué dans notre projet. On veut toujours joué avec Camino, qui réside à Londres et qui est donc proche de la Bretagne et de Paris. Quand nous sommes allés en Inde l’année dernière, en janvier, nous avons fait une tournée, et chaque soir il y avait une formation différente ! C’était une idée de Ravi : pas d’instruments harmoniques, rien que des percussions ! Dans la plupart des concerts, on était accompagnés par deux percussionnistes. Je devais être très concentré parce que les codes classiques de la musique d’Inde du Sud étaient nouveaux pour moi. Je ne les connaissais pas. Je me suis initié à la façon de faire ayurvédique parce que chaque soir je devais me concentrer avec tous ces maîtres. Ravi pourrait en dire plus sur cette tournée en Inde et ces musiciens.

RK : Dans les concerts de musique classique indienne, à la différence de la musique occidentale, il y a deux maîtres sur scène, parfois trois. Toutes leurs vies ils ont étudié auprès de leurs maîtres, ils les ont accompagnés sur scène et, un jour, se sont produits eux-mêmes en solo sur scène, accompagnés par leurs percussionnistes favoris. Jouer sur scène est très formateur pour eux. La musique est faite de parties fixes composées, et de larges parties improvisées. Certains musiciens sont des virtuoses en concert, mais leur présence d’esprit n’est pas toujours totale et parfois ils ne tiennent pas la route. Ceux qui deviennent des légendes de la scène sont aussi des grands maîtres et ont une grande présence d’esprit. Ils savent anticiper, prévoir, prédire ce que tel maître va faire, où il va aller, et ils l’accompagnent et y investissent toute leur énergie. Chaque jour est différent. On ne sait pas ce qui peut se passer demain.

Par exemple, quand je dois faire un concert solo, j’appelle mes percussionnistes préférés, tout au moins l’un d’entre eux, en fonction de leurs disponibilités. J’en connais huit que je préfère. Je sais qu’ils comprennent ma sensibilité, ils savent donc comment répondre à ce que je fais sur scène, ils me complètent.

Et je me suis dit que pour Magic Flutes ce serait bien d’essayer de fonctionner comme ça. Pour notre premier concert à Bangalore, nous avions un très bon joueur de tablas et un très bon joueur de ghatam. C’était différent. Pour le concert suivant, nous avions le joueur de ghatam et un joueur de kanjira. Chacun d’eux est un expert ; tous deux sont jeunes. Je leur ai envoyé la musique, et ils ont développé leur propre truc… Le joueur de ghatam venait du Bengale, il jouait aussi du shehnaï. Et le son était très différent de celui que nous avions à Bangalore. C’était donc une nouvelle musique. Quand on a joué à Delhi, nous avions des percussionnistes du Rajasthan, des musiciens itinérants qui jouaient des khartals. Le joueur de ghatam était également présent, mais la combinaison était différente et donc le son était lui aussi différent.

La musique était fondée sur des ragas ou sur des thèmes folkloriques ?

RK : Elle était principalement fondée sur de la musique classique, sur des ragas. Mais sur les vingt dernières minutes du concert, nous avons expérimenté sur des thèmes plus légers, des thèmes folkloriques, des choses comme ça… Mais au début du concert, c’était du lourd ! C’était de la musique sérieuse, avec plein d’ornementations, des rythmes complexes, etc.

Nord et Sud : la musique indienne
dans tous ses états

Ravi, tu as été formé à la musique carnatique ?

RK : Oui, mais j’ai également été formé à la musique hindoustanie. Peu de musiciens d’Inde du Sud jouent la musique du Nord. Je me suis pris d’intérêt pour la musique d’Inde du Nord. Et par chance, j’ai eu l’opportunité de faire une tournée avec le célèbre Ravi SHANKAR en 2005. Ça m’a ouvert les yeux sur la musique hindoustanie, sur ce que le public attend d’un concert en dehors de l’Inde, sur ce qu’il faut faire pour capter l’attention de tout le monde… On peut se trouver face à un public qui ne connaît rien à la musique indienne, mais à la fin de la soirée, quand il sort de la salle, il doit se sentir heureux ! Il faut savoir satisfaire les personnes érudites qui sont venues écouter de la musique traditionnelle, des ragas imposants avec des improvisations, mais il faut de même contenter les gens qui ne connaissent rien à cette musique. Ça m’a ouvert les yeux. Tu sais quel grand maître de musique était Ravi SHANKAR… J’ai appris tellement de choses quand j’ai été avec lui pendant six ou sept ans, puis ensuite avec sa fille Anoushka.

Y a-t-il de grandes différences entre la musique hindoustanie et la musique carnatique ?

RK : Oui. Il y a beaucoup de similitudes, mais les différences se font sentir dans le programme d’un concert. Par exemple, il y a de nombreux ragas communs aux musiques du Nord et du Sud, mais quand tu écoutes des musiciens du Sud jouer un raga, ils y ajoutent plein de « gamakas » (ornementations), des intonations. L’interprétation est plus rigide, grave, profonde. Alors qu’avec des musiciens du Nord, le même raga est joué de façon plus légère, plus lumineuse. L’approche du système est complètement différente.

Il y a pourtant les mêmes « talas », les mêmes systèmes rythmiques ?

RK : Oui. Si un raga a sept temps, nous le jouons en sept temps. Mais l’approche hindoustanie de ce cycle de compositions à sept temps sera différente de l’approche carnatique. Il y a aussi des histoires de combinaisons mathématiques… Et les compositions jouées en musique carnatique datent d’il y a 200, 300, 400 ans, et leurs structures font d’elles de grandes compositions qui peuvent durer dix minutes, avec deux ou trois parties ; c’est très, très composé. Mais en musique hindoustanie, les compositions ont juste une, ou deux, ou trois lignes, et l’accent est davantage mis sur les passages improvisés. L’improvisation compte aussi dans la musique carnatique, mais les structures des compositions comptent tout autant. Au Nord, la musique est à 90 % improvisée ; alors que dans le Sud je dirais qu’elle s’élève à 60/70 %.

Les percussions sont également plus nombreuses dans la musique carnatique…

RK : Oui. Il y a le kanjira, le ghatam, le mridangam : ce sont tous de très anciens instruments.

Passeurs de flûtes

Jean-Luc, avais-tu des affinités avec la musique indienne avant de rencontrer Ravichandra ?

JLT : Oui, bien sûr. Comme tous les flûtistes au monde, j’ai écouté Hariprasad CHAURASIA…

Bien évidemment !…

JLT : Bien évidemment ! On ne peut pas passer sa vie sans l’écouter… J’ai écouté Hariprasad CHAURASIA pendant plus de vingt ans ; je l’ai vu jouer en Bretagne deux fois, je suis venu spécialement à la Cité de la musique pour écouter REMEMBER SHAKTI il y a une quinzaine d’années, je crois… Et en 1994-95, j’ai créé une coordination informelle de flûtistes avec Jean-Michel VEILLON, Jean-Mathias PÉTRI… c’était une association informelle de joueurs de flûtes en métal, en bois, des musiciens de jazz, de classique, contemporains, traditionnels, juste pour travailler sur des questions communes.

La première chose que nous avons organisé était un « workshop » d’une semaine avec Harsh WARDHAN, qui est un maître de la flûte bansuri, et un concepteur de flûtes bansuri. Il est venu en Bretagne, dans un très vieux manoir et donnait des leçons à six heures du matin. De fait, les musiciens classiques venaient à la première séance, et les musiciens traditionnels un peu plus tard… Puis, tard dans la nuit, on allait manger des pancakes dans une crêperie, et on jouait des jigs ! Il y avait Jean-Michel VEILLON, Stéphane MORVAN et d’autres…

C’était en 1994 il me semble… Depuis, Harsh est revenu plusieurs fois. À cette époque, j’enseignais encore un peu la flûte, et j’ai recommandé à l’un de mes élèves, Christophe BARATAY, d’aller suivre la classe de Harsh WARDHAN. Il y est allé, et après il a arrêté de jouer de la flûte en bois pour dédier sa vie à la flûte bansuri ! C’est aussi un « geek », et il a créé une fascinante application, « iTabla Pandit ». C’est une application de tablas digitaux avec laquelle tu peux créer tes propres tons, tes propres modes…

Bref, je sais que lorsqu’on veut jouer de la musique indienne il faut abandonner tout le reste, aller en Inde et dédier sa vie à cela. Ce n’est pas ma voie. Mais quand j’ai rencontré Ravi à Rudolstadt, alors qu’on était en pause, il m’a demandé : « Est-ce que tu connais un peu la musique indienne ? » Je lui ai répondu « Non, non, juste quelques parfums, mais pas la « deep real thing » ! Et là, il m’a dit : « Mais il y a quelque chose d’intéressant dans ton jeu. Viens à Bangalore ! » J’avais juste quelques connexions avec la musique hindoustanie, je n’avais aucune connaissance de la musique carnatique. Mais tout dans ma vie est question de rencontres humaines. Nous avons une très bonne relation Ravi et moi, et c’est ça qui est le plus important en ce qui me concerne.

Mon ambition n’était pas d’aller en Inde découvrir la musique carnatique, c’était de la découvrir à travers Ravichandra KULUR. C’est aussi la façon dont je travaille avec Carlos MALTA, Yacouba MOUMOUNI, et d’autres dans mon parcours musical. Je sentais que j’étais prêt à ce moment-là parce que j’improvise beaucoup. Quand j’ai démarré en 1994, j’étais un flûtiste folk et trad’ breton, un musicien de fest-noz ; je n’étais pas prêt à improviser autant. J’avais besoin de mes mélodies. Maintenant, je me sens plus libre, je peux monter sur scène sans savoir ce que je vais jouer. Je sais que je peux écouter Ravi, prendre ses idées, les changer, les transformer. J’adore faire cela avec Michel GODARD et tant d’autres musiciens.

La chronologie était donc idéale pour rencontrer Ravi en 2013. J’ai pu apprécier l’être humain avec ses qualités exceptionnelles, en même temps que le fantastique musicien qu’il est. Le temps que nous avons passé à Bangalore en 2014 est inoubliable pour moi. Ce fur un moment vraiment incroyable. C’est pourquoi nous avons décidé de continuer et de faire vivre cette utopique idée de rencontre entre nos deux flûtes…

RK : D’une certaine façon, quand j’ai entendu ces flûtes celtiques pour la première fois avec Jean-Luc et un autre musicien d’Irlande, j’ai trouvé que plusieurs techniques et façons de souffler étaient très proches de la musique carnatique, qu’il y avait plein de choses communes dans les ornementations. La musique est certes différente, mais en matière de techniques de jeu de flûte j’ai constaté des similitudes entre la musique celtique et la musique carnatique. Je ne m’imagine pas collaborer avec un flûtiste turc ou un flûtiste japonais, mais avec la musique celtique je pense qu’il y a plein de possibilités à creuser. Ça a été particulièrement intéressant de passer du temps avec Jean-Luc à essayer de voir comment on pouvait construire la musique de Magic Flutes.

JLT : Surtout en ce qui concerne les gammes. Dans le disque, il y a un morceau avec des microtons et une vieille gamme bretonne.

 

Choisir ses flûtes

Jean-Luc, avais-tu déjà joué de la flûte bansuri ?

JLT : Non, mais c’est drôle parce que, lorsque j’ai rencontré Ravi à Rudolstadt, il m’a posé exactement la même question ! Je possède une bansuri, mais ça ne veut pas dire que j’en joue ! Mais j’en ai une. « D’où la tiens-tu ? » m’a-t-il demandé ? « Elle me vient de Harsh WARDHAN. » « Ah ! C’est le meilleur en Inde ! » m’a-t-il dit ! Donc je joue de la bansuri à ma façon, et j’adore le faire. Du reste, quand je joue au Cirque Zingaro quasiment tous les soirs, avant de monter sur scène, je me mets à la bansuri durant une demi-heure, et j’improvise. J’ai mon tampura, et j’improvise à la bansuri juste pour atteindre mon centre de concentration.

Mais tu n’improvises pas nécessairement dans les gammes indiennes ?

JLT : J’ai essayé de jouer dans certaines gammes indiennes, mais pour le moment je ne maîtrise pas bien… Peut-être qu’après quelques leçons avec Ravi… Mais ma vie musicale reste attachée à la flûte en bois.

Tu penses que l’approche est totalement différente ?

JLT : Ça peut l’être, en effet. Il y a certaines choses en commun cela dit, si on veut vraiment creuser profond dans la musique. Bien sûr, il est difficile de jouer des reels, des jigs ou des gavottes avec une flûte bansuri. Et jouer un raga avec une flûte en bois me paraît insensé. Mais quand on improvise, on peut « cuisiner » quelques petites choses, comme j’aime le faire : préparer un curry indien avec des patates bretonnes, par exemple ! (rires)

Ravi, tu joues de la flûte bansuri, mais il y a aussi une flûte plus spécifique à l’Inde du Sud ?

RK : Oui, il y a la flûte murali qu’on trouve dans la musique carnatique. Elle est plus petite que la bansuri. Alors que la flûte d’Inde du Nord a six trous de jeu, la flûte du Sud en possède huit, mais on en utilise généralement que sept en usant du majeur, ce que l’on ne fait pas dans le Nord. Certaines choses que l’on fait avec une flûte en bois occidentale sont également possibles à faire avec une flûte carnatique. En fait, plein de choses sont faisables avec la murali alors quelles ne le sont pas avec la bansuri. Le son de celle-ci est profonde et résonne directement dans les chakras. Quand je suis arrivé au Bengale pour travailler comme flûtiste professionnel, j’ai joué pas mal de bansuri et enregistré de nombreuses sessions. À cette époque, j’avais l’habitude de jouer un peu de la flûte en métal, un peu de la flûte classique et même un peu d’ocarina. Mais aujourd’hui, je ne joue pratiquement plus que de la flûte en bambou, à la fois du Nord et du Sud de l’Inde.

JLT : Je dois dire une chose au sujet des flûtes de Ravi : l’année dernière, sur mon blog, j’ai écrit un très long article sur la tournée que nous avons faite avec tous ces percussionnistes qui changeaient chaque soir, et j’ai évoqué la fois où nous nous sommes rendus au workshop d’un fabricant de flûtes. J’ai posté plein de photos de ses flûtes ; c’est un endroit fabuleux pour moi ! Ravi avait essayé plein de flûtes, peut-être bien une centaine ! Puis il a fait une sélection, comme s’il devait faire la coupe du monde de football ! Il en gardé une vingtaine, puis une dizaine, puis cinq… Au final, il est parti avec deux flûtes ! (rires)

RK : C’est comme choisir des vins ! (rires)

Prochains Passages

Ravi, as-tu eu l’occasion de jouer à Paris auparavant ?

RK : Oui, je dois même dire que Paris est ma ville préférée pour jouer de la musique. J’y suis venu pour différentes projets. Je suis notamment venu ici avec Ravi SHANKAR pour une master class à la Salle Pleyel.

JLT : On peut trouver ça sur youtube ! Il suffit de taper « Ravi SHANKAR master class Salle Pleyel », et on voit Ravi !

RK : Je dois revenir l’année prochaine pour de superbes créations, l’une d’entre elles étant une pièce novatrice pour orchestre indo-occidental écrite par Ravi SHANKAR et Philip GLASS et qui s’appelle Passages. Il en existe un enregistrement sur CD assez populaire, enregistré à la fin des années 1980, je crois. À l’époque, c’était quelque chose de complètement « hors du monde ». Ils ne l’ont jamais jouée sur scène, seulement enregistrée en studio. Ou plutôt, ils l’ont enregistrée live en studio ! L’année passée, on l’a jouée pour la première fois à Londres, au Royal Albert Hall je crois. On la rejouera donc à Paris l’année prochaine à la Philharmonie, avec des musiciens indiens et un orchestre de chambre parisien, et je serai soliste. Ce sera comme une symphonie. Anoushka SHANKAR sera également présente au sitar, et l’ensemble sera dirigé par une célèbre chef d’orchestre, Karen KAMENSEK. La musique de Philip GLASS étant un peu différente de ce qui se fait en musique classique occidentale, Karen est la meilleure pour diriger sa musique. Donc j’attends avec impatience de pouvoir jouer cette musique à Paris ! Je sais que ce sera un événement spécial pour moi !

Tu joues donc toujours avec Anoushka SHANKAR ?

RK : Oui, je la suis en tournée, nous donnons des concerts classiques acoustiques, je collabore avec elle. En dehors de ça, elle s’implique aussi dans des projets plus électro, mais je n’en fais pas partie.

Avez-vous déjà des idées pour un nouvel album ?

JLT : On a essayé de créer un nouveau morceau avec Camilo MENJURA, mais il il est clair qu’il nous faudrait quelqu’un pour s’occuper du groupe. Notre album est sorti il y a deux ans et a reçu de très bonnes appréciations critiques de partout dans le monde, mais nous n’avons donné que six concerts ! Donc on essaye de faire vivre cette musique.

RK : Notre album a été sélectionné comme l’un des meilleurs albums de musiques du monde en 2017, ce dont nous sommes assez heureux. Nous tenons vraiment à poursuivre ce voyage pour très, très longtemps. Je pense que c’est une musique unique, spéciale qui combine le meilleur de la musique indienne, le meilleur de la musique celtique et même le meilleur de la musique sud-américaine. Je crois fermement qu’il peut toucher plusieurs publics dans le monde entier et que tout le monde peut y trouver du plaisir à l’écouter.

JLT : Ce qui peut nous arriver de mieux est de trouver des partenaires pour nous aider à jouer davantage sur scène. Même si nous sommes chacun très occupés, le mieux est de commencer à songer à ce qu’on peut faire dans les deux prochaines années pour jouer sur scène, et après sans doute on pourra faire un second album.

Entretien réalisé par Stéphane Fougère
Photos : Cie Hirundo Rustica, Samuel Jouon et Philippe Ollivier

Lire la chronique du CD Magic Flutes.

PS : Jean-Luc THOMAS se produit actuellement au sein du spectacle Ex Anima de BARTABAS au Théâtre équestre Zingaro, à Paris, jusqu’à fin décembre 2018. Son prochain projet discographique, Kerlavéo, sortira le 1er février 2019.

Comme annoncé dans l’entretien, Ravichandra KULUR se produira en concert à la Philharmonie de Paris avec Anoushka SHANKAR dans le spectacle Passages (Ravi SHANKAR + Philip GLASS) en mai 2019.

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