Jewlia EISENBERG : une « charmante hôtesse » est partie…
Compositrice, chanteuse, bassiste, chantre et éducatrice américaine (née à Brooklyn), Jewlia EISENBERG s’est éteinte le 11 mars 2021 des suites de complications d’une déficience immunitaire rare. Son activité artistique, principalement centrée sur une interaction entre la voix, le chant, et la conscience de la diaspora juive, se confond en bonne partie avec celle de Charming Hostess, groupe qu’elle avait fondé et dirigé, présentant son orientation musicale par les termes « Nerdy-Sexy-Commie-Girly ».
S’appuyant sur trois voix féminines, la musique de Charming Hostess brassait diverses inspirations, passant d’un très électrique et déjanté « klezmer-punk/balkan-funk » sur ses deux premiers albums, Eat (1999, Vaccination Records) et Punch (2004, ReR Megacorp) – sur lesquels jouaient des membres des groupes avant-gardistes Sleepytime Gorilla Museum et Idiot Flesh (notamment Dan Rathbun) -, à un traitement plus acoustique dans lequel les voix étaient prédominantes, accompagnées ça et là par un violoncelle, un harmonium, un violon, un « beatbox », etc., sur ses albums suivants, Sarajevo Blues (2004), traitant du génocide bosniaque, et The Bowls Project (2010), inspiré par des inscriptions d’anciennes amulettes juives babyloniennes, tous deux parus dans la série « Radical Jewish Culture » du label Tzadik.
Paru sur le même label, Jewlia EISENBERG avait également réalisé en 2001 un album solo, Trilectic, dans lequel elle contait les relations intellectuelles et érotiques du philosophe Walter Benjamin et sa muse marxiste Asja Lacis. Avec la violoncelliste et chanteuse Marika Hughes et le batteur Scott Amendola, Jewlia EISENBERG avait également créé le groupe Red Pocket, auteur d’un unique album, Thick, en 2004 (Tzadik), à la poésie slammée fortement secouée.
En 2005, elle avait conçu la partition d’une performance de danse aérienne, The Grim Arithmetic of Water, avec le chorégraphe Jo Kreiter. Elle avait de même travaillé ces derniers temps avec le guitariste Jeremiah Lockwood (Sway Machinery) sur le projet Book of J, qui brassait chants psalmodiques américains, chants en yiddish, chants paraliturgiques mystiques et sensuels, et des chants de Leonard Cohen. Jewlia EISENBERG avait également créé des installations d’espaces hybrides mêlant performance musicale, rituel expérimental dans lequel les visiteurs étaient conviés à participer.
Outre que ses créations ont été récompensés par plusieurs prix, Jewlia EISENBERG a souvent été sollicitée par des musées ou des fondations pour divers projets, notamment pour une recherche de terrain et des enregistrements de femmes juives dans la région du Gondar, en Éthiopie.
Pour autant, Jewlia EISENBERG avait déclaré en 2005 au journal The Boston Phoenix : « J’ai réalisé que je ne voulais pas être une ethnomusicologue ; je voulais être une star du rock. » Son parcours a démontré que l’on pouvait faire l’un comme l’autre, en empruntant des voies de traverses.
Stéphane Fougère
Site : www.charminghostess.us