Jon HASSELL a rejoint son « quatrième monde »
Le trompettiste et compositeur américain Jon HASSELL s’est éteint le 26 juin 2021 à l’âge de 84 ans, suite à des problèmes de santé qu’il subissait depuis plus d’un an. Il laisse une œuvre musicale aussi singulière que pionnière qui a élargi le champ des musiques électro-acoustiques et atmosphériques en révélant un monde sonore utopique, celui du « quatrième monde » ou « quart-monde », défini comme un « son unifié primitif et futuriste » où se croisent et se combinent des éléments de la modernité technologique occidentale et des éléments des cultures anciennes, traditionnelles des « continents du Sud » (Afrique, Asie).
Le graphiste et designer Thierry MOREAU, dont les travaux portent notamment sur la déterritorialisation et la dystopie détemporalisée, rappelle les principaux aspects et étapes du parcours créatif de Jon HASSELL.
Jon HASSELL, ou la théorie du rêve déplacé
Jon HASSELL : Trompettiste, musicien né le 22 mars 1937 Memphis (Tennessee) dont les techniques singulières de jeu et de souffle continu puisent leurs sources auprès des musiciens classiques indiens, notamment auprès du chanteur Pandit PRÂN NATH. Après avoir obtenu une maîtrise en musique à New-York, il poursuit ses études à Cologne auprès de Karlheinz STOCKHAUSEN. Parmi ses compagnons de formation se trouvent Irmin SCHMIDT et Holger CZUKAY, qui formeront le groupe allemand de Krautrock CAN. Il joue avec l’avant-garde minimaliste dont Terry RILEY sur In C et LaMonte YOUNG dans Dream House.
Jon HASSELL a déplacé les contours des musiques world et a façonné un univers qu’il a qualifié de musique du « quatrième monde », transmigration des géolocalités de l’Inde, de l’Afrique, du minimalisme et du jazz, de l’électronique, autant de déterritorialisations qui nous emmènent dans des contrées rêvées hors du temps.
Son deuxième album, Earthquake Island (1978), jette un pont entre le Miles DAVIS des années 1970 avec l‘utilisation de la Wah-wah et le début de WEATHER REPORT (Mysterious Traveller, en 1974) donne une dimension funk cosmique planante. Sa rencontre avec Brian ENO transforme son approche du son, sa trompette traitée d’effets électroniques le fera entrer dans la sphère des musiques « ambient » dont ENO est l‘instigateur.
Le disque sorti en 1980, Fourth World, Vol. 1: Possible Musics, ouvre la voie d’une musique world primitive futuriste, précurseur de toute une tendance qu’on retrouvera chez des labels comme Real World, Extreme, Hit Sunc Leones, il sera le mentor de musiciens comme Steve ROACH, Robert RICH, TUU, Steve SHEHAN, TEMPS PERDU, Paul SCHÜTZ, MO BOMA…
Sa vision de la « Fourth World Music » est une combinaison de musiques « anciennes d’origines ethniques et tribales » et de traitements technologiques futuristiques.
Son album City:Works of fiction marque l’entrée dans un univers de jungle urbaine, jetant ainsi un pont entre les jungles tropicales et les sons hip-hop, funk et des instruments et échantillonnages dub, de samples.
On dira de Jon HASSELL qu’il est le lien entre Miles DAVIS et l’ambient. Il parlera alors de « Magic Realism », expression qui deviendra le sous-titre de ses albums Aka/Darbari/Java et Maarifa Street. Sa trompette, tel un raga spatio-temporel, sillonne des deltas de l’Afrique, orne les percussions d’eau, les tambours du Burundi, les chants aka, les rythmes des gamelans balinais, des boucles électroniques, des nappes en échos distanciés.
Suivront des collaborations avec des gens tels TALKING HEADS (Remain in Light), Ry COODER et le flûtiste indien Ronu MAJUMDAR (Hollow Bamboo), Peter GABRIEL (Birdy, Passion), FARAFINA (Flash of the Spirit), David SYLVIAN (Brilliant Trees, Alchemy), LIGHTWAVE (Bleue comme une orange), HADOUK TRIO (Utopies), Jon BALKE et Amina SALAOUI (Siwan)… De plus, des trompettistes comme Arve HENRIKSEN, Nils Petter MOLVAER, Mathias EICK, Erik TRUFFAZ et Paolo FRESU se revendiquent de l’héritage « hassellien ».
La musique de Jon HASSELL, c’est aussi une réelle rigueur sur le son, travail d’orfèvre où s’intègrent des motifs décoratifs en apesanteur, des tonalités délicates aux motifs changeants. Jon HASSELL nous emporte au delà du temps, des espaces et des localités. Un grand générateur de rêve est parti.
Merci Monsieur HASSELL.
Article et image de couverture réalisés par Thierry Moreau
( https://moreauthierry2965.wixsite.com/graphic)
Autres photos : pochettes Disques
Discographie solo Jon HASSELL :
Vernal Equinox (Lovely Music, 1977, réédition CD : 2020)
Earthquake Island (Tomato, 1978)
Fourth World, Vol. 1: Possible Musics (Editions EG, 1980), with Brian Eno
Dream Theory in Malaya: Fourth World Volume Two (Editions EG, 1981)
Aka/Darbari/Java: Magic Realism (Editions EG, 1983)
Power Spot (ECM, 1986)
The Surgeon of the Nightsky Restores Dead Things by the Power of Sound (Intuition, 1987) (enregistrements live)
Flash of the Spirit (Intuition/EMI Electrola, 1988), (avec FARAFINA)
City: Works of Fiction (Opal/Warner Bros., 1990 ; édition augmentée : All Saints, 2014)
Dressing for Pleasure (Warner, 1994) (avec BLUESCREEN)
Sulla Strada (Materiali Sonori, 1995) (avec I MAGAZZINI)
The Vertical Collection (Sketches) (Earshot, 1997) (avec Peter FREEMAN, de BLUESCREEN)
Fascinoma (Water Lily Acoustics, 1999)
Hollow Bamboo (Water Lily Acoustics, 2000) (avec Ry COODER, Ronu MAJUMDAR et Abhijit BANERJEE)
Maarifa Street: Magic Realism Volume Two (Label Bleu, 2005)
Last Night the Moon Came Dropping Its Clothes in the Street (ECM, 2009)
Listening to Pictures (Pentimento Volume One) (Ndeya, 2018)
Seeing Through Sound (Pentimento Volume Two) (Ndeya, 2020)
Site : https://jonhassell.com/