Julie TIPPETTS – Sunset Glow
(Esoteric Recordings)
Ce disque sorti chez Utopia en France en 1975 a dû se vendre à l’époque à quelques dizaines d’exemplaires. Il a été réédité pour la première fois en CD en 1999 chez Blueprint (sans compter les rééditions pour la marché japonais) et c’est Esoteric Recordings qui, à l’automne 2022, le remet à disposition, cette fois en CD digipack, avec un livret comprenant un essai de Sid SMITH (qui a beaucoup écrit sur SOFT MACHINE, KING CRIMSON…), en même temps que la première œuvre solo de la chanteuse, dont on peut suivre les traces depuis qu’elle se nommait Julie DRISCOLL en 1969 – avec l’album précisément titré 1969 – jusqu’à maintenant (NDLR : un cinquième et double album avec Martin ARCHER, Illusion, est paru en 2022).
Inévitablement, il faudrait replacer ce disque à l’intérieur de la « carrière » de Julie TIPPETTS, le rattacher aux disques jalons, méconnus, inconnus, reconnus longtemps après, qui marquent, font reculer les barrières de la musique, des genres, il faudrait également développer l’idée de ces artistes, qui, à côté de leur carrière en groupe, décident en solo d’explorer au plus profond des pistes entrouvertes par eux, entrevues en groupe, de privilégier leurs propres compositions, de sortir le caché de leurs tourments ou de leur douleur, des mélodies qu’eux seuls sont à même de prendre en charge, surtout seuls, surtout sans l’aide de quiconque.
Évidemment, on pensera au presque contemporain Rock Bottom de Robert WYATT, rien à voir, ici pas de douleur, pas de retour à la vie à dire, pas d’introspection, plutôt de la contemplation, pas de cri, même masqué en chuchotements, pas de sanglots qui font frissonner, même si les musiciens qui accompagnent un peu Julie TIPPETTS sont de la famille SOFT MACHINE, même si ceux-ci connaissent les uns et les autres, Sunset Glow n’est pas un disque à rattacher à l’univers de Canterbury.
Sunset Glow est véritablement une parenthèse dans l’œuvre de Julie TIPPETTS qui est ensuite retournée à des expériences improvisées comme Voice en 1976 avec Maggie NICOLS et Phil MINTON et Sweet and S’ours avec Maggie NICOLS à nouveau en 1978 (NDLR : album paru en 1982). Julie TIPPETTS faisait partie depuis 1970 d’ensembles de jazz improvisés du SPONTANEOUS MUSIC ENSEMBLE, de CENTIPEDE à ARK en passant par OVARY LODGE ; en 1975, Sunset Glow est tout le contraire d’un disque improvisé, c’est un disque contrôlé, structuré en chansons, assemblé de telle façon que l’émotion arrive à son comble dès la troisième chanson et ne descende plus jusqu’à Behind the Eyes qui ferme le disque ad libitum.
Après le morceau Sunset Glow, le dépouillement des arrangements (piano et cuivres) fait ressortir les voix dédoublées et le susurrement des mélodies étirées, enchevêtrées, rythmées par un accord de piano très simple et répétitif sur sept minutes et débouchant sur la plus belle composition du disque, Now if You Remember, comptine en deux phrases (« Listen to a Lullaby, We Were Talking about God and You » ), reprises sur à peine deux minutes en boucles. Ce n’est pas un disque de la douleur, c’est un disque de l’apaisement, de quelqu’un qui s’enchante à broder sur des mélodies et des refrains simples (Lilies), comme s’ils étaient des vieux folk-songs revisités par l’improvisation de la voix dans la sérénité, démolissant sans hystérie la structure conventionnelle des chansons et s’abandonnant au fil de sa voix, jusqu’à épuiser chaque chanson.
Sur Lilies, What is Living et Behind the Eyes, Julie TIPPETTS fait tout, toutes les voix, les arrangements, le disque finit comme une très longue et très belle berceuse que Julie TIPPETTS se serait offerte à elle-même, à un auditeur en secret, à qui elle confie un peu d’elle, chantant seule devant la mer, jusqu’à l’extinction des instruments de studio, murmurant sur le dernier morceau « Behind the Eyes, I Cry for You, Beyond Any Sorrow, a Smile or Two… » Même si parfois des détails ont vieilli (la pochette n’est pas très belle et un peu ratée, et les propos sont un peu hippisants), l’émotion reste intacte et Sunset Glow ne se compare pas, inévitablement.
Xavier Béal
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°7 – octobre 2000,
et mise à jour en 2022)