TRI YANN repart en croisade

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TRI YANN repart en croisade

 

 

 

 

Le 16 décembre 2022 disparaissait Jean-Paul CORBINEAU des suites d’une leucémie à l’âge de 74 ans. Il était l’un des fameux TRI YANN, groupe légendaire de la scène folk-rock bretonne, qui a fait ses adieux à la scène en septembre 2021, après un peu plus de cinquante ans d’une carrière jalonnée de nombreux albums et de spectacles toujours plus extravagants. Jean-Paul CORBINEAU était évidemment l’un des chanteurs principaux des TRI YANN avec ses compères Jean-Louis JOSSIC et Jean CHOCUN. Si tous trois chantaient souvent à l’unisson, ou même en chant à répondre, le timbre vocal de Jean-Paul CORBINEAU le prédestinait à chanter également des ballades et des complaintes assez mémorables, comme Pelot d’Hennebont, Si Mort a Mors, La Ville que j’ai tant aimée, Les Pailles d’or brisées, La Complainte de Marion Du Faouêt,  parmi d’autres…

En hommage à Jean-Paul CORBINEAU, RYTHMES CROISÉS remet à disposition un article publié dans ETHNOTEMPOS il y a une douzaine d’années et comprenant un entretien avec Jean-Paul CORBINEAU, suivi d’un deuxième entretien avec un autre « Yann », Jean CHOCUN. 

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2010 s’annonce comme une année importante pour TRI YANN puisque le groupe annonce à la fois un nouveau CD studio et une longue tournée (courant 2011) pour fêter dignement ses 40 ans de scène ! En attendant, rencontre avec deux des Trois Jean dans les coulisses de l’Agora d’Evry (Essonne)

Entretien avec Jean-Paul CORBINEAU

Les albums de TRI YANN ont tous une thématique ?

JPC : C’est vrai, et cela s’est fait naturellement. Par exemple, le troisième disque (Suite Gallaise) parle du Pays Gallo, Belle et Rebelle a pour sujet la ville de Nantes… Cependant, on ne peut pas dire que le thème existe forcément dès le départ de la réalisation. C’est au fur et à mesure que l’album se développe qu’une idée globale se dégage. Jean-Louis JOSSIC qui est comme chacun le sait la « locomotive » du groupe, propose une thématique. À partir de là, les musiques, traditionnelles ou celles composées par un des membres du groupe, les arrangements, les paroles vont appuyer l’ambiance générale du disque.

Aviez-vous prévu de faire Abysses après Marines et ainsi réaliser un dyptique sur la mer ?

JPC : Pas tout de suite, mais il est vrai que l’idée est venu assez vite. Marines est un disque sur le dessus de la mer et ce que l’homme perçoit. Quand au dernier (Abysses), c’est une sorte d’hymne dédié aux profondeurs de la mer et donc à l’imaginaire… Certains albums ont des thèmes fictifs et d’autres sont plus basés sur le réel : Urba avec des chansons comme Plogoff est de cela.

Comment vous organisez-vous au moment de la préparation d’un nouvel album ?

JPC : Chacun à son rôle. Il y a d’abord la complicité qui unit Les Trois Jean que nous sommes. C’est notre force et le public nous reconnaît aussi pour cela. Pour le reste, ce ne sont pas les trois membres fondateurs du groupe qui décident de tout.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de difficultés, mais chacun vient se greffer autour de l’idée générale pour faire aboutir le projet. Jean-Louis JOSSIC donne l’impulsion et nous allons nous greffer dessus, même si nous avons nous aussi nos propres idées. Jean CHOCUN a un rôle très important : il est non seulement musicien mais c’est aussi lui qui gère administrativement le groupe.

Mon rôle est quelquefois d’amener des mélodies, Gérard GORON apporte des rythmiques, des arrangements, Christophe PELOIL et Fred BOURGEOIS s’occupent des chœurs, des harmonisations, Konan MEVEL s’affaire autour des percussions, des flûtes et cornemuses tandis que Jean-Luc CHEVALIER est le spécialiste des guitares.

Vos chansons ont des thèmes très actuels ?

JPC : Nous avons souvent dit dans des entretiens ou ailleurs que « La bergère va de moins en moins aux champs et de plus en plus souvent au supermarché ! ». C’est vraiment la démarche de TRI YANN, nous voulons mettre la chanson et la musique traditionnelle au service de l’actualité. Je pense à des titres comme Le Soleil est noir et plus récemment au Soldat de Sarajevo.

Votre démarche est finalement plutôt rare dans la musique bretonne ?

JPC : On nous a suffisamment reproché de faire des concerts et de vrais spectacles, avec du son, des lumières, des costumes, parfois des décors.. Si TRI YANN existe toujours, c’est peut-être parce que nous sommes un peu à part ! Si nous touchons plusieurs générations, c’est certainement parce que nous avons su chercher le public, le convaincre avec les moyens qui existent maintenant. Cela ne nous a jamais empêché d’être toujours extrêmement sincère dans ce que nous chantons !

Et la danse ?

JPC : Nous aimons la danse, cela fait partie intégralement de notre culture mais ce n’est pas la musique que nous faisons essentiellement. Encore une fois, dès la formation du groupe en 1970, ce que nous aimions était de chanter devant un public qui écoute et ce afin de provoquer une émotion.

Comment choisissez-vous le répertoire de chaque spectacle ?

JPC : Après nous avoir tous écoutés (rires), c’est finalement Jean-Louis qui décide au final des titres qui seront interprétés. Il faut trouver l’équilibre entre les « standards », les chansons des derniers albums et puis remettre à la surface des titres plus ou moins connus. Il faut surprendre… En ce qui concerne les derniers spectacles, c’est la première fois que nous jouons pratiquement la totalité d’un album (Abysses) sur scène.

Jean-Paul, j’ai envie de vous dire que votre voix est essentielle dans la spécificité de TRI YANN !

JPC : Ce que vous me dites me touche énormément ! J’ai eu cette chance inouïe d’avoir des parents, des oncles et tantes qui chantaient pour eux mais aussi pour les autres dans le cadre de chorales, de groupes de musiciens. Je n’ai donc pas beaucoup de mérite… Au bout de 40 ans de carrière avec le groupe, je suis bien obligé d’avoir conscience d’apporter quelque chose au groupe par ma voix !

Ce que le public ne sait pas forcément, c’est à quel point la gentillesse de tous ceux qui viennent nous voir et m’en parlent me touche et renforce mon envie de faire toujours mieux, de sortir de mes appréhensions. Rien n’est jamais acquis…

Entretien avec Jean CHOCUN

Aviez-vous prévu de faire Abysses après Marines et ainsi réaliser un dyptique sur la mer ?

JC : L’envie est venue très rapidement. Mais ce qui est vrai pour cet album ne l’est pas forcément à chaque fois. C’est au fur et à mesure de la réalisation d’un projet que les différents éléments se mettent en place. L’unité vient ensuite. Si Abysses ne nous avait pas convenu au niveau de la thématique ou de la réalisation musicale, l’idée aurait été abandonnée. Dans un autre sens, il était aussi possible de réaliser un troisième CD sur le même sujet !

Marines est un disque sur la vie des gens qui vivent près de la mer ou grâce à la mer ?

JC : Absolument. Ce qui est paradoxal, c’est que Marines est un disque assez nostalgique… Abysses est un album plus festif et coloré ! C’est probablement parce qu’il est plus facile de rêver au fond des océans qu’à la surface de la terre !

Comment vous organisez-vous au moment de la préparation d’un nouvel album ?

JC : En ce qui concerne le concept général, nous sommes un groupe. Si une proposition déplaît fondamentalement, on élimine… Si cela plaît plus ou moins, nous en discutons ! Dans l’équipe, on peut considérer qu’il y a trois, quatre personnes qui ont un domaine d’action très précis. C’est Jean-Louis JOSSIC qui s’occupe plutôt de la thématique, des paroles, Jean-Paul amène des mélodies, l’unité du son est le travail de Gérard GORON et Pascal MANDIN, notre ingénieur du son depuis plusieurs années. Je m’occupe entre autres de la gestion administrative du groupe.

Est-ce-que cette complémentarité existait dès le départ dans le groupe ?

JC : Entre Jean-Louis, Jean-Paul et moi, c’est une évidence ! Nous sommes très différents tous les trois, mais nous avons une grande complicité et beaucoup d’intérêts communs !

Comment se fait le passage du disque à la scène ?

JC : C’est très simple : nous pensons d’abord à créer un climat général, une dynamique scénique par rapport à ce qui a été écrit. Après, il faut costumer les musiciens, les éclairer, faire des choix entre ce qui a été fait sur disque et ce qu’on va reproduire sur scène. Nous concevons un spectacle, une mise en scène et tout le monde s’y met… nous avons un fonctionnement « familial » et cela reste très important pour nous.

Êtes-vous satisfaits de la manière dont votre carrière s’est développée pendant presque quarante ans ?

JC : Forcément, même s’il s’est passé parfois des événements que nous n’avions pas prévu. Si on prend l’exemple de la chanson Si mors à mors, c’est un « tube » et une chanson que nous aimons beaucoup ! Pourtant ce n’était pas à ce titre que nous avions pensé quand nous avons fais le disque (Le Soleil est vert). À l’époque des Prisons de Nantes, Gilles SERVAT nous avait mis en contact avec une maison de disques et nous nous sommes entendus très rapidement sur toutes les radios ! Pourquoi ces chansons plutôt que d’autres, cela reste un mystère… Mais réduire TRI YANN à ces titres ou à La Jument de Michao, c’est très frustrant ! Par rapport à d’autres artistes, nous avons certainement des carences, mais nous avons au moins un « truc » : nous sommes des chanteurs qui s’inscrivent dans la variété de la Bretagne et pas à n’importe quel prix !

Si le public nous suit depuis des années, c’est que nous réfléchissons, nous nous remettons toujours en question, en restant fidèles à nos trois missions : se faire plaisir, intéresser le public et surtout ne pas le décevoir.

Il y a dans vos chansons des thèmes récurrents, comme le regard que vous portez sur certains événements du passé ?

JC : Lorsque nous chantons la plus grande catastrophe maritime de la seconde guerre mondiale qui est celle du Lancastria et qui est commémoré chaque année à Saint-Nazaire, il s’avère que c’est un des morceaux que notre public retient le plus sur le dernier album. Nous avons d’ailleurs eu récemment la grande joie de chanter cette chanson devant des rescapés du naufrage. C’était très émouvant et prenant. Nous avons fait vivre la mémoire et ça, je considère que c’est vraiment notre travail…

Vous avez toujours la même « pêche » qu’il y a 40 ans ?

JC : Globalement oui. Maintenant, je considère qu’il ne peut plus se passer rien de grave entre nous. Si le groupe décide d’arrêter, ce sera parce que nous serons trop vieux ou que l’envie d’avoir des idées ne sera plus là.

Propos recueillis par : Frantz-Minh Raimbourg
– Photos : Frantz-Minh Raimbourg

(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n°45 – hiver 2010)

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