KERLAVEO – Kerlaveo
(Hirustica)
KERLAVEO, késaco ? Pour toute illustration, la pochette du disque figure un arbre, semblant flotter dans un horizon sans ligne, si ce n’est celle qui soutient l’arbre et qui s’efface sur les côtés… Où sommes-nous ? Le mystère poétique dans laquelle baigne cette pochette de digipack ne s’accommode assurément pas d’une promesse de chiffres de ventes mirobolant. Mais il intriguera à coup sûr les amateurs d’univers sans repères apparents, mais dans lequel se manifeste une présence familière, conviviale. En bas de la pochette gît un logo, celui de Hirustica, label breton bien connu pour ses créations générées par des musiciens voyageurs. Et pour tout avouer, Kerlaveo est le nom d’une maison en Bretagne, celle du compositeur et flûtiste Jean-Luc THOMAS.
Bien connu dans la sphère musicale bretonne de par son implication dans les groupes DIBENN, HASTAŇ, KEJ, il nous a habitués depuis à des musiques plus métissées, consécutives de ses rencontres avec d’autres musiciens à l’âme tout aussi voyageuse. Ses collaborations avec David « Hopi » HOPKINS, Michel GODARD, Ravichandra KULUR et le trio nigéro-breton SERENDOU sont là pour en attester. KERLAVEO est rien moins que l’une de ses nouvelles aventures musicales, aussi ancrée qu’affranchie.
Si Kerlaveo se situe en Bretagne, la musique de KERLAVEO, elle, pointe au large… droit devant sur l’Atlantique, détour au sud-Ouest, direction le continent latino-américain. Car autour de Jean-Luc THOMAS, KERLAVEO est formé de six musiciens brésiliens. Le projet est né de la rencontre de Jean-Luc avec l’harmoniciste Vitor LOPES ; les opportunités de concerts et les connexions humaines et musicales ont fait le reste. Le guitariste Carlinho ANTUNES, le pianiste et accordéoniste Gabrel LEVY, le flûtiste Toninho CARASQUEIRA, le batteur et percussionniste Pedro ITO et le contrebassiste Rui BAROSSI ont ainsi été enrôlés, et cet album a été enregistré dans la foulée en 2015, alors que la peinture musicale était encore fraîche. Du reste, le disque est sorti au Brésil (avec une pochette différente) avant de sortir en Europe.
Pour autant, il ne faudrait pas réduire KERLAVEO à une simple fusion brésilio-bretonne. L’ancrage brésilien est certes bien là, comme en témoigne des titres comme Entortango, Baião de cinco ou Modinha, et tango, chorinho et jongo sont évidemment de la partie, laquelle s’étend même au voisin vénézuélien (Garoto em Caracas). Mais on trouvera dans les dix compositions que renferme ce disque des détours, des empreints et des parfums évoquant la Bulgarie, le Mali et tant qu’à faire la Bretagne (le Bamako’s Plinn, il fallait l’inventer !).
KERLAVEO tire amplement parti des multiples influences que ses membres apportent, ainsi que de leurs compétences, certains jouant de plusieurs instruments : Carlinho ANTUNES égrène ainsi son talent à la guitare acoustique, à la dix-cordes comme au cuatro (petite guitare latino à quatre cordes), au ronroco (charango grave) et au luth malien n’goni ; Gabriel LEVY alterne piano et accordéon, et même Vitor LOPES abandonne son harmonica pour tâter la guitare sur le morceau éponyme.
Mais ce qui caractérise toute la famille KERLAVEO, c’est cette soif de liberté et cette propension à l’enthousiasme qu’elle exprime dans sa musique, mêlant les repères stylistiques pour mieux vagabonder au-delà, et faisant montre de très bonnes dispositions pour un jeu nourri d’effluves, de respirations et de couleurs jazz, un jazz aux épices ethniques dans lequel chaque musicien trouve la place de s’exprimer en solo tout en générant une musique de groupe aux combinaisons multiples et bigarrées.
Les flûtes traversières de Jean-Luc THOMAS et de Toninho CARRASQUEIRA alternent ou unissent leurs souffles, mais les cordes, harmonica, piano, accordéon, contrebasse et percussions s’invitent tout aussi cordialement en première ligne quand l’envie leur en prend, se mettant toujours au service du climat émotionnel requis selon les pièces.
Cette musique flâne, déambule, tourne, danse, s’emballe, se pose, s’épanche, bondit de plus belle, se fait joviale, caressante, et volontaire à prendre des risques. Rien d’étonnant à cela, puisque « Kerlaveo » désigne non pas l’arbre des réfugiés (comme la pochette pourrait le laisser supposer), mais la « ferme de l’audacieux ». Vous êtes chanceux, KERLAVEO est justement constitué de sept musiciens audacieux !
À votre tour, soyez donc audacieux, et poussez la porte de cette ferme, vous y serez reçu avec des notes qui réchauffent le cœur et l’esprit. Par les temps qui courent et le temps qu’il fait, ça ne se refuse pas !
Stéphane Fougère
Page : www.jeanlucthomas.com/projets/kerlaveo
Label : www.hirustica.com