KRENADENN – Kren
(Autoproduction/Coop Breizh)
Si vous en êtes encore à croire que les festoù-noz de Bretagne ne sont qu’une attraction folklorique en costumes désuets et instruments rouillés, alors vous avez raté tout ce qui s’est passé dans le domaine des musiques bretonnes à danser depuis environ trois quarts de siècle. Et ce n’est pas peu dire que ces musiques se sont acoquinées avec de nombreuses autres tendances musicales populaires et les ont assimilées avec brio, que ce soit avec le rock, le jazz, le classique, le métal, la pop, le funk, la techno, etc. Alors pour l’image d’Épinal (qui ne se trouve même pas en Bretagne !), vous repasserez… En matière de croisements entre les musiques populaires à danser locales et les musiques urbaines globales, il reste encore des pistes à explorer, et ce disque de l’entité KRENADENN le démontre avec audace.
Je parle d’entité plutôt que de groupe au sens classique, car KRENADENN est un projet mené par le chanteur et trompettiste Erwan BURBAN, qui sévit dans l’univers musical breton depuis une bonne vingtaine d’années à travers différents projets, que ce soit JERRY CORNIC, SKOLKHOZ et KRENIJENN, lesquels ont contribué à mettre en valeur un nouveau style de musique à danser, le « Breizh’n bass », popularisé également par la DJ MiSS BLUE, connue pour avoir « samplé » des voix légendaires de la culture musicale bretonne et les avoir fait résonner dans le milieu des clubs.
Erwan BURBAN, lui, s’est tourné vers la musique traditionnelle après avoir suivi une formation classique en Île-de-France et aux portes de la région Bretagne, et a appris les techniques du Kan ha diskan (chant à répondre). Il a de plus participé à la sauvegarde du patrimoine oral du pays de Redon en collaboration étroite avec l’association Dastum et a été désigné en 2021 pour s’occuper de la coordination pédagogique de ce cursus de formation professionnelle musicale dédiée aux musiques modales qu’est la Kreiz Breizh Akademi, dont l’artiste KRISMENN a pris la direction artistique, succédant à son co-fondateur Érik MARCHAND.
KRENADENN est donc le nouvel avatar artistique d’Erwan BURBAN : il se pose d’emblée comme un projet de « Breizh-Beat » rural enraciné dans des rythmiques « trap » qui servent de base aux musiques urbaines afro-américaines. Son premier album, Kren, déploie des mélodies traditionnelles ou composées, des poèmes et des chants à danser puisés dans les archives sonores de Dastum ou dans le Barzaz-Breizh et interprétés en breton, en gallo et en français, soit les trois langues parlées en priorité en Bretagne.
À travers ce disque, on fait quasiment le tour complet des danses pratiquées dans tous les pays bretons : laridé, scottish, hanter-dro, plinn, kas-ha-bar, rond de Loudéac, pilé menu, ridée, fisel et cercle circassien sont passées au prisme des rythmiques break-beat, des nappes synthétiques et des sons de basse enveloppants de la culture hip-hop.
La trompette d’Erwan BURBAN est le seul instrument « classique » (et même pas typiquement breton, en dépit des efforts de popularisation effectués au préalable par Gaby KERDONCUFF et Youn KAMM !), et sa voix est elle aussi traitée comme un instrument à travers l’usage de l’auto-tune. J’en vois qui grimaçent ? Il n’y a pourtant pas de quoi jouer aux vierges effarouchées, tant l’outil sert ici une intention créative et contribue à la cohérence sonore de l’ensemble.
Une fois les mélodies posées, la voix intervient en effet en mode « chanté-parlé », comme du slam. Elle est parfois doublée par la trompette, quand ce n’est pas celle-ci qui se dédouble. De plus, les climats instrumentaux et les pulsations rythmiques à l’œuvre dans Kren font montre de suffisamment de variété et de variations pour ne pas craindre d’écouter un produit uniforme et sans âme. Erwan BURBAN maîtrise suffisamment bien les codes des danses bretonnes comme ceux de l’électro urbaine pour éviter ce genre de piège et proposer un projet assez singulier dans le paysage musical breton actuel.
Erwan BURBAN a produit seul ce disque dans un home-studio, secondé par un ingénieur du son (Damien TILLAUT) et un « beat-maker » (Carmine ESPOSITO). C’est du reste tout le paradoxe de Kren : conçu sous forme d’une création de studio, il contient exclusivement des musiques à danser en fest-noz ! En soi, Kren est un album qui s’écoute fort bien chez soi, mais il est en fait une sorte de prototype destiné à être joué dans les festoù-noz de Bretagne et de Navarre à partir de l’été 2025.
Pour ce faire Erwan BURBAN ne fera pas cavalier seul sur scène, mais sera entouré de Barbara Le KRAZ à électronique et de Brian RUELLAN à la seconde trompette, ce qui permettra de déployer le répertoire de Kren au-delà de ce que l’album donne à écouter. Il y aura donc deux sonneurs sur scène, qui joueront les thèmes et pourront s’adonner à l’improvisation, jouer avec la modalité et ses couleurs, tout en laissant le groove spécifique de chaque danse emporter les « nozeurs », la préposée à l’électronique assurant les appuis comme les fins déplacements rythmiques susceptibles de maintenir les danseurs en éveil. L’énergie de la danse fera le reste…
On l’aura compris, KRENADENN est autant une découverte à faire sur disque qu’une expérience à vivre sur scène. Dans les deux cas, l’hypnose est assurée ; et l’on aura confirmation qu’avec ce nouveau projet d’Erwan BURBAN la culture fest-noz a une place toute trouvée dans le monde urbain actuel.
Druidix
Site : www.krenadenn.com
Distribution : https://www.coop-breizh.fr/12139-cd-krenadenn-kren-3663729328304.html