LA BELLE ÉQUIPE
Entre deux rivages au bout des mondes
LA BELLE ÉQUIPE est une rencontre, non moins belle, entre les répertoires de Bretagne et de Québec qui s’est déjà produite dans les festivals québécois et qui a pour la première fois franchi l’océan pour jouer en Bretagne sous le chapiteau de la Taverne du Festival du Chant de Marin de Paimpol lors de son édition 2019. Le groupe est composé d’une part de deux Bretons de Nantes (que nous avons déjà présentés dans RYTHMES CROISÉS), le chanteur Roland BROU et le guitariste Patrick COUTON – qui forment depuis de nombreuses années le duo BROU-COUTON, auteur de deux disques mêlant chansons traditionnelles et contemporaines – et d’autre part de deux Québécois, la violoneuse et chanteuse Liette REMON, active au sein de plusieurs formations et porteuse d’une tradition familiale, qui a obtenu récemment un prix pour sa contribution à la préservation de la musique traditionnelle québécoise, et le guitariste et chanteur Paul MARCHAND, connu dans le milieu traditionnel pour avoir participé à de nombreux groupes et enregistrements et pour avoir accompagné en 1992 la chanteuse Angèle ARSENAULT.
Le répertoire de LA BELLE ÉQUIPE est composé de chansons québécoises et de plusieurs titres du dernier album du duo BROU-COUTON, Chansons nantaises réarrangés pour cette nouvelle formation en quartet dans lequel les cordes dominent, avec la guitare acoustique de Paul MARCHAND, la guitare hawaïenne et l’autoharp de Patrick COUTON et le violon de Liette REMON, accompagnées de percussions inhabituelles, bodhran, pieds et même cuillères sur un instrumental entraînant. Au milieu des deux chanteurs, Roland BROU et Paul MARCHAND, la jolie voix enfantine de Liette REMON apporte une touche féerique. Le groupe invite le public à répondre sur une chanson commune entre Bretagne et Québec en alternant les couplets des deux pays.
RYTHMES CROISÉS a été recueillir l’histoire naissante de LA BELLE ÉQUIPE à l’occasion d’un entretien forcément convivial, à l’image du concert, après une traversée du port de Paimpol en bateau arrosée d’un verre de vin blanc, histoire de cerner l’ambiance.
Entretien avec LA BELLE ÉQUIPE
Liette et Paul, pouvez-vous nous parler de votre carrière, de votre parcours musical?
Paul MARCHAND : Mon parcours musical date de presque quarante ans. J’ai joué avec des groupes comme MANIGANCE, qui est venu à Paimpol et à Douarnenez, ensuite avec ENTOURLOUPE, qui a joué à Paimpol et s’est promené un peu partout en France. En fait, on venait en tournée en France une fois par année à partir de 1985, 1986, 1987. Et là, à un moment donné, il y a eu une pause et je suis revenu pour Brest 92 et en 95 à Paimpol, si je ne me trompe pas. D’ailleurs, il y a trente ans déjà, j’ai vécu deux ans ici, en Bretagne. C’est quelque chose d’important dans ma vie qui fait que ça a sûrement influencé ma vision au niveau musical au Québec. C’est là que j’ai rencontré ces messieurs, Roland et Patrick. On avait fait un peu de musique et des fêtes ensemble.
Tu faisais de la musique bretonne?
Paul MARCHAND : Je n’ai vraiment pas cette prétention parce que, personnellement, ce n’est pas pour vous envoyer des fleurs, mais je trouve que la musique bretonne est la plus belle musique celtique qu’il y a. Parce que chez nous, on a perdu beaucoup au niveau de la danse. J’ai vu un fest-noz à Brest 92. On venait de débarquer de l’avion et on était à la buvette devant la grande scène avec un grand verre de cidre, et il y avait un groupe de fest-noz qui jouait sur la grande scène et 5000 personnes qui dansaient. J’ai été très ému. Ça ne se peut pas chez nous. C’est dommage, mais c’est dans votre beau pays que ça existe. C’est la danse qui regroupe toutes les générations. Voilà, j’ai assez parlé.
Liette REMON : Moi je suis d’une famille de musiciens, de violoneux. Mon arrière grand-père était un violoneux, ma grand mère était une turluteuse. Et puis mon père était un violoneux, ce qui fait que j’ai étudié en musique et à un moment donné, quand j’ai fini mes études, j’ai décidé de faire de la musique traditionnelle. Et là, je me suis mise à jouer et à travailler les répertoires des différentes régions du Québec. Après, ça m’a amenée à faire de la musique médiévale et des musiques du monde beaucoup. La musique traditionnelle, je l’ai travaillée dans différentes formations, comme avec SERRE LES COTES, un trio de chanteurs en harmonie qui est venu ici deux fois. Et aussi au niveau du violon, j’ai fait une fanfare au Québec. De la musique traditionnelle mais en fanfare, avec des cuivres, tuba, saxophone, clarinette. J’ai joué aussi avec BOBELO. C’est de la musique expérimentale, mais à partir de matériaux traditionnels. Et là je me retrouve avec LA BELLE ÉQUIPE, qui est extraordinaire.
Est-ce que tu avais déjà joué avec Paul avant?
Liette : Oui, on a joué souvent ensemble, beaucoup de danses. On a eu des groupes aussi avec Tess LEBLANC et Eric FAVREAU. D’ailleurs, c’est avec ces groupes-là qu’on a connu Roland. Et puis la rencontre avec Patrick, ça a été la cerise sur le gâteau !
Ça fait longtemps que vous vous connaissez. À quelle occasion avez-vous décidé de monter un groupe tous les quatre?
Liette : Avec Roland on s’est connus en 1998 et on s’est revus chaque année. Soit Roland venait au Québec, soit moi je venais en France pour jouer avec des formations et puis à un moment donné, on s’est dit « il faudrait qu’on joue ensemble, qu’on monte quelque chose ». Et là on a monté un trio avec Paul et il manquait quelqu’un.
Paul : Moi j’avais joué avec Patrick en 1989. On finit toujours par se retrouver.
Patrick COUTON : Oui, on a joué de temps en temps ensemble avant.
Vous avez monté le répertoire comment ? En résidence ?
Patrick : En résidence chez les uns et les autres. (rires)
Roland BROU : J’étais allé cinq semaines au Québec et on en avait profité pour jouer à trois ou quatre reprises un petit répertoire qu’on avait monté comme ça. Après on a décidé d’aller un peu plus loin et de travailler avec Patrick. La première de LA BELLE ÉQUIPE a été dans un festival qui s’appelle Chant de Vielle, qui est un beau festival à Saint-Antoine-sur-Richelieu et on a fait la première du groupe à l’été 2017. Et puis on est retournés quelquefois au Québec à l’occasion de festivals. En octobre 2017, c’était Harmonies Celtiques, un autre festival consacré aux musiques irlandaises et écossaises mais aussi bretonnes, dans un joli lieu des cantons de l’est. Et puis on a rejoué donc l’année dernière en octobre à un festival qui s’appelle Rendez-vous Estrades, à Québec. Après, on s’est dit « il va falloir qu’on se monte une petite tournée bretonne » et donc on a proposé la formule à Paimpol qui nous a pris. C’est comme ça qu’on démarre aujourd’hui notre tournée bretonne qui va durer une semaine.
Connaissiez-vous le répertoire des uns et des autres ou avez-vous ajouté des choses que vous n’aviez pas encore jouées?
Roland : On a fait au plus facile, donc on a commencé par des morceaux qu’on faisait déjà en duo avec Patrick et qu’on a adaptés au quartet. Paul et Liette ont amené du répertoire. L’idée c’est de travailler du répertoire original pour le quartet, et là on va avoir une semaine pour le faire. Parce que l’inconvénient, c’est la distance qui fait que les répétitions ne sont pas aisées. Donc on profite de chaque déplacement pour y consacrer deux ou trois jours.
Liette : C’est sûr qu’on peut s’envoyer des choses aussi.
Roland : Mais ce n’est pas facile. Il nous manque la chaleur humaine.
Patrick : Et l’odeur, et le bruit ! (rires)
Paul : Et le souper qui va avec.
Liette : Et puis la prochaine étape, ce sera d’enregistrer un disque. Là, pendant notre séjour, on va jouer beaucoup. On a du temps de prévu pour travailler de nouvelles pièces et pour penser à la suite.
Pour l’instant vous avez un répertoire d’une heure pour les festivals ?
Roland : Oui, en gros c’est ça.
Paul : On cherche un mécène pour le disque. C’est important parce que ça coûte cher.
Envisagez-vous de l’enregistrer plutôt en Bretagne ou au Québec ?
Liette : Ça dépend du mécène. (rires) On est prêts à tout.
Roland : On se voit bien partir au Québec avec Patrick parce qu’on aime bien y aller.
Paul : C’est agréable de partir en Bretagne aussi pour nous. L’idéal serait de l’enregistrer dans un endroit et de le mixer dans l’autre.
Roland : L’essentiel en tout cas c’est qu’on passe du bon temps ensemble. C’est ce qui nous lie aussi. C’est la musique, bien sûr, mais on est quand même de vieux amis.
Allez-vous augmenter le répertoire pour pouvoir faire des concerts plus longs ?
Roland : Il va falloir parce que, lundi par exemple, on a besoin de beaucoup plus d’une heure. On fait quelques cabarets et des choses comme ça où il va falloir faire deux passages. On va travailler d’arrache-pied et faire ça sans problème. Et puis il y a quelques compositions. On a commencé dans la musique traditionnelle avec Patrick, c’est vrai qu’on a abordé des répertoires différents, des chansons françaises nouvellement composées pour nous. Là, dans le programme, on a une chanson qu’a écrite Liette, des chansons qui viennent d’un répertoire début XXe, principalement québéquois.
Donc ce n’est pas spécifiquement un répertoire traditionnel ?
Roland : On mélange les deux. Ce qu’on aime bien, ce sont les beaux textes.
Faites-vous des suites ou des enchaînements ?
Roland : Là c’est ce qu’on a fait un petit peu, et on ne veut pas que ce ne soit que ça. Donc on fait un clin d’oeil à des répertoires des deux côtés. C’est vrai que, lorsqu’on se voit, on passe notre temps à le faire. Donc c’est bien aussi que les gens entendent ça.
Il y a une majorité de chansons tristes apparemment, même si musicalement ça ne l’est pas forcément?
Roland : Nous on aime ça. Même si dans les présentations on essaie de donner quelque chose d’assez enjoué, c’est vrai que nos répertoires sont assez mélancoliques, voire dramatiques.
Est-ce qu’il y a la même chose à Québec ? Une majorité de thèmes dramatiques ?
Paul : Nous autres, on est de bonne humeur ! C’est la joie de vivre québécoise, c’est reconnu à travers le monde. C’est à cause du sirop d’érable sans doute ! (rires)
Liette : Ça équilibre.
C’est comme ça qu’on va reconnaître d’où viennent les chansons ?
Paul : Quand on est en mineur, on est en Bretagne ; quand on est en majeur, on est au Québec.
Est-ce que l’autoharp existe au Québec ?
Patrick : Il y en a un peu. Il y en a beaucoup aux États-Unis, qui sont voisins avec le Québec. Dans le reste du Canada anglophone, j’ai rencontré des autoharpistes. Ce sont des femmes surtout, c’est un instrument plutôt féminin.
D’où vient cet instrument ?
Roland : Bon, on va vous laisser… (rires)
Patrick : Le principe de cet instrument a été imaginé par deux Allemands à une dizaine d’années d’intervalle au XIXe siècle. Un Américain a eu vent de ce principe, et il a déposé le brevet le premier. Il s’appelait ZIMMERMANN. Il en a fait fabriquer en usine et ça s’est vendu énormément au début du XXe siècle, essentiellement aux États-Unis évidemment. Mais cela dit, il en existe aussi en Lettonie bizarrement, des autoharps énormes posés sur une table, et c’est un instrument traditionnel. Je ne sais pas où les Lettons ont trouvé l’idée. Mais enfin, c’est surtout connu aux États-Unis et joué essentiellement par des femmes.
Est-ce qu’on en trouve beaucoup en France ?
Patrick : Non, en France, c’est assez rare.
Paul : Il y a tes élèves.
Patrick : En France, je n’en ai pas beaucoup. J’ai fait une masterclass une fois aux États-Unis et j’en ai fait en Angleterre et en Écosse, et j’ai des élèves essentiellement féminines de moyenne d’âge 75 ans à peu près. Elles sont charmantes. Il y a quelques hommes qui en jouent. Un Anglais, Mike FENTON, qui est un excellent joueur d’autoharp. Aux États-Unis, il y a Brian BOWERS, qui est très connu. Mais il y a plus de femmes à jouer de cet instrument. Est-ce parce que c’est un instrument facile qu’il y a plus de femmes ? (rires) Non, je n’irai pas jusque-là. (rires)
Donc au Québec vous êtes une formation avec des instruments rares.
Patrick : Il y a un son. C’est ce qu’on a découvert en commençant à jouer ensemble. C’est vrai que l’autoharp et la guitare hawaienne, avec la guitare et les pieds de Paul et le style de violon de Liette, c’est original.
Liette, tout à l’heure, tu as mentionné ta grand-mère turluteuse. Qu’est-ce que la turlute?
Liette : C’est chanter des airs de violon, mais avec la voix.
Patrick : En onomatopées.
Liette : En fait, c’est très percussif. La turlute pouvait remplacer le violon, donc c’est quelque chose pour faire danser. Et la turlute, ça va chercher quelque part les coups d’archets du violoneux. C’est très intéressant.
Paul : Il y a beaucoup de peuples qui turlutent.
Roland : Ça ne coûte pas cher.
Est-ce que vous envisagez de l’intégrer au répertoire ?
Liette : Oui. Du reste, dans notre nouveau répertoire, il y a La Pêche au squid, qui est une turlute. Un voisin de ma mère en Gaspésie est un ancien pêcheur. Je suis allée le voir pour qu’il me parle de la turlute. Parce que la turlute est un objet pour pêcher le squid (le calamar en anglais), c’est l’hameçon pour l’attraper. Il m’a tout expliqué et j’ai mis ses mots sur une turlute de ma grand-mère, qui était une redoutable turluteuse. Dans nos prochaines pièces, il va y avoir de la turlute.
Quand envisagez-vous d’enregistrer le CD ?
Roland : On espère l’année prochaine.
Liette : Ça dépend du mécène. (rires)
Paul : Il faut trouver le mécène. C’est très important d’en parler.
Roland : Et la tournée sera plutôt 2021, car on a besoin de l’album pour faire connaître le groupe.
Paul : Il faut que ce soit un bon millésime, c’est ça qui est important.
De vins français ?
Paul : Ah oui ! Forcément !
Roland : C’est aussi pour ça qu’on a monté le groupe, pour que Paul, qui est un grand amateur de vins, puisse venir régulièrement. (rires)
Merci LA BELLE ÉQUIPE !
Entretien et photos : Sylvie Hamon et Stéphane Fougère
réalisés au Festival du Chant de Marin 2019 à Paimpol
Sur Internet :
Liette REMON : http://lietteremon.com/
Patrick COUTON : http://patrickcouton.fr/
Sur Facebook :
Roland BROU : https://www.facebook.com/roland.brou.7
Patrick COUTON : https://www.facebook.com/patrick.couton.77
Liette REMON : https://www.facebook.com/liette.remon
BROU-COUTON : https://www.facebook.com/Brou-Couton-1948809982015526/