LA SOCIÉTÉ DES TIMIDES À LA PARADE DES OISEAUX
– Tranches de temps jeté (Slices of Thrown Time)
(Beta-Lactam Ring Records)
Tranches de temps jeté… aux oubliettes ? On a bien failli le croire puisque la sortie de ce disque a été annoncée depuis 2002, et qu’on ne voyait rien venir ! Les OISEAUX étaient-ils devenus aphones ? Il est vrai que, depuis 2000, ils ont migré sur le label américain Beta-Lactam Ring Records qui, jusqu’à présent, a surtout ressuscité le passé de LA STPO, en rééditant en CD le premier LP de 1990 ainsi que le EP de 1986, puis en publiant des bandes inédites datant d’avant Les Explositionnistes. Mais la patience est une vertu qui devient indispensable dans un milieu underground comme l’avant-rock… Voici donc enfin le successeur des Expériences de survie (1999), ces Tranches de temps jeté en pâture à nos oreilles qui n’ont pas intérêt à en perdre une miette. Ouf ! On est bien contents de voir que la PARADE DES OISEAUX n’a pas cessé de pépier et de tonitruer pendant tout ce temps.
Et déjà un premier constat s’impose : cet album contient les compositions les plus denses de LA STPO écrites à ce jour. Là où le premier LP réunissait dix-huit joyaux de concision en à peine plus de quarante minutes, ce nouveau CD de plus de cinquante minutes ne contient que six Tranches assez épaisses et richement garnies. Comme d’habitude, chaque pièce a été conçue comme une saynète, voire un court-métrage généreux en rebondissements et imprévus de toutes sortes, dont les atmosphères ont été minutieusement ouvragées, révélant un scénario pour le moins étoffé. Il ne semble pas pour autant que ce disque, contrairement aux Explositionnistes et aux Expériences de survie, possède une thématique dominante. Néanmoins, les goûteuses illustrations de JimB qui ornent le luxueux digipack offrent des éléments forts en symbolique : des horloges, des fœtus, des squelettes, des fleurs, des couteaux de cuisine, des bois obscurs, des oiseaux passés à la moulinette… on a l’impression de passer du côté obscur et ténébreux de l’univers de Wallace et Gromit.
Sur le plan musical, l’amateur des musiques progressives des 70’s et du Rock In Opposition des années 1980 devrait se sentir en terrain sinon familier, au moins complice et averti, renvoyant les inspirations du meilleur de l’avant-rock, de KING CRIMSON à THIS HEAT en passant par GONG et FAUST. Le morceau d’ouverture, I Cuento Blumen, avec ses multiples tiroirs et ruptures de ton typiques des constructions progressives, alternant hargnes et torpeurs (avec multilinguisme textuel de rigueur), est une éblouissante synthèse des inspirations qui défilent À LA PARADE. Imposant un contraste flagrant, Cet À-Mort vibre l’air cultive une ambiance plus épurée, troublante et lugubre, animée par un xylophone, une boîte à musique, des cymbales, des râclements outre-tombeaux et les « sépulcralités » vocales de Pascal GODJIKIAN. En fin de course, le trouble se fait plus haletant, noisy et chaotique.
A en juger par ses élans free-jazz-noise et ses hachures azymutées à la Albert MARCOEUR, la Jeune Fille devant le miroir, digne héritière de la thématique explositionniste, doit être plus encline au concours de grimaces qu’à la coiffure. Le burlesque « pot-head-pixyen » et « etronfoutesque » bat son plein dans L’intitulé Crème, tandis que The Sound of the City Seems Not To Disappear débute dans un climat jazz éthylique, vire au free-rock acide, se métamorphose en performance bruitiste avec vocaux éraillés et plusieurs sonorités urbaines, avant de lancer des assauts frénétiques à la THE EX ; ou comment une ballade nocturne en ville peut virer à la course-poursuite. Le trip se fait plus psychédélique et hallucinatoire, bien que rythmiquement très dynamique, sur la pièce finale Lorsque, que la trompette, les percussions et le violoncelle marquent de leurs empreintes spécifiques.
Profitant d’un personnel plus fixe qu’à ses débuts, LA SOCIETE, forte de la complicité accrue entre ses membres, a pu développer ses tableaux musicaux et affûter ses différentes textures (rythmiques, percussives, guitaristiques, vocales…) dans les moindres détails tout en exploitant une grande palette de couleurs sonores en ayant parfois recours à quelques contributions extérieures. L’imaginaire narratif et sonore déployé le long de ces six Tranches est de ceux qui ne se livrent pas totalement à une première écoute ; son pouvoir d’émerveillement tient justement à ce qu’il semble dévoiler des recoins insoupçonnés à chaque retour d’oreille. Le « temps jeté » serait infiniment plus précieux si on le consacrait à la découverte de cet opus somptueux de LA STPO, assurément l’une des plus convulsives beautés discographiques de l’année 2006…
Stéphane Fougère
Sites : https://lastpo.bandcamp.com et https://www.facebook.com/LaSocTPO
En écoute : https://soundcloud.com/lastpo