Laurent PERNICE – Antigone

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Laurent PERNICE – Antigone
(ADN Records)

L’année 2024 va s’avérer extrêmement prolifique pour Laurent PERNICE. En effet, pas moins de quatre disques sont prévus. Pour commencer, paru le 19 avril dernier sur le label italien ADN (celui-là même qui a sorti  son disque avec Dominique BEVEN, Corps Utopique), Antigone est le titre de son nouveau projet. Après Michel FOUCAULT, c’est donc le dramaturge grec SOPHOCLE (495-406 avant J.C.) qui va bénéficier d’un nouveau rayonnement artistique. Antigone a été mis en scène par la Compagnie ANIMA MOTRIX avec Laurent HATAT et Emma GUSTAFSSON.  Et Laurent a eu la charge de créer une nouvelle bande sonore.

Sur Corps Utopique, Laurent s’était intéressé aux instruments à vent. Ici, ce sont les instruments à cordes qui ont la lourde responsabilité de proposer une musique digne du texte de SOPHOCLE. Laurent a fait appel au savoir-faire d’une professeure du Conservatoire de musique de Marseille.  Son nom est Violaine SULTAN et elle joue du violon alto.  Laurent, en parfait multi-instrumentiste, joue de la basse, de la contrebasse, de la cithare, et même de la harpe, en plus de s’occuper des traitements électroniques.

Musicalement, nous pouvons être assurés que le choix limité de l’instrumentation ne peut que délivrer une ambiance bien particulière, créant un paysage sonore qui se fond avec cette tragédie datant de 441 avant J.C. et sa terrible histoire où les intrigues politiques, l’amour et la mort vont bousculer la vie des personnages principaux.  La musique retranscrit  assez finement tout l’aspect tragique de cette oeuvre et ses questionnements sur la complexité de l’être humain. Le but recherché est sans nul doute de développer des ambiances sombres et dramatiques, intrigantes et mélancoliques tout en privilégiant un certain dépouillement sonore.

En guise de petit rappel, ne vous attendez pas à entendre des envolées progressives avec du mellotron et des guitares électriques flamboyantes ou des rythmes technoïdes entraînants. Le ton général de l’album est donné dès les premières notes du violon, où nous découvrons une musique dénudée de toutes garnitures sonores grandiloquentes.  Le violon à lui seul arrive à créer une tension qui est immédiatement palpable, laissant présager le pire : Antigone et Ismène (prologue), Avant la lutte. Le titre Thème d’Antigone + Son Reflet dans l’ombre, avec une basse au son lourd et menaçant, déambule telle une procession vers un destin à l’horizon funèbre.

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Ce disque est aussi et surtout un fabuleux croisement entre le néo-classique, l’ambient, la musique contemporaine et expérimentale. Parmi des expérimentations ténébreuses (certaines pièces auraient convenu à quelques groupes allemands des seventies), nous découvrons des passages mélodiques saisissants (Ismène à Thèbes) et d’autres aux allures plus tempétueuses (La Lutte déploie notamment des ombres crimsoniennes impressionnantes).

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C’est cette confrontation constante entre des ambiances de pure réflexion spirituelle ou de mélancolie, et d’autres plus orageuses, appelant à une violence inouïe, qui apporte à cette oeuvre musicale une aura poétique singulière et un intérêt d’écoute exemplaire. Antigone enchaîne des soundscapes imprégnés de mystère et de poésie, où Laurent privilégie la rencontre entre les genres musicaux.

En fait, le travail de Laurent peut trouver une certaine apparenté avec celle de Steven BROWN ou de Blaine L. REININGER. Avec eux, il n’y a plus de frontières et le monde musical s’ouvre vers un champs des possibles qui touche à l’universel. La musique prend des formes multiples et, telle une danseuse, voltige au gré des sons et des atmosphères délivrés par les instruments. L’interprétation de la violoniste est intense, marquée par un jeu varié, où les cordes, telles des larmes de malheur, expriment le danger, la colère, le désespoir, la mort.

Certains morceaux respirent la solitude et la tragédie (« La Houle en mer », Tirésias) alors que d’autres prophétisent un désastre imminent (La Décision d’un homme). Les superbes effets sonores apportés par Laurent (notamment des sons drones obscurs) sont les bienvenus et essentiels pour accompagner notamment le violon et pour renforcer l’aspect dramatique de l’histoire.

Ce disque est instrumental, à l’exception du douzième titre (Stasimon 1), où apparaît la voix irréelle de Sylvie DEBRUN qui narre un extrait de SOPHOCLE.

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La dernière pièce au titre tristement prémonitoire, Antigone au tombeau, dégage une ambiance des plus mélancoliques lorsque surgit une harpe jouée par Laurent, venant clôturer un disque aventureux et émouvant, jamais ennuyeux.

Laurent PERNICE a composé une soundtrack saisissante de réalisme où le vrombissement des nombreuses cordes vibrent tel un coeur qui bat, jusqu’au final où le silence, silhouette glaciale, immuable et implacable, annonce une fin désespérée (les suicides successifs d’Antigone, de son fiancé Hémon et de la mère de ce dernier, Eurydice). La musique, certes pas facile au premier abord, est d’une grande richesse émotionnelle et offre des moments atmosphériques bouleversants.

Cédrick Pesqué

Site : https://www.laurent-pernice.fr/

Label : https://adnrecords.com/

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