Les Transes continentales d’AFRO CELT SOUND SYSTEM

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Les Transes continentales d’AFRO CELT SOUND SYSTEM

Débarqué en 1996 dans les bacs du rayon « Musiques du monde » des disquaires avec son premier album, Volume 1 : Sound Magic, tel un E.T. qui se serait gouré de piste d’atterrissage, le groupe AFRO CELT SOUND SYSTEM n’a cessé d’intriguer, de déconcerter ou de fasciner. D’où venait donc cette musique qui mêlait les sonorités de la kora, du balafon et du djembé africains avec celles de la harpe celtique, de l’uillean pipes, du tin whistle et du bodhran irlandais, le tout auréolé d’une voix irlandaise bien « roots » et baignant dans un bouillon de rythmes électroniques et de synthétiseurs psyché-planants, le tout étant qui plus est produit par des musiciens anglais ?

À l’origine, il ne s’agissait que d’une réunion virtuelle de musiciens de divers horizons, et certains critiques ont vite dénoncé l’opération commerciale, jusqu’à ce que l’AFRO CELT SOUND SYSTEM finisse par montrer son vrai visage sur scène. À la stupéfaction générale, le « project » était devenu un vrai groupe, dans lequel s’esbaudissaient machines et instruments acoustiques. Son passage au Festival Interceltique de Lorient, en 1997, avait du reste été très remarqué.

Ce qui n’était au départ qu’un projet de studio s’est donc mué en un vrai groupe qui a eu tôt fait d’hypnotiser les foules avec ses performances spectaculaires. Groupe à géométrie variable et accueillant volontiers de nombreux (et prestigieux) invités sur ses disques, AFRO CELT SOUND SYSTEM est ainsi devenu un parangon de cette « sono mondiale » génératrice de fusions ethno-électro en même temps que l’un des groupes phares du label Real World, fondé par Peter GABRIEL.

Dans la seconde moitié des années 1990, l’équipe d’ETHNOTEMPOS/RYTHMES CROISÉS a eu l’occasion de s’entretenir à deux reprises avec le musicien et producteur Simon EMMERSON (ex-WORKING WEEK, ACE OF CLUBS…), maître d’œuvre – avec James McNALLY (ex-THE POGUES) – de cette fusion inédite et audacieuse, ainsi qu’avec deux des musiciens du groupe, le joueur de kora et de balafon guinéen N’Faly KOUYATE et le harpiste breton MYRDHIN. Rencontres avec un groupe du troisième type…

Première Rencontre : Entretien avec Simon EMMERSON (1997)

C’est toi le principal responsable de la création du groupe AFRO CELT SOUND SYSTEM. Peux-tu nous raconter comment il est né ?

Simon EMMERSON : C’était en 1991, alors que je travaillais à Dakar, capital du Sénégal, avec le griot BAABA MAAL, sur un album qui s’appelle Lam Toro. J’avais enregistré trois morceaux, dont un qu’il faut absolument écouter parce qu’il contient en germe l’idée d’AFRO CELT. BAABA MAAL chante une superbe « lament » sénégalaise, accompagné au low whistle par Davy SPILLANE. J’avais demandé en effet à ce dernier de bosser avec moi sur ce disque, et il m’avait dit que beaucoup d’Irlandais se sen-taient d’étroites affinités avec la musique africaine. Il m’avait laissé également entendre que les Irlandais originels, avant les Celtes, avaient pu être noirs. C’est quelque chose que je ne savais pas.

Pendant trois/quatre ans, cette idée m’a énormément travaillé. Il faut dire que j’ai aussi rencontré deux frères somaliens qui vivaient au Pays de Galles et qui parlaient gallois ! Et dans un bouquin, The Black Celts, qui traite de l’histoire du peuple gallois, j’ai appris que la langue berbère était assez proche de celle des Gallois et qu’il y aurait eu, il y a plusieurs siècles, une migration du Nord de l’Afrique vers l’Europe et les îles celtiques. Les premiers empires égyptiens auraient pu se disperser dans deux directions, vers l’Inde et vers l’Europe… Les ancêtres de la tribu de BAABA MAAL, eux, auraient voyagé vers le Sud, à travers le Sahara, la Mauritanie, jusqu’au Sénégal. Bref, c’est une idée fascinante ! Quant à savoir si elle est vraie… Les Africains du groupe, en tout cas, se sentent vraiment chez eux en Irlande !

J’ai donc eu l’idée de réaliser un disque afro-celtique. Je ne voulais pas vraiment monter un groupe, mais juste travailler avec différents musiciens, dont Masamba et Kawdhing, du groupe BAABA MAAL, et James McNALLY, un ami issu de MARXMAN, un groupe de hip-hop celtique. On m’a suggéré d’appeler Iarla O’LIONAIRD et Ronan BROWNE. Quant à Davy SPILLANE, c’est un très bon ami. Il s’est déplacé en Angleterre pour rester seulement trois heures en studio !

Cependant, n’étant pas moi-même un musicien celtique, je ne tenais pas à faire un album traditionnel. C’eut été malhonnête…

Quelles sont donc tes racines musicales ?

SE : Elles remontent du punk jusqu’au reggae ! J’ai également été impliqué dans le groupe WORKING WEEK où mon nom était Simon BOOTH. Je me suis aussi retrouvé à faire des remixes sur la scène dance londonienne, en tant que DJ. Je voulais donc faire un disque en partie moderne, contemporain de ma culture, qui est plus dance, drum n’bass, reggae… et folk, car j’en ai fait aussi !

AFRO CELT a ainsi donné son premier concert au festival de WOMAD, sur la scène du Whirl-Y-Gig, où l’on passe généralement de la world et de la dance music. C’est une sorte de grande rave avec un public très jeune, avide d’acid house et de techno. Ce concert fut fantastique ! Le jour suivant, nous sommes allés enregistrer le disque dans les studios de Peter GABRIEL, à Real World, pendant une semaine.

Connaissais-tu Peter GABRIEL ?

SE : J’avais déjà travaillé avec lui, oui. J’avais notamment produit l’album Trance, de Hassan HAKMOUN, un musicien marocain, gnawa. J’ai dû produire deux ou trois disques pour Real World… Pour être honnête, aucun label, aucune maison de disques n’a été intéressé par le concept d’AFRO CELT. Mais Peter GABRIEL m’a dit : « OK, c’est une grande idée ! » Personne n’a été payé pour jouer. On a juste fait ça par plaisir, par passion, sans investir de fric ! On n’avait aucune idée des ventes que le disque pourrait faire. Il se trouve qu’il s’est vendu à dix mille exemplaires… et ça continue ! Ça, c’est fantastique ! Remar-quable !

Au départ, AFRO CELT n’était qu’un « project » ; aujourd’hui, c’est devenu un vrai groupe folk, où chacun écoute jouer l’autre. Tu vois la différence ? L’an dernier, c’était encore dépendant du sound system, avec ses remixes et sa face techno. Dorénavant, cet aspect est plus « fondu ».

Le premier CD était sous-titré « Volume 1 ». Je suppose que tu envisages donc de faire un « Volume 2 ?

SE : Oui, dès qu’on aura achevé la tournée ! Sûrement en octobre… Et il sortira l’an prochain, je l’espère ! Il y a beaucoup d’attente. Le premier album fut facile à faire, personne ne regardait après. Personne ne savait. Mais pour le second album, tout le monde sait, tout le monde attend. C’est un peu effrayant… A l’origine, ce « Volume 2 » devait être un remix du « Volume 1 ». Mais j’ai aussi l’idée de faire un album acoustique et de le faire produire par quelqu’un d’autre. Peut-être Donal LUNNY…

Ce nouvel album présenterait donc l’autre face d’AFRO CELT ?

SE : Oui, ce serait vraiment intéressant. Jouer acoustique, c’est merveilleux ! Le son du bodhran, du talking drum, de la kora, de la harpe celtique… c’est magique ! Pour autant, cet album acoustique ne sera pas un album « traditionnel ». Je préfère que nous écrivions de nouveaux morceaux plutôt que de reprendre des airs traditionnels irlandais, par exemple, même si nous avons dans nos rangs les musiciens irlandais les plus respectables, comme le piper Ronan BROWNE ou le chanteur Iarla O’LIONAIRD, qui a reçu tout l’héritage du sean-nos (chant traditionnel gaélique). Mais aucun de nous ne veut faire un album « trad ».

Mais vu l’aspect du premier disque, n’y a-t-il pas danger – commercialement parlant – à envisager un album acoustique ?

SE : Oh oui, ce sera un suicide ! Mais je ne fais pas tout ça pour des raisons commerciales. J’ai conçu le premier album à un moment où je devais le faire. Tu vois, c’est un peu comme un mission. Le Graal, la Quête… Il m’a fallu quatre ans pour réaliser cela, depuis le moment où j’étais à Dakar. C’est un peu comme une vision mystique. Ça relève du spirituel, et c’est par conséquent très difficile à expliquer, mais c’est quelque chose qui devait arriver. Alors bien sûr, on a envie de le vendre ce disque ! Quatorze pékins sur la route, ça revient cher… Et nous sommes ambitieux ! James McNALLY, qui joue aussi avec les POGUES, voudrait qu’on devienne aussi célèbres qu’eux ; c’est dire !

Il semble que le Volume 1 : Sound Magic fasse surtout la part belle aux thèmes celtiques, irlandais, la musique africaine n’étant présente qu’à travers les rythmiques percussives et, bien entendu, le kora et le nyatiti.

SE : Oui et non… Il y a aussi des airs africains ; Ayub OGADA en a intégré quelques-uns. Bon d’accord, la majeure partie est dominée par des mélodies celtiques, mais nous n’avions pas de chanteur africain. Pour le prochain CD, il y aura N’Faly KOUYATE – notre joueur de kora sur scène – qui assurera le chant. Évidemment, c’est facile de critiquer le disque… On ne peut pas tout faire ! On n’allait pas non plus demander à Iarla de chanter avec un accent nord-africain, c’eût été ridicule ! Lui, il chante dans le style que lui ont transmis ses ancêtres ; c’est ça qui est intéressant ! Au demeurant, si tu comprends la musique, tu sais qu’il ne se contente pas de « chanter ».

Et le chevalier EMMERSON de clore son rapport de faits d’armes sur l’évocation de ce mystère quasi-« excaliburien ». Ici, les mots pourraient encombrer la « magie sonore » de la Table ronde afro-celtique…

Deuxième Rencontre : Entretien avec MYRDHIN & N’FALY KOUYATE (1997)

Les participations du barde breton MYRDHIN et du griot sénégalais N’Faly KOUATE au périple technoïde d’AFRO CELT ont pu surprendre ; elles sont toutefois révélatrices du souci de Simon EMMERSON de ne pas tricher avec les sons acoustiques. Comment, en effet, ne pas être envoûté par les arpèges magiques des harpes celtiques et africaines ? MYRDHIN et N’Faly ont bien voulu nous livrer leurs impressions.

MYRDHIN, tu es donc l’un des rares musiciens à faire partie à la fois du groupe de scène et du projet studio qui a donné naissance au premier disque d’AFRO CELT SOUND SYSTEM.

MYRDHIN : Oui. Auparavant, j’avais participé au CD d’un griot sénégalais, l’un des trois grands, qui s’appelle Baaba MAAL. Simon EMMERSON m’avait appelé chez Peter GABRIEL pour introduire la harpe celtique dans l’album de Baaba MAAL. Ça fait déjà six/sept ans. Ça avait bien fonctionné, et ce fut l’un des éléments qui a mené vers le concept  » AFRO CELT « . D’abord, il y a eu ce collectage fait par Davy SPILLANE et Simon EMMERSON au Sénégal. Après donc, il y a eu le CD de Baaba MAAL, et comme tout ça fonctionnait bien, il y a eu un troisième échelon.

Donc, tu as été rapidement intégré au concept d’AFRO CELT. C’était ta première rencontre avec l’univers techno ?

M. : Ah ! oui ! C’était la deuxième avec l’univers africain, mais la première avec l’univers techno !

Et alors ?

M. : Ben, j’ai eu à la fois mal aux oreilles et puis des frissons, quand même.

Penses-tu que ton apport a été suffisamment mis en avant ?

M. : Oh !, c’est pas très en avant ! La harpe apporte une touche de couleurs. Évidemment, en tant qu’artiste, on trouve toujours qu’on est sous-mixé. (rires)

Pouvez-vous nous dire tous les deux quelles sont les différences entre la harpe celtique et la harpe africaine, la kora ?

N’Faly KOUYATE : C’est une bonne question. Moi, je peux déjà dire que, sur la harpe celtique, il n’y a qu’une rangée de cordes, donc les notes sont successives. Quant à la kora, elle a deux rangées et les notes sont alternatives. Nous avons le do à droite, le ré à gauche.

M. : Mentalement, ça procède d’un autre système.

N’F.K. : Et la seconde différence, c’est que les notes les plus basses sont en bas, sur la harpe celtique. Sur la kora, c’est le contraire, les notes basses sont en haut, et les aigus en bas.

J’ai le projet, en Belgique, de donner des cours de kora en conservatoire, et c’est une seconde mondiale. Pourquoi seconde ? Parce que la première a été faite par un Sénégalais qui a fait une étude, au Canada, sur la kora. La seconde étude sera de moi.

Y a-t-il une origine commune aux deux harpes ?

M. : Oui, évidemment, on est dans le domaine des hypothèses, mais on peut suivre le même cheminement. Quand on fait l’histoire de la harpe celtique, c’est vrai que, la plupart du temps, on commence par l’arc musical, sur lequel on a mis 4/5 cordes, puis on l’a doté d’un élément de caisse de résonance. Tout cela a été perfectionné par les peuples du bassin méditerranéen, comme les Mésopotamiens, les Assyriens, ou les Égyptiens. L’hypothèse, c’est que ce serait peut-être les Égyptiens qui l’auraient amenée vers les pays celtiques, parce qu’il y avait des échanges commerciaux. Les Égyptiens venaient chercher des métaux dans les pays celtiques, comme l’étain, l’argent, le plomb. Alors peut-être qu’ils ont amené la harpe, ou l’idée de la harpe. Mais pourquoi les Gaels d’Irlande n’auraient pas inventé eux-mêmes leur propre harpe ? On ne saura jamais la vérité. Mais ce n’est pas très important finalement. Ce qui l’est, c’est qu’il y a eu besoin de s’exprimer sur des instruments médiums, similaires.

N’F.K. : De plus, la coïncidence des choses (je ne sais pas s’il faut parler de coïncidence ou de hasard), fait que AFRO CELT a réuni des griots européens et des griots africains. Le griot européen, c’est le barde. Le barde africain, c’est le griot.

M. : En parlant chacun de notre tradition, on a découvert que, barde et griot, c’était la même chose.

N’F.K. : Ils avaient les mêmes fonctions dans les deux sociétés, pourtant différentes.

Oui, c’est une curieuse coïncidence.

M. : Je crois que c’est un argument important contre ceux qui verraient dans cette association quelque chose d’artificiel. Pour ma part, je n’avais jamais été porté vers la musique africaine. Je ne la connaissais pas. Je pense que c’est la même chose pour N’Faly, il ne connaissait pas la musique celtique.

N’F.K. : Effectivement !

M. : C’est une rencontre qui a fonctionné parce qu’il y avait des éléments catalyseurs ; et parce que chacun a été respecté dans ce qu’il faisait par rapport à sa tradition. Chacun a apporté ce qu’il a de meilleur, et ça marche ! Après, c’est aux musicologues de dire pourquoi ça marche. Nous, finalement, on est artistes, musiciens : c’est pas notre partie.

Troisième rencontre : Entretien avec Simon EMMERSON (1999)

Bravant les critiques des puristes folk, AFRO CELT SOUND SYSTEM est revenu avec son très attendu deuxième album, en passe de devenir un disque de référence de cette quatrième dimension qu’est la « trans-world-fusion ».

Sound Magic, le premier album de l’AFRO CELT SOUND SYSTEM, avait suscité tant la curiosité que le doute dans les milieux « world », qui avaient du mal à accepter que des programmateurs de musique techno et dance empruntent aux cultures ouest-africaine et irlandaise leurs sonorités ancestrales de kora, de talking drum, d’uillean pipe ou de harpe celtique. Pour compliquer la situation, la transe de l’AFRO CELT SOUND SYSTEM n’était pas uniquement constituée de samples et de triturations diverses de platines, mais faisait intervenir de vrais musiciens rompus aux traditions celtiques et africaines.

Le premier opus étant sous-titré Volume 1, chacun attendait la suite des événements, qui fut hélas retardée par la brutale disparition, en octobre 1997, du claviériste Jo BRUCE, fils du remarquable chanteur Jack BRUCE (ex-CREAM).

AFRO CELT SOUND SYSTEM, avec à sa tête le producteur, compositeur et programmateur Simon EMMERSON, a fait le choix de continuer à vivre, avec cependant la ferme décision de creuser davantage son expérience de métissage des musiques celtiques et africaines avec le sound system des DJ, de manière à ne trahir personne. Chacun a mis la main à la pâte, et c’est ainsi que le Volume 2 a enfin vu le jour cette année, judicieusement baptisé Release (Real World / Virgin).

On peut certifier en effet de la maturité atteinte par AFRO CELT SOUND SYSTEM avec cet album qui, sans bouleverser la donne générale de l’univers instrumental du groupe, met plus à profit les apports de chacun des musiciens. Talking Drum, djembé (Moussa SISSOKHO) et bodhran mêlent leurs pulsations aux rythmiques machiniques en une polyrythmie ethno-futuriste extatique, tandis que les whistles de James McNALLY, la kora et le balafon de N’Faly KOUYATE et la harpe celtique de MYRDHIN se glissent fort habilement dans les textures hypnotiques de Simon EMMERSON et de Martin RUSSEL.

Côté chant, on retrouve avec plaisir Iarla O’LIONAIRD, fin connaisseur du sean-nos irlandais, qui se fend même d’un inattendu duo avec Sinead O’CONNOR sur le morceau éponyme de l’album. Les uillean pipes de Ronan BROWNE et de Michael McGOLDRICK sont venus renforcer la couleur irlandaise, mais la présence du bassiste YOUTH sur une pièce à coloration ambiant-dub (Hypnotica) et celle du percussionniste du groupe DHOL FOUNDATION, Johnny KALSI, à plusieurs endroits de l’album, propulsent l’AFRO CELT SOUND SYSTEM au-delà de ses sources d’inspiration originelles.

Johnny KALSI a du reste été intégré aux performances scéniques du groupe (qui est passé à Saint-Brieuc et à Paris en mai 1999), et quand il frappe sur son imposant dhol drum, mieux vaut lui faire de la place ! On se souviendra de l’époustouflant tournoi percussif qu’il a effectué avec Moussa SISSOKHO sur Riding the Waves, l’un des morceaux trance qui (comme Big Cat) prennent nettement plus d’ampleur et de puissance en concert. Une chose est sûre : l’AFRO CELT SOUND SYSTEM fait une musique qui lui ressemble, sans nécessairement suivre les balisages convenus.

Sollicité pour travailler sur les derniers opus d’Alan STIVELL et de Carlos NUÑEZ, Simon EMMERSON, qui a déjà produit plusieurs albums pour Real World, a tenu à mettre les choses au point au sujet de sa « créature ».

À l’époque où AFRO CELT SOUND SYSTEM a sorti son premier disque, j’ai eu l’impression qu’un malentendu s’est formé au sujet de votre démarche musicale et que, encore aujourd’hui, les choses ne sont pas claires pour certaines personnes. Peut-on dire que le groupe a juste tenté de mélanger la musique celtique et la musique africaine en leur donnant un aspect « moderne » ?

Simon EMMERSON : Derrière AFRO CELT, il y a SOUND SYSTEM. Or, le « Sound System » est un concept moderne. Depuis le début, nous n’avons jamais caché notre provenance : nous venons de la culture DJ. Le premier concert que nous avons donné était dans une rave party, au Whirl-Y-Gig de Womad, et le public n’était pas du genre à écouter du folk. Par conséquent, il n’y a pas de malentendu et nous avons toujours été très clairs là-dessus. Nous aurions menti si nous nous étions appelés « Afro Celt Acoustic Band », « Afro Celt Ensemble » ou « Afro Celt Folk Experience » !

Malheureusement, les maisons de disques s’affolent dès qu’un nouveau groupe débarque et perturbe les cloisonnements établis entre « folk music » et « dance music ». Alors évidemment, quelques journalistes peuvent avoir du mal à comprendre quel genre de musique nous jouons, mais il leur suffirait de faire un tour dans mon quartier de Londres et ils comprendraient parfaitement !

Mon voisinage est en effet très cosmopolite, et cette proximité des cultures a engendré un nouveau genre musical que nous appelons à Londres « Global Beats ». La musique d’AFRO CELT SOUND SYSTEM relève d’une démarche similaire à celle du groupe TRANSGLOBAL UNDERGROUND, ou encore à celle de Talvin SINGH. Nous n’avons jamais prétendu faire un album qui s’adressait à des puristes du folk. Du reste, je ne pense pas que ce soit très intéressant ; mais on pourrait le faire un jour. Nous avons déjà donné des concerts acoustiques, et c’était fantastique !

Et de plus, certains musiciens du groupe ont un bagage traditionnel.

SE : Absolument ! En fait, nous sommes tous, à des degrés divers, impliqués dans les musiques traditionnelles ; que ce soit Iarla, N’Faly ou MYRDHIN, dont les disques sont généralement acoustiques, par exemple. Et pour ma part, j’ai produit une pièce acoustique sur le dernier album de Carlos NUÑEZ (NDLR : Os Amores Libres). Comme quoi je peux le faire !

Dès lors que l’on parle de fusion entre folk et techno, nombreux sont les gens à penser que cela consiste seulement à ajouter des « techno beats », des rythmes primaires et machiniques, sur de la musique traditionnelle.

SE : C’est ce que font des groupes comme DEEP FOREST ou SACRED SPIRITS. Mais ce que nous faisons dans AFRO CELT est quand même plus organique. Les sons que nous utilisons sont les nôtres, et non des samples exotiques bon marché ! Nous avons beaucoup travaillé là-dessus, et c’est important à souligner. En tant que programmateur de rythmes, je me suis attaché à travailler très étroitement avec les thèmes, les mélodies.

Si j’étais un mauvais programmateur, ça se remarquerait tout de suite, car il faut pas mal de compétences pour programmer de bonnes séquences rythmiques. Tout cela pour dire que nous sommes différents de ces groupes comme DEEP FOREST qui, eux, sont de vrais racketteurs. Je suis désolé de le dire, mais ils ont pillé les cultures indigènes sans aucune forme de respect !

Votre nouvel album, Release, illustre votre volonté de créer une musique effectivement plus organique, où chaque musicien a son espace d’expression. Il y a également des ambiances plus variées que sur le premier disque.

SE : Certains m’ont dit qu’il était plus enjoué, plus « positif », d’autres qu’il était plus triste, mélancolique. Bien sûr, d’autres personnes ont trouvé qu’il y avait encore trop de techno ! MYRDHIN m’a dit qu’on n’aimait pas tellement la techno en Bretagne. C’est ridicule, car la techno d’AFRO CELT, en concert, fonctionne à merveille.

Chacun y voit des choses différentes en fait, et cela montre combien le disque est riche, profond. Plus on l’écoute, plus on découvre ses multiples aspects. C’est aussi pour ça qu’on a créé une partie CD-Rom avec un jeu interactif. Avec ce dernier, on se rend compte que la musique d’AFRO CELT possède de nombreuses textures et est travaillée à différents niveaux, un peu à la manière de groupes comme UNDERWORLD ou CHEMICAL BROTHERS, sauf que nous utilisons aussi bien des instruments acoustiques que des « drum machines ». Donc, je pense que l’album est bon parce qu’il y a plusieurs niveaux de lecture, comme tout bon livre ou film.

Comment procédez-vous pour écrire les morceaux ?

SE : Nous essayons de tout partager, d’être le plus démocratique possible, mais il faut d’abord savoir qu’il n’est pas facile de faire tourner une formation comme la nôtre. Le montant de la recette des ventes de disques est reversé dans les concerts, les tournées, et 30 % sont réservés aux droits de publication.

Bref, nous partageons les droits et nous écrivons les pièces collectivement. Eireann, par exemple, fut le premier morceau composé après le décès de notre claviériste, Jo BRUCE. James McNALLY avait une séquence rythmique et quelques accords, Iarla O’LIONAIRD est venu se mettre à chanter, nous avons écrit la partie de guitare, la mélodie. Quant à Lovers of Light, il a été créé avec Amber : il devait y avoir une seconde partie, je jouais de la guitare acoustique, James a apporté une mélodie et, alors que ça devait être un morceau acoustique, j’ai ajouté de la basse, des parties de percussions. Il n’y a pas vraiment de règles, tu vois ! Le processus est constamment changeant, et c’est ce qui permet de conserver une certaine fraîcheur.

Article réalisé par Druidix, à partir d’entretiens publiés dans
ETHNOTEMPOS N°1 – novembre 1997
et ETHNOTEMPOS n°5 – octobre 1999)
– Photos : Sylvie Hamon

(Cet article est dédié à Simon EMMERSON, disparu en mars 2023)

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