MAGMA – Slag Tanz
(Seventh Records / Jazz Village)
« Kkkhhôôää ? Un album de seulement 20 ridicules petites minutes vendu au prix d’un CD normal, à raison de quasiment un euro la minute ? Z’ëst uhn Zkandâhl ! MAGMA pourri, vendu au Cshôôh bïznëhss ! Ooouuhhh !!!… » Voui voui, voui, les oreilles ont dû un peu siffler sur Kobaïa à la sortie de ce Slag Tanz, qui réitère le même « défaut » que le précédent CD (la version 2.0 de Rïah Sahïltaahk), qui ne durait pas plus de 21 minutes, lequel faisait de même suite à un autre opus (Félicité Thösz), qui dépassait tout juste la demi-heure ! Rappelons au passage que le support CD a été jadis vendu avec l’argument qu’il pouvait contenir plus de musique qu’un vinyle, soit 75 minutes en moyenne. Effectivement, avec les dernières réalisations de MAGMA, on en est loin ! Et ne parlons pas de la nouvelle lubie de Seventh, qui réédite tout le catalogue MAGMA en format LP, ainsi que les nouveaux opus, qui ressemblent donc à des maxi-45 Tours vendus au prix d’un 33 Tours import ! À l’heure où la dématérialisation s’impose comme l’idéologie dominante des comportements de consommation musicale, c’est quasiment de la provocation. Au fond, MAGMA, c’est très punk ! Pendant ce temps-là, les SEX PISTOLS acceptent de servir d’effigies sur des cartes bancaires. Never mind… ! Il faudra un jour qu’on réécrive l’histoire de la lutte anticapitaliste dans le monde de la musique…
Bon, où en étais-je ?… Oui : qu’à cela ne tienne ! Le choix éditorial de Seventh, si vous ne l’aviez pas remarqué, consiste à mettre en valeur la spécificité de chaque épopée magmaïenne, et de ne pas en trahir l’unité conceptuelle avec du remplissage intempestif. Un bon Kobaïen est un Kobaïen qui a su faire la part des choses entre quantité et qualité et qui, par conséquent, aura su élever sa divine et ô combien cérébrale conscience au-dessus de ces considérations mercantiles aussi mesquines que maudites.
D’autant que la composition Slag Tanz n’a en fin de compte plus rien à prouver, puisqu’elle est en principe connue de tous ceux qui ont vu MAGMA en concert ces cinq dernières années. Inaugurée lors des concerts célébrant le 40e anniversaire du groupe, elle n’a cessé de se bonifier et de se développer. De onze minutes qu’elle faisait à ses débuts, elle est parvenue à presque doubler sa durée en cinq ans. Plutôt pas mal, non ? Alors, les sarcasmes sur le manque d’inspiration du compositeur peuvent être mis en veilleuse. On connaissait son pointillisme et son perfectionnisme ; on peut maintenant apprécier son sens du compactage, de la condensation. Car plusieurs écoutes attentives (et un tant soi peu concernées) finiront par faire reconnaître que Slag Tanz est un concentré de vibrations, un fourmillement scrupuleusement ordonné d’idées rythmiques et harmoniques témoignant du degré de maîtrise accrue dans l’écriture.
Ne vous laissez pas démonter par la segmentation en huit plages, Slag Tanz est un bloc qui s’écoute d’un bout à l’autre, avec tout juste une légère pause au milieu et une cassure pour la coda. Ses différentes sections sont reliées par un thème rythmique implacable et entêtant qui met la basse en première ligne, la batterie (et ses cymbales vindicatives) étant toujours au diapason de l’ébullition. Ledit thème est aussi scandé par la section vocale, divisée entre deux voix féminines en mode aérien et une voix masculine en mode martial, mais qui module parfois également dans les aigus. Et le batteur de jouer du contretemps et de la ponctuation improbable pour plonger l’auditeur dans cette Slag Tanz à l’ambiance hypnotique et grisante allant crescendo qui ne fait pas plus de quartiers que dans la dentelle (même si les arrangements sont ciselés). Ce n’est pas seulement une pièce de musique qui s’écoute, c’est un rite qui s’exprime sans fard et qui diffuse ses miasmes sans crier gare. Sa noirceur intrinsèque s’inscrit dans le sillage de celles de Köhntarkösz, de Zombies et de De Futura. Cette noirceur n’est aucunement dépressive mais plutôt oppressive, et s’impose comme le passage obligé vers une lumineuse révélation. De la colère comme voie de la rédemption…
Côté littéraire, l’histoire de Slag Tanz, même si elle est narrée en majeure partie en kobaïen, se démarque des opus classiques magmaïens par une plus grande place accordée à des incrustations de phrases « qui causent bien la France ». Les mantras « Eï ïhn doïa » et « Ü woreï, sün dö woreï » voisinent ainsi avec des « clochers des Mondes (qui) ont tinté », une « âme blessée » et des oiseaux qui « se sont envolés ». L’usage du français n’est donc pas tant destiné à favoriser la compréhension de la langue kobaïenne qu’à en redéployer le panel d’énigmes poétiques. Mais pour qui connaît l’œuvre vandérienne hors MAGMA, il n’y a là rien que de très familier, et chacun appréciera comme bon lui semble ce recours à la langue de l’exception culturelle hexagonale.
Quoi qu’il en soit, Slag Tanz, en dépit de sa durée « petits bras », est appelé avec le temps à figurer dans le haut du panier des épopées magmaïennes. Pendant ombrageux et courroucé de Félicité Tösz, Slag Tanz clôt en principe la (longue) marche de MAGMA vers son étape ultérieure, à savoir la « nouvelle musique » promise par son géniteur. Souhaitons qu’on commencera à en voir la couleur dès que MAGMA aura achevé son « tour sans fin »…
Site : http://www.magmamusic.org/
Label : www.seventhrecords.com
Stéphane Fougère