Mark ATKINS
Le Didgeridoo à la conquête des cinq continents
Mark ATKINS est sans aucun doute l’un des joueurs australiens de didgeridoo les plus célèbres dans le monde. Il a eu la chance d’être invité sur scène avec de nombreuses personnalités du rock, de la pop ou de la world-music telles que Jimmy PAGE et Robert PLANT, Peter GABRIEL, Philip GLASS, Ravi SHANKAR, Sinead O’CONNOR ou encore le London Philharmonic, ainsi qu’avec des « stars » australiennes comme James MORRISON ou GONDWANA. Par ailleurs, il se produit régulièrement en tournée dans toute l’Europe, l’été dernier notamment au Festival Interceltique de Lorient et au Festival Les Escales de Saint-Nazaire, où nous l’avons rencontré.
Mark ATKINS est originaire par sa mère de la tribu aborigène Yamitiji, de l’Ouest de l’Australie, et irlandais par son père.
« Ça n’a pas été facile de vivre tout en étant à la fois Irlandais et Aborigène, blanc et noir. Dans les années 1960 et 1970, le racisme en Australie n’est pas religieux, ni politique, le problème était la couleur, être à la fois noir et blanc. J’ai grandi dans cet état d’esprit, ce n’était pas vraiment facile. »
Dès l’âge de 14 ans, Mark ATKINS joue de la batterie. Il fait du rock pendant plusieurs années et devient musicien professionnel, sans avoir eu encore l’occasion d’utiliser sur scène l’instrument traditionnel des Aborigènes, le didgeridoo. Cet instrument très ancien, de plusieurs milliers d’années, est fait d’une branche d’eucalyptus creusée dans toute sa longueur par les termites. Le joueur fait vibrer ses lèvres, tout en maintenant un souffle continu. Les sons obtenus avec cet instrument peuvent aller du simple bourdon à une rythmique techno, entièrement naturelle et acoustique, ou encore des imitations de cris d’animaux.
« Mon père était chanteur de country. Mes parents espéraient que je ferais autre chose de mieux que du rock’n roll, mais ils n’ont jamais pensé que c’était négatif. Un jour, le didgeridoo est entré dans ma vie. Mon oncle qui dansait pour les funérailles de ma tante m’a demandé de jouer du didgeridoo. J’avais 21 ou 22 ans. Ça a comblé un vide dans ma vie. Je venais de la scène du rock’n roll et c’était dur pour les groupes aborigènes ou les groupes noirs d’avoir du travail. Les rassemblements étaient réservés aux blancs et les noirs n’y étaient pas les bienvenus. Le didgeridoo m’a pris beaucoup de temps, et ça fait plus de vingt ans maintenant que je tourne en tant que professionnel. »
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Au début des années 1990, Mark ATKINS fonde le groupe KOORIWADJULA, dans lequel il joue de la batterie et du didgeridoo, avec des musiciens australiens : Michael CLARKE à la batterie, au chant et au violon, David GILCHRIST à la guitare, aux claviers et au chant, Ross HUNTER à la basse et au chant, Kevin MILLET à la guitare et au chant et Randall WILSON aux percussions. Ils enregistrent un disque qui sort en 1993 et qui porte le nom du groupe. Sont invités plusieurs musiciens aux guitares, au chant et au didjeridoo.
Cette formation rock chante en anglais et introduit pour la première fois en Australie le didgeridoo dans cette musique. Les chansons sont assez pop mais le didgeridoo trouve sa place partout sous tous les styles, dans les chansons comme dans les parties instrumentales où il sait tour à tour être atmosphérique (Dumble-Murray), bavard (Didge Boogie) ou même étrange et effrayant (Bullima). Un morceau comme Tuckoniesoffre une musique hypnotique avec la batterie presque chamanique accompagnant le vrombissement du didgeridoo.
« Koori signifie les anciens de la terre aborigène, et Wadjula veut dire blanc. Les gens disent que KOORIWADJULA était « les hommes noirs et les hommes blancs ». C’était au début des années 1990… de 1990 à 1994 je crois. Je pense que nous avons duré parce que j’ai essayé de mêler le didgeridoo et la musique « mainstream » contemporaine, et de faire en sorte que les blancs et les noirs se mélangent. Mais l’Australie n’était pas encore prête pour ça. C’était quelques années avant que le groupe YOTHU YINDI fasse la même chose. »
KOORIWADJULA se produit en Australie dans les festivals et rassemblements de rock, les universités et les écoles, puis connaît même un certain succès qui l’amène à effectuer des tournées nationales et internationales. Le groupe se produit notamment en Allemagne.
En parallèle, Mark ATKINS intègre le théâtre REM de Sydney en 1994 pour participer à la création qui doit célébrer le 20e anniversaire du Sydney Opera House, puis continue de travailler avec cette compagnie de théâtre pour de nombreux projets, en tant que musicien, compositeur et directeur artistique.
En 1994, il participe au disque de Charlie McMAHON & GONDWANA, Travelling, sur un titre (Pig Wobble) et enregistre le Didgeridoo Concerto, où il joue du didgeridoo en continu pendant plus de 50 minutes, et sur lequel on peut entendre une grande variété de sons de la nature (eau, vent, pluie) et cris d’animaux.
Il réalise ensuite l’album Plays Didgeridoo (1995), qui contient neuf titres et dans lequel le didgeridoo est bien évidemment à l’honneur. On peut y entendre également une guitare, une basse et une batterie. Ce disque reprend trois titres de l’album de son groupe KOORIWADJULA, Tuckonies (Tree Spirit) et les deux instrumentaux Bullima et Dumble-Murray. Puis en 1996, il participe à l’enregistrement de l’oeuvre de Peter SCULTHORPE, The Fifth Continent, avec un orchestre symphonique et réalise l’album City Circles, spécialement pour une tournée européenne, dans lequel le didgeridoo imite à la perfection les animaux.
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En 1997, Mark ATKINS participe à la création du projet ANKALA avec un autre musicien aborigène, Janawarri YIPARRKA, descendant des Yamitji et des Wongatha, lui aussi joueur de yidaki (l’autre nom du didgeridoo) et chanteur, et Michael ATHERTON, musicien australien. Ce dernier, multi-instrumentiste, utilise des instruments différents pour chaque morceau afin de les mêler aux deux digeridoos qui dominent l’album : bouzouki, darbouka, djembé, dobro, vielle à roue, marimba… Trois invités viennent ajouter quelques couleurs à ces instruments du monde, à l’accordéon, aux percussions (djembé, tablas, darbouka) et au saxophone soprano.
La plupart des morceaux sont des compositions originales des trois musiciens d’ANKALA qui évoquent les grands espaces australiens, l’amour et la danse, dans des ambiances assez variées. Si le son des didgeridoos est sauvage dans Road Train pour évoquer l’allure des trains de marchandises à travers le continent, Stock Route est mené par la mélodie du dobro accompagnée par le bourdon tranquille des didgeridoos et rappelle le rythme des cow-boys australiens sur les pistes. Café Izmir s’inspire pour sa part de la musique turque afin d’évoquer un quartier de Sydney très cosmopolite.
Ce premier album d’ANKALA, Rythms from the Outer Core, est une grande réussite ; aussi, le groupe réitère l’expérience en 2000, cette fois sans Michael ATHERTON. Le désormais duo ANKALA, formé par Mark ATKINS et Janawirri YIPARRKA, est rejoint par un WORLD ORCHESTRA comprenant des musiciens célèbres : le flûtiste australien Peter FASSBENDER, le joueur de tablas indien Shankar LAL, le percussionniste brésilien Dom Um ROMA, la chanteuse allemande de soul, blues et gospel Christiane NIEMANN, le saxophoniste américain David MURRAY, et enfin deux musiciens français du groupe BRATSCH, le violoniste Bruno GIRARD et l’accordéoniste François CASTIELLO.
Sur l’album Didje Blows the Games, les didgeridoos ne dominent plus même si ce sont bien eux qui mènent cet « orchestre du monde » dans un voyage passionnant à travers l’Australie. Cet album sera le dernier du projet ANKALA.
« ANKALA était une expérience avec le label WorldNetwork basé en Allemagne à Francfort. L’idée était de faire jouer des musiciens connus ensemble et d’intégrer le didgeridoo. Nous avons fait le point : tout le monde a gagné de l’argent et était très heureux, mais au final la plupart d’entre nous sommes partis chacun de notre côté faire notre musique. »
Entre-temps, l’album Plays Didgeridoo ressort sous le titre Didgeridoo Dreamtime sur le label anglais ARC Music, et lui permet une meilleure diffusion. C’est d’ailleurs, avec les deux albums d’ANKALA, celui de Mark ATKINS que l’on trouve le plus facilement en France et dans le reste de l’Europe. Ce qui est loin d’être le cas pour les autres albums. En 1999 par exemple, est sorti Walk About, un album devenu totalement introuvable même sur internet, sur lequel on peut entendre quelques chansons chantées et jouées à la guitare par Mark.
Entre 2000 et 2001, il collabore à nouveau avec Charlie McMAHON et GONDWANA pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques à Sydney, puis réalise les parties de didgeridoo sur le disque du compositeur australien Romano CRIVICI, Flat Earth.
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En 2001, Mark entame une collaboration avec Philip GLASS qui vient de composer une oeuvre de commande pour la ville de Melbourne, Voices for Organ, Didgeridoo and Narrator. L’idée est de combiner l’orgue représentant l’église européenne avec le didgeridoo, symbole de la musique indigène de l’Australie. Philip GLASS connaît le talent de Mark ATKINS par le biais de ses disques et lui propose de venir enregistrer à New-York. Les deux hommes passent une semaine à travailler à l’intégration des parties de didgeridoo aux compositions déjà prêtes.
Mark collabore également avec Philip GLASS, la même année, à l’enregistrement de la musique du film Naqoyqatsi, pour laquelle le célèbre violoncelliste Yo Yo MA est le soliste. La collaboration entre Philip GLASS et Mark ATKINS ne s’arrête pas là, puisque les deux musiciens se retrouvent pour la création du spectacle Orion pour les Jeux Olympiques d’Athènes en juin 2004 avec, entre autres, Ashley MacISAAC, Wu MAN et Ravi SHANKAR et l’enregistrement de l’album, Orion, qui sort en 2005. Cet album comporte dix morceaux pour la plupart d’une dizaine de minutes ou plus, répartis sur deux CD : Australie, interlude Australie et Chine, Chine, Canada, interlude Canada et Gambie, Gambie, Brésil, Brésil et Inde, Inde, Grèce. Enfin, en juin 2006, Philip GLASS et Mark ATKINS jouent Voices for Didgeridoo and Organ, une pièce qu’ils ont co-écrite, à Amman en Jordanie.
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Entre deux projets avec Philip GLASS, Mark ATKINS se joint à un couple de musiciens avec lesquels il enregistre en 2004 l’album Didge Odyssey sous le nom de Mark ATKINS & JADE. Mark assure la narration et le didgeridoo, Parris MacLEOD les claviers, piano, batterie et percussions, basse et guitare, et Wu PU-YU les flûtes et des parties de piano. Trois musiciens sont invités aux tablas, à la batterie et à la guitare acoustique. L’ambiance y est rythmée et dansante, voire techno, et parfois aussi spatiale. Le disque a été réédité l’an dernier, toujours en Australie, et le trio a été rebaptisé OPAL ROAD. Le trio a créé un autre groupe en 2005, cette fois en quartet, avec l’harmoniciste Christian MARSH. La formule y est toutefois plus acoustique (flûte, piano, guitare, didgeridoo, harmonica) avec des influences jazz.
À propos de toutes ses nombreuses collaborations, Mark avoue volontiers : « J’ai toujours joué en solo, mais j’ai besoin aussi d’avoir des gens impliqués, de jouer avec un groupe. »
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En 2006, Mark est invité à se produire à la célèbre Nuit de la Saint-Patrick, accompagnant la chanteuse bretonne Sofi Le HUNSEC pour l’ouverture du spectacle qui a lieu à Bercy (Paris) en mars et est repris en août lors du Festival Interceltique de Lorient. Durant le festival, Mark ATKINS se produit avec différents artistes.
« Des musiciens m’ont demandé de mêler mon didgeridoo à leur musique. C’est le bon côté des choses. J’ai joué avec des musiciens français (Pascal LAMOUR, Sofi Le HUNSEC), canadiens (Dominique DUPUIS), australiens (BROTHER, John WILLIAMSON), britanniques, etc. »
Lorsqu’on l’interroge sur ses diverses collaborations et sur sa carrière, Mark ATKINS reconnaît : « Toutes ces expériences ont été des véhicules pour moi, des choses qu’il fallait bouger pour faire en sorte que les gens acceptent le didgeridoo partout. »
« Nous avons tous notre style et notre façon de jouer. Je peux jouer de la country, du rock’n roll ou du jazz. Mais quand vous jouez d’un instrument qui est pratiquement inconnu dans ce monde, vous devez être capable de vous adapter. C’est probablement la raison pour laquelle j’ai survécu en tant que joueur de didgeridoo dans cette « industrie », parce que je peux mélanger plusieurs styles de musiques. »
Pour autant, Mark n’oublie pas ses origines irlandaises : « L’ambiance celtique m’apporte quelque chose je suppose ; elle apporte la chaleur, l’amour, la force, et c’est tout ce que je cherche. Le didgeridoo, c’est ça aussi. Une moitié est là, l’autre moitié arrive. »
Après avoir joué durant une semaine à Lorient en août 2016, il enchaîne par un concert au Festival Les Escales de Saint-Nazaire le même mois et signe des autographes jusque tard dans la nuit. Suivra un concert à Paris au Divan du Monde, le Festival of World and Cultures à Dun Laoghaire en Irlande et une tournée de septembre à octobre à Taïwan, en Chine et en Corée.
À propos des tournées, Mark avoue volontiers : « Ça me plaît. C’est dur d’être toujours sur la route, beaucoup de musiciens vous le diront, surtout pour une tournée, parce que ça dure des mois. Mais j’en suis heureux. »
Parmi les récentes collaborations de Mark ATKINS, on peut aussi citer le disque et le DVD du groupe de rock néerlandais BLOF, Umoja, qui invite des musiciens des cinq continents, Mark représentant bien entendu l’Australie, ainsi que le disque de la chanteuse bretonne Sofi Le HUNSEC et du guitariste Alain LEON, Lomener, où il joue sur un titre, Pa oan-me bihan.
Mark est très demandé partout dans le monde, mais est-ce plutôt en tant que musicien traditionnel ou en tant que musicien moderne ? « C’est variable, car j’ai travaillé dans de nombreuses situations. S’ils veulent plutôt des histoires traditionnelles, des solos de didgeridoo, oui, je fais cela. Mais je peux aussi à la demande travailler avec un orchestre, un groupe celtique, de rock ou de bluegrass… Je suppose qu’avoir été batteur m’a aidé à savoir travailler dans de nombreuses situations. »
Lorsqu’on lui demande si tous ces mélanges ont été bien perçus par les Aborigènes, il répond : « Les premières années où j’ai débuté, ils étaient un peu sceptiques. J’ai dû prouver ce que je savais faire avec la musique traditionnelle. Mais le temps a passé et ils sont fiers de moi. Ils viennent me voir jouer, ils m’entendent à la radio locale. Mais oui, ça a posé des problèmes. »
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Mark ATKINS n’est pas seulement musicien, il est connu aussi pour fabriquer des didgeridoos et pour ses talents de peintre. Lorsqu’on lui demande s’il fabrique toujours ses propres didgeridoos, il répond avec humour : « Quand j’ai le temps. Mais après une tournée, j’ai besoin de temps pour récupérer et la dernière des choses que j’ai envie de faire est un didgeridoo ! »
Il est aussi un excellent conteur, comme il l’a montré lors des Escales de Saint-Nazaire en 2006. « Ce que je fais maintenant, comme ici, je joue du didgeridoo solo, puis je joue avec des instruments enregistrés sur des bandes, je conte des histoires, ainsi de suite. Je raconte des histoires en utilisant la musique, et l’instrument principal qu’est le didgeridoo. C’est à travers la musique que notre Terre raconte des histoires. »
Son dernier album, Creeper Vines & Time, sorti en édition limitée sur le défunt label Maguari Productions basé en Bretagne, est d’ailleurs un recueil d’histoires sur la vie quotidienne des Australiens et leur environnement. Un accompagnement musical orne chaque histoire contée (en anglais) par Mark ATKINS de sa voix rustique, grave, profonde et posée, afin de mieux entraîner l’auditeur dans son récit : le bourdonnement du didgeridoo, une batterie, des percussions, des boucles de synthés, voire une guitare électrique, la pluie, le vent ou l’eau…
Chaque courte histoire sert de prélude à un instrumental où Mark ne manque pas de nous rappeler les possibilités sonores infinies du didgeridoo, en imitant le bourdonnement des abeilles (Blow Fly), le rythme du train (Road Trainpour l’Australie, Bullet Trainpour le Japon), les cris ou encore le rire dans Laughin Up. Sont ajoutés des enregistrements de conversations, d’enfants, de klaxons, d’aboiements, bref, de « sons » de la vie de tous les jours. L’un des morceaux, Swamp, recrée même l’atmosphère des marécages avec ses grenouilles, serpents, insectes, rats et kangourous. Le final, Kimberly Sky, est une chanson dans le style country interprétée par Mark WILLERS, également à la guitare, avec bien sûr Mark ATKINS au didgeridoo. Le disque est assez court (35 minutes) mais très intense.
Site : http://www.mark-atkins.com/
Entretien et article réalisés par :
Sylvie Hamon et Stéphane Fougère
Photos : Sylvie Hamon
(Article original paru initialement dans
ETHNOTEMPOS n° 33, juin 2007)