Martá SEBESTYÉN – Kismet
(Hannibal / Rykodisc)
La plupart des amateurs de world music ont sûrement découvert la voix de Martá SEBESTYÉN sur le CD de DEEP FOREST Boheme ou dans la BO du film Le Patient anglais, qui lui ont ouvert la voix de la reconnaissance internationale. Mais quand on s’intéresse de près aux folklores d’Europe de l’Est, et plus particulièrement à la musique folk et traditionnelle hongroise, on sait que Martá s’est surtout fait connaître en prêtant sa voix à un illustre groupe qu’elle a accompagnée durant de nombreuse années, MUZSIKÁS, grâce auquel la musique traditionnelle hongroise a connu un regain d’intérêt dans les années 1970.
Et quand on creuse les sillons discographiques du folk hongrois, on réalise que le nom de Martá SEBESTYÉN apparaît dans bon nombre de réalisations, notamment celles de Karoly CSEREPES (VIZÖNTÖ)… Bref, elle est une figure très sollicitée qui s’est illustrée dans des projets soit très « roots », soit ethno-électro, soit world.
Martá SEBESTYEN a été élevée dans la passion du chant traditionnel par sa mère – une élève d’un certain Zoltan KODALY – et est devenue adepte des collectages et des recherches sur le terrain, ce qui lui a permis de constituer un répertoire assez original. Ce dernier n’est cependant pas exclusivement hongrois ou même est-européen, comme le démontre son troisième album solo.
En effet, Kismet est, comme ce terme le laisse supposer, un vrai « collier » de perles mélodiques cueillies au gré des pérégrinations mondiales de Martá, et qu’elle a réassemblées selon des affinités harmoniques et émotionnelles.
On entend ainsi une chanson hongroise combinée avec une mélodie de Bashkirie et une autre de Russie (If I were a Rose / Ha Én Rozsa Volnék), une chanson irlandaise mêlée à un « epirotiko » grec (Leaving Derry Quay / Eleni), une autre chanson irlandaise combinée à un traditionnel hongrois (The Shores Of Loch Brann / Hazafelé) ou une mélodie roumaine introduite par une berceuse indienne (Hindi Lullabye)…
On remarquera également une grande présence de chansons bulgares : Devoiko Mome qui ouvre l’album avec une flûte kaval revigorante, suivi de Sino Moi, ou encore l’émouvante Imam Sluzhba (The Conscript) en fin d’album.
Ce choix très personnel de mélodies provenant d’origines différentes souligne aussi l’engagement de Martá SEBESTYÉN vis-à-vis des minorités culturelles menacées auxquelles elle a tenu à rendre un hommage. Son interprétation sensible a bénéficié de la production et des arrangements de Nikola PAROV, qui assure la quasi-totalité des instruments traditionnels ou modernes. (Créateur du groupe de musique balkanique ZSARÁTNOK, ce monsieur ne doit pas non plus être un total inconnu des celtisants puisqu’il a collaboré au spectacle Riverdance de Bill WHELAN et à l’album d’Andy IRVINE et Davy SPILLANE East Wind, précisément en compagnie de Martá !) Quelques invités apposent également leur touche, comme Zoltan LANTOS (violon), Péter ERI (mandole et mandoline), Kornel HORVATH (percussions) et András BERECZ (chant additionnel sur If I were a Rose).
Évidemment, pour qui voudrait entendre Martá SEBESTYÉN dans un registre et un répertoire uniquement hongrois, Kismet n’est sans doute pas l’album à écouter en priorité. (On recommandera plus sûrement Dúdoltam Én, paru en version internationale sous le titre Martá SEBESTYÉN sings, où elle est entourée par les membres de MUZSIKÁS, au point qu’on jurerait presque entendre un album du groupe !)
Toutefois, parce qu’il expose les préférences sensibles d’une femme au cours de sa quête intérieure, Kismet ressemble à un journal intime que l’on peut toutefois lire (et écouter) sans rougir, car il nous révèle aussi une partie de nous-même et rend évident les liens qui unissent les cultures dites minoritaires parce que locales, mais nullement éphémères. Une telle offrande ne peut laisser indifférent. Il serait de toute manière criminel d’ignorer une si remarquable voix.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°1, novembre 1997,
et remaniée en 2018)