MATS / MORGAN – Live
(UAE, 2001 ; rééd. Cuneiform Records, 2011)
Savez-vous qu’il existe en Suède un véritable clan de passionnés de la musique de Frank ZAPPA ? Des gens comme Simon STEENSLAND par exemple, ou encore le duo MATS & MORGAN (respectivement le claviériste Mats OBERG et le batteur Morgan AGREN). Il est possible que les fans de ZAPPA connaissent ces derniers dans la mesure où ils ont participé à la tournée suédoise du guitariste en 1989 et, surtout, ils ont joué dans le groupe dirigé en 1991 par Mike KENEALLY pour le spectacle Zappa’s Universe.
C’est en 1981 que nos deux Suédois se rencontrent pour la première fois (Mats a 10 ans et Morgan 14). Il s’agit d’ailleurs d’une belle histoire : Mats, qui est aveugle de naissance et qui joue des claviers depuis son plus jeune âge, a beaucoup de mal à trouver un autre musicien qui veut l’accompagner pour jouer sa musique (il écoute déjà du Miles DAVIS, MAHAVISHNU ORCHESTRA et ZAPPA !!).
C’est pour un petit concert de village que Morgan, alors batteur, viendra soutenir Mats à se produire sur scène. Malgré leur jeune âge, ils ont le même goût en commun pour les musiques dites « savantes » et se perfectionnent petit à petit. Ils forment même en 1984 ZAPPSTEETOOT, un groupe de reprises de ZAPPA. Leur rencontre en 1989 avec le guitariste est un véritable choc. Ils sont même invités chez lui pour la préparation de Zappa’s Universe.
Depuis, ils baignent complètement dans la potion magique « zappaesque » avec une touche plus particulièrement marquée par la musique expérimentale. Leur musique est en effet assez difficile d’accès et ouverte vers la technologie. Avec déjà quatre albums studio à leur actif – Trends And Other Diseases (1996), The Music Or The Money (1997), The Teenage Tapes et Radio Dada (1998) –, la création du label indépendant UAE de MORGAN et quelques collaborations particulièrement marquantes (Simon STEENSLAND, Dweezil ZAPPA, Fredrik THORDENDAL), ils sont aujourd’hui toujours là et nous offrent ce Live constitué de nombreux titres inédits.
À l’écoute de ce CD, le moins que l’on puisse dire, c’est que leur technique est époustouflante. L’énergie brute du live est respectée et la qualité de la production est irréprochable. Entourés d’autres musiciens tout aussi talentueux (Jimmy AGREN, le frère de Morgan à la guitare, Tommy THORDSSON à la basse, Eric CARLSSON et Robert ELOVSSON aux claviers), le duo est en parfaite osmose (vingt ans qu’ils se connaissent !) malgré la sophistication des compositions. Peu de temps mort pour l’auditeur soumis au rouleau compresseur rythmique, mais quel plaisir d’entendre autant de fraîcheur dans cette musique « prise de tête » (si vous voyez ce que je veux dire) !
Il ne fait aucun doute que l’œuvre de ces musiciens est digne de figurer dans la discothèque de tout fan de Frank ZAPPA (en particulier le double album The Music or the Money, That is the Question – tout un programme…).
Patrick Robinet
Page label : https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/mats-morgan-band-live
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°9 – août 2001)
MATS / MORGAN – On Air With Guests
(UAE, 2002 / rééd. 2005)
Quel être humain, épris de sensations délicieusement exquises, peut résister à ce qu’il est communément admis d’appeler une belle paire ? Celle que l’on vous présente ici est fameuse et me laisse personnellement sans voix. Je pourrais arrêter ma chronique ici, d’autant que si vous comptez parmi nos fidèles lecteurs, vous êtes déjà censés tout savoir sur ce duo venu du fin fond de la Suède et qui, depuis ce grand Nord implacable, nous déverse des flots continus de bouffées de chaleur toutes aussi improbables.
Ainsi, pour ceux qui en doutaient encore, je confirme : Mats ÖBERG et Morgan ÄGREN poursuivent leur parcours sans fautes qu’ils ont entamé voici dix ans déjà. On Air With Guests n’est pas, comme son titre pourrait le laisser croire, un album en concert, bien que celui-ci fasse suite au déjà épique Live dont il reprend en grande partie la ligne directrice. Pas de chant, en effet. Place donc à leur folie instrumentale légendaire qui n’en demeure pas moins monstrueuse. Et cet adjectif est bien le seul possible, le seul qui soit utilisable quand on écoute cette musique aussi palpitante que jouissive.
Pourtant, ce nouvel album studio – que l’on attendait tout de même depuis le claustrophobique Radio Da Da en 1998 – n’a rien de nouveau en soi. Comme écrit quelques lignes plus haut, un bon trois quart des titres présents ici eurent droit à leur baptême de feu sur l’album en concert qui les précédait. Lentement mais sûrement, c’est donc à l’exact opposé des logiques mercantiles que MATS et MORGAN écrivent leur histoire ; ils nous balancent d’abord un album en concert bourrés d’inédits, puis les retravaillent en studio pour en peaufiner les traits. Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du KING CRIMSON des années 1990-2000. Cette démarche, et c’est important de le signaler, s’avère aussi bien plus payante entre leurs mains.
Les missiles que sont Hollmervalsen ou En Schizofrens Dagbok ont autant de pêche que leurs interprétations en public. Elles font toutefois preuve de plus de concision, chose rare pour un groupe qui pourtant ne tombe jamais dans les longueurs. Un parfait résumé aussi est leur adaptation condensée de l’apocalyptique Sol Niger Within qu’ils interprètent ici avec son créateur, le guitariste métal Fredrik THORDENDAL (de MESHUGGAH).
C’est ainsi que pour justifier le titre de l’album, se bousculent aux portillons des gars comme le saxophoniste Jonas KNUTSSON, pour une partie de jazz fusion électrique endiablée et terriblement groovy sur Chicken, ou encore SPOONMAN et leur vieux complice, Simon STEENSLAND, qui donnent le change sur une quatrième variation, toute en percussions cette fois, de leur désormais incontournable Advokaten.
Comme le fût déjà Live ou leur tout premier essai de 1996, Trends and Other Diseases, On Air With Guests est un pur bâton de dynamite qui ne demande qu’à exploser entre vos mains expertes. MATS/MORGAN font partie de ces rares artistes contemporains qui emmènent La Musique vers des paliers de jouissance et de bonheur rarement égalés qui ne peut que mettre à genoux ceux qui ont leurs pavillons déployés à 360°. Énorme.
Domenico Solazzo
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°13 – juin 2003)
Site : www.morganagren.com