Pierre BENSUSAN – Azwan
(Le Triton / L’Autre Distribution)
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le précédent album studio de Pierre BENSUSAN, Vividly, qui remonte quand même à 2010, soit une décennie entière ! Certes, entretemps, il y a eu ce remarquable coupe-faim de trois disques, Encore Live (2013), qui a permis de déguster en 35 morceaux captés sur scène, sans fards ni retouches studio, tout l’art de ce guitariste acoustique spécialiste de l’accordage en DADGAD mondialement reconnu comme l’un des plus influents. On a failli croire qu’il s’agissait d’une anthologie conclusive d’une carrière maintes fois couronnée de prix et de récompenses, et ce depuis l’inaugural Près de Paris en 1975. La sortie d’Azwan a de quoi nous rassurer : Pierre BENSUSAN n’a pas abandonné la création, il a juste pris le temps de contempler la musique de ce nouvel album et de permettre à toutes les notes des douze compositions qu’il contient de s’assembler pour ne former qu’un tout, un continuum organique et élémental, aussi aérien que liquide, et toujours autant rêveur que voyageur, magnifiant plus que jamais les pouvoirs quasi-magiques de sa guitare Lowden « Old Lady », sa compagne musicale depuis 1978.
Car c’est bien de contemplation et d’unité dont il est question dans ce disque : le terme « azwan » en est le reflet symbolique puisqu’il a été inspiré par la contemplation de la nature, et plus précisément des abeilles – « insectes solaires qui travaillent ensemble dans l’obscurité » (sic) – et des oiseaux « qui volent et dansent ensemble » (re-sic). Cette interconnectivité imbriquée dans la nature, Pierre BENSUSAN l’a ressentie d’autant mieux pendant la période de confinement, qui lui a rendu plus patente cette nécessité de rester lié et connecté avec ses pairs, les animaux et la nature.
Et quoi de mieux pour fortifier cette nécessité que la musique, qui peut agir comme un processus de guérison et un adjuvant qui nous reconnecte autant à nous-mêmes qu’aux autres ? Ce n’est pas un hasard si, quand on prononce le mot « azwan », on pense à l’expression anglaise « as one » ! Mais « azwan » peut aussi, au gré des esprits et des imaginations, désigner un lieu, un nom propre, une émotion… On aura beau jeu de le définir comme un mot-valise, d’autant que la musique de Pierre BENSUSAN a précisément cette faculté intrinsèque de nous faire prendre mentalement nos bagages et de partir au gré des sentiers du monde.
Promeneuse et randonneuse, la musique de Pierre BENSUSAN n’a cessé de l’être depuis ses débuts : ancrée dans le folk des DYLAN, RENBOURN, JANSCH, COODER et j’en passe, elle a révélé une forte imprégnation celtique surtout irlandaise (ici encore célébrée avec Return to Ireland, Portnoo) mais s’est déployée dans plein de chemins buissonniers aux teintes jazz, classique, new age, et aux parfums latins, arabes, etc., au point que le guitariste franco-algérien a été en 2008 élu « meilleur guitariste de musiques du monde » par le magazine Guitar Player. Multi-orientée est indéniablement la musique de Pierre BENSUSAN, mais surtout profondément unique, distillant un lyrisme aussi virevoltant qu’apaisant.
Azwan démontre une fois encore toute la force et la richesse expressives de cette guitare acoustique pensée comme un véritable orchestre à elle seule, assurant thème mélodique, effets de basse, accords et contrepoints complexes, et livrant une musique exigeante mais qui au final s’avère limpide et grandement séduisante. Et il arrive aussi Pierre BENSUSAN fasse entendre sa voix sur certaines pièces (Optimystical, Abeilles, Balkangeles), le plus souvent sous forme de vocalises spontanées.
On trouve également dans Azwan une vraie chanson avec des mots, Corps vaudou, animiste à souhait. Quelques invités sont de même venus ajouter leurs cordes, notamment sur Dia libre, qui fait entendre le violon et l’alto de Christophe CRAVERO et la contrebasse de Stéphane KERECKI (également à l’œuvre sur Fils de la rose), tandis que Balkangeles fait se croiser la guitare de BENSUSAN avec celle à cordes nylon de Jean-Marie ECAY, qui a assuré la co-production artistique du disque.
Chaque morceau rend hommage à un proche de BENSUSAN, manière de relier la sphère intime avec les résonances universelles émanant de cette musique dont la nudité apparente révèle plusieurs peaux. Azwan est autant un instant de communion qu’une ode au partage, et pour tout dire un grand moment d’humanité, ce qui est plutôt réconfortant par les temps qui courent…
Stéphane Fougère
Site : www.pierrebensusan.com
