MOOD – Do Om

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MOOD – Do Om
(Tatcha Cie / L’Autre Distribution)

mood-do-omEr-emina El ijam eïlbou… c’est de l’arabe ? de l’hindi ? du kobaïen ? Des vocalises éméchées ? Que nenni, c’est du français-miroir, et c’est la langue dans laquelle a choisi de s’exprimer MOOD, alias Maude TRUTET.

MOOD, c’est d’abord une voix, accompagnée par un harmonium indien. On imagine volontiers une chanteuse de bhajans déclamant de fervents poèmes mystiques… Sauf que MOOD n’est pas Indienne, ni hindouiste, ni bouddhiste. Cette artiste nantaise, qui a auparavant tracé son chemin entre musique progressive expérimentale (L’EFFET DÉFÉE) et world music indianisante (OLLI & MOOD) – et qui a rejoint le collectif LIESKAN de la KREIZ BREIZH AKADEMI d’Erik MARCHAND – s’épanouit ici dans un univers organique qui n’appartient qu’à elle, et qu’elle livre en réflexion à nos émotions viscérales.

Er-emina El ijam eïlbou : ça veut dire « réanimer les magies oubliées », soit se reconnecter avec une intimité spirituelle confinant à une incantation chamanique issue des profondeurs. Ce n’est pas un programme, c’est un appel, beaucoup plus subtil et « chargé » que ces injonctions à adorer quelconque dieux des enfers. Car quand MOOD intitule l’un de ses chants, éponyme à son album, Do Om, on est priés de bien observer la séparation entre Do et Om. Ce n’est pas le « doom » des gothiques dépressifs que l’on chérit ici, mais bien plutôt la syllabe sacrée séminale des hindouistes, le son primal, « Om ». Do Om = « faire Om », sans pour autant verser dans le prosélytisme religieux.

La force et l’originalité de la démarche de MOOD tiennent précisément à la distance qu’elle entretient envers toute connotation new-ageuse. De musique de relaxation il n’est ici point question un seul instant, et de prêchi-prêcha naïf encore moins.

Si l’Inde est célébrée à plusieurs reprises dans cet album (ne serait-ce que dans des titres comme Do Om, Ganga…), ce n’est pas celle des brochures publicitaires ni des flyers sectaristes. C’est une Inde intériorisée, digérée, réaménagée, ré-enluminée dans un contexte esthétique inédit qui englobe d’autres effluves, d’autres fragrances (l’Indonésie est aussi revisitée avec le délicat Sri Rejeki, nimbé de glockenspiel céleste). Et l’usage du français-miroir stimule d’autant plus l’imaginaire de l’auditeur.

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MOOD propose une approche poétique nettement plus risquée que les expériences de fusions qui ont eu cours sur le marché de la world music. Elle combine les apports du chant traditionnel indien dhrupad (elle a étudié auprès des maîtres du dhrupad les GUNDECHA BROTHERS), mais aussi du chant arabo-andalou, du chant lyrique aux audaces contemporaines d’une BJÖRK et d’une Meredith MONK, que MOOD a sans fausse modestie épinglées à son arbre artistique généalogique.

Le chant de MOOD s’épanouit en vocalises, en mantras, en chuchotements, en souffles, en cris, en envolées, en embardées, imprégnant de mystère chacune de ses inflexions, qu’elle enduit du son de l’harmonium indien. Mais elle n’avance pas seule. Elle est accompagnée par un quartette de musiciens affranchis de tout souci d’identification stylistique.

Contrebasse, violoncelle, trompette et percussions préfèrent et privilégient la recherche de climats, l’ignition de la vibration, l’instantané de la note, le frottement, le grincement, l’éclat, pour mieux traduire le chavirement et le trouble des sens (les secousses rugueuses de Lixé), les tensions de l’esprit (les insidieuses émanations sépulcrales de Ganga, les ostinatos brumeux d’Al Ifub Tanre), l’ébullition des forces vives enfouies (Zephyr)… Comme un miroir lui aussi inversé de L’EFFET DÉFÉE, MOOD a banni toute instrumentation électrique. C’est le langage acoustique qui domine, mais sujet à de fructueux détournements et déformations, comme des effets de miroirs concaves et convexes.

De fait, la musique de MOOD n’en est pas moins sujette à des embrasements troublants, conjuguant le rugueux et le velouté, le moiré et le clair-obscur. Elle va et vient entre l’intime et le tribal, le déploiement collectif et le repli intérieur. Et plus on s’enfonce dans Do Om, plus on a cette sensation de traverser diverses phases d’anamorphose, d’enchaîner des états d’être comme on passerait les heures allant du vespéral grisant au nocturne (indien ?) troublant, pour enfin parvenir au point radiant que représente Zephyr, et son extension processionnelle rythmée par des captations environnementales (cloches, cornes, cymbalettes) qui accentuent le décalage horaire.

De fait, Do Om, en plus d’être une œuvre riche et complexe qui ne dévoile jamais les mêmes atours à chaque écoute, agit comme un propulseur énergétique, un éveilleur de chakras qui s’adresse aux publics disposés à une écoute exigeante, débarrassée des ornières et des présupposés stylistiques. L’entrée en résonance est à ce prix.

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Il y a chez MOOD du recueillement, du soulèvement, de la joie inconditionnelle et de la douleur embrasée, toute une gamme de sentiments exprimés sur le mode de la fulgurance explosante-fixe. Langage-miroir, musique vibrante et irisée, voix réfléchissante et possédée… le monde de MOOD ne s’ouvre qu’aux oreilles et aux cœurs avides d’affranchissement.

Stéphane Fougère

Site : https://linkin.bio/yamay/

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