Namgyal LHAMO : Le Chant des neiges éternelles

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Namgyal LHAMO

Le Chant des neiges éternelles

La musique traditionnelle tibétaine est généralement connue pour ses rituels bouddhistes et ses chants tantriques. Son patrimoine plus folklorique, profane (bien que toujours imprégné de spiritualité), est par contre moins plébiscité et somme toute peu connu. C’est pourtant cette part de la culture tibétaine qui a pu s’expatrier plus facilement. Aussi mesure-t-on l’importance (pour ne pas dire l’urgence) du travail entrepris par Namgyal LHAMO, chanteuse tibétaine vivant à Utrecht, aux Pays-Bas, qui a collecté plusieurs chants traditionnels provenant de plusieurs régions du Tibet et qui les interprète, en solo ou avec le groupe GANG CHENPA, dans leur version « puriste », de manière à en faciliter la préservation.

En 1959, l’année même où le Tibet a été occupé par la Chine, Namgyal LHAMO est née au pied du Kangchen Junga, sommet situé au sud de l’Himalaya sur la frontière indo-népalaise). Issue d’une famille de caravaniers commerçant entre l’Inde et le Tibet, elle a rejoint dès sa prime jeunesse l’école du TIPA (Tibetan Institute for Performing Arts créé par le Dalaï-Lama afin de préserver la culture tibétaine en exil) à Dharamsala, ville des réfugiés tibétains de l’Himachal Pradesh. Namgyal LHAMO s’est depuis taillée une réputation pour ses interprétations des styles nangma (d’inspiration perse) et toeshe, de l’opéra tibétain et de chants du XVIIe siècle, qui lui ont valu le titre de “rossignol tibétain”. Son répertoire comprend des chants interprétés a capella et des chants accompagnés au dranyen (luth tibétain) et au gyumang (cithare tibétaine).

Invitée d’honneur (avec Tenzin GÖNPO et le TIBETAN INSTITUTE OF PERFORMING ARTS) de la première édition du Festival culturel du Tibet et des peuples de l’Himalaya, qui s’est tenue à la Pagode du Bois de Vincennes, aux portes de Paris, en septembre 2000 -, Namgyal LHAMO a enchanté le public présent. Rencontre avec une voix qui a traversé les neiges les plus hautes…

Entretien avec Namgyal LHAMO

Où avez-vous appris le chant ? Au Tibet ?

Namgyal LHAMO : Avant tout, je dois dire que je suis Tibétaine, mais née au Népal. Cela date de l’époque où des Tibétains se sont enfuis du Tibet, en 1959, avec notre chef temporel et spirituel Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Mes parents étaient de ceux-là, donc je suis née en dehors du Tibet. Après quoi la majorité des Tibétains ont suivi Sa Sainteté le Dalaï-Lama jusqu’en Inde, où s’est installé le Gouvernement tibétain en exil. Là, des écoles religieuses ont été construites et Sa Sainteté a créé un projet très important, le Tibetan Institute of Performing Arts (TIPA), destiné à préserver la culture traditionnelle tibétaine. Il y a environ 67 artistes impliqués dans cette formation. Ma sœur et moi avons été sélectionnées pour en faire partie. C’est ainsi que j’ai appris à chanter et à jouer de la musique.

Tout ce que vous avez appris, vous le devez donc au TIPA ?

NL: En fait, mes parents étaient déjà des passionnés de musique. Mon oncle, notamment, fut un très célèbre musicien dans le Tibet central. Je ne l’ai jamais connu, mais j’ai toujours entendu dire qu’il était un excellent musicien. Ma mère a de même pratiqué le chant. Mais c’est vrai, je dois mon éducation de base au TIPA. J’ai eu l’occasion de me produire dans le monde entier avec lui et, après cela, j’ai arrêté de chanter pendant quelque temps afin de m’occuper de cuisine ! Cela dit, j’ai repris le chant depuis, non sans avoir cherché à me perfectionner auprès de professeurs compétents.

En dehors du chant, qu’avez-vous appris avec le TIPA ?

NL: J’ai pratiqué la danse pendant plusieurs années. J’ai appris comment chanter et danser simultanément, ainsi que la pratique de divers instruments comme le dranyen (luth tibétain) et la flûte. De plus, on m’a enseigné l’opéra tibétain. C’est l’une des choses les plus fortes que j’ai faites avec le TIPA.

Et actuellement, travaillez-vous toujours avec le TIPA ?

NL: À présent, j’ai une carrière d’interprète soliste et j’ai monté il y a deux ans un groupe appelé GANG CHENPA, dont les autres membres sont ma sœur, qui est également une grande chanteuse provenant du TIPA, et un chanteur. Il s’agit d’un groupe principalement vocal, encore que je joue aussi un peu de luth quand on se produit sur scène. Mais l’accent est évidemment porté sur le chant a capella. Nous avons eu l’opportunité de nous produire aux États-Unis et, en duo avec ma sœur, nous avons effectué une grande et triomphale tournée en Hollande l’an passé. Sinon, dans le reste de l’Europe, je me produis le plus souvent en solo.

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Le répertoire que vous interprétez, que ce soit en solo ou avec GANG CHENPA, est-il strictement traditionnel ?

NL: C’est du traditionnel, et nous nous attachons tout particulièrement à restituer la pureté des chants traditionnels tibétains. Je veux dire par là que nous n’y ajoutons rien, aucune autre influence. Plusieurs personnes nous ont déjà suggéré de faire intervenir des tas d’instruments différents, mais je crois qu’il est préférable actuellement pour nous de préserver la forme traditionnelle de ces chants, pour la simple raison que, jusqu’à présent, rares sont les artistes tibétains qui ont fait valoir la pureté de notre tradition au « monde extérieur ». C’est pourquoi ce groupe a été fondé. Au Tibet, tout est devenu chinois. Dans le Tibet central, les chansons tibétaines sont interprétées comme si elles étaient chinoises ; elles sonnent chinoises ! Ailleurs, d’autres influences sont venues se greffer… Aussi, nous essayons de réhabiliter le chant traditionnel tibétain pur.

Quant à notre répertoire, il est assez vaste. Il y a des extraits d’opéra tibétain et des chants provenant des différentes contrées du Tibet. Ces chants sont de natures également variées : chants de montagnes, chansons romantiques, chants de travail, chants religieux… Habituellement, nous n’interprétons pas de « mantras » bouddhistes, mais certaines chansons ont un contenu spirituel.

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Dans la mesure où cette tradition se perd au Tibet, j’imagine qu’il doit être difficile de collecter ces chants, d’en retrouver les « versions originales » ?

NL: Oui, c’est vrai. C’en est à un tel point que, si l’on n’écoute pas attentivement, on peut ne pas reconnaître une chanson traditionnelle à cause de tout ce qui y a été ajouté par-dessus, comme du pop-rock chinois ou des choses de ce genre. Par bonheur, nous avons eu la chance, durant notre enfance, d’écouter plusieurs sortes de chansons traditionnelles et, du fait de notre éducation au TIPA, avec différents enseignants, nous faisons en sorte de préserver cet héritage. Mais comme tu l’as dit, le collectage est devenu difficile puisque tous les bons chanteurs de tradition ont disparu sans avoir évidemment enregistré de cassettes ou de disques. Il nous faut donc partir en quête de ces magnifiques chansons… Certaines d’entre elles sont si émouvantes qu’elles nous aident beaucoup moralement, spirituellement…

Pendant plusieurs années, les gens n’ont pas été autorisés à chanter certains types de chants au Tibet. Il n’y a pas si longtemps, ils ont finalement été autorisés à chanter un peu. Je ne sais pas combien de temps cette autorisation persistera puisque la situation change constamment. Mais à présent, j’ai pu collecter assez de chants pour constituer un répertoire. Cela dit, encore une fois, il est vrai que c’est difficile.

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Envisagez-vous d’intégrer à votre répertoire des chants plus contemporains évoquant par exemple la situation actuelle au Tibet ou la vie des Tibétains en exil ?

NL: Personnellement, j’écris à présent des chansons contemporaines, mais c’est un peu comme un passe-temps, de la même manière que je goûterais des plats étrangers pour tester la différence… Mais en concert, nous n’interprétons que du traditionnel. Nous voulons faire ressentir aux auditeurs à quel point une chanson purement traditionnelle peut être splendide. Voir que le public occidental puisse être touché par ces chants est pour nous une force supplémentaire.

Propos recueillis par Stéphane Fougère – Photos : Sylvie Hamon

Site : www.namgyallhamo.com

Discographie Namgyal LHAMO

Songs from Tibet (2003, Papyros / Music and Words)

Catharsis (Echoes From The Valley Of Dawn) (2006, Sony BMG)

Pure (2007, Silk Road Communications)

The Enchanted Land (2007, Silk Road Communications)

An Anthology Of Tibetan Folk Songs. Musical Offerings 1 (2012, Papyros / Music and Words)

An Anthology Of Tibetan Folk Songs. Musical Offerings 2 (2015, Papyros / Music and Words)

avec GANG CHENPA :

Voices from Tibet (2000, Music and Words)

PS : Namgyal LHAMO et sa sœur, Kelsang Chukie THETONG, apparaissent aussi, en tant que duo CHAKSAM-PA, dans le disque Tibetan Freedom Concert (Capitol Records), qui retrace le concert organisé en 1997 à New York à l’initiative des BEASTIE BOYS et de la Fondation Milarepa.

(Article original publié dans
ETHNOTEMPOS n°8 – avril 2001
– discographie mise à jour en 2023)

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