Nayan GOSH & Paul GRANT – Dialogues (Musiques classiques de l’Inde du Nord)
(Arion)
Quand deux musiciens de continents différents se rencontrent, on a tendance à vouloir appeler leur collaboration artistique du métissage. Il ne sera pas besoin d’en arriver là dans le cas qui nous occupe, car le champ d’investigation que les deux protagonistes de ce disque ont choisi est clairement défini : ces Dialogues témoignent de leur maîtrise et de leur respect pour ce cadre séculaire qu’est le raga indien et plus précisément pour la tradition de l’Inde du Nord (musique hindoustanie).
Que le sitariste et joueur de tabla Nayan GOSH (ou GHOSH) excelle dans ce domaine n’est peut-être guère étonnant puisqu’il provient d’une famille de musiciens du Bengale (son père était le maître de tablas Nikhil GHOSH) et se produit avec les artistes traditionnels les plus réputés (Bhuddadev DAS GUPTA, Nikhil BANERJEE, Vilayat KHAN, Pandit JASRAJ, Rajeev TARANATH…). Son oncle n’est du reste autre que l’illustre maître de flûte bansuri Pannalal GHOSH, à qui Hariprasad CHAURASIA doit beaucoup.
Paul GRANT, par contre, n’a pas bénéficié de cet héritage familial et atavique. Cet Américain d’origine s’est tout simplement pris de passion pour les musiques orientales depuis une trentaine d’années, a suivi les enseignements de grands maîtres d’Inde, d’Iran et du Cachemire (Pandit Gnan Prakash GHOSH, Zakir HUSSAIN, Mohammad Reza LOTFI, Ghulam Mohammad Saaz NAWAZ) et est aujourd’hui devenu un maître du santour, ce genre de cithare pourvue d’une centaine de cordes que l’on frappe avec de petites baguettes en bois et que l’on retrouve autant dans les traditions indienne et iranienne que dans celles du Cachemire et de l’Afghanistan. GRANT n’est sans doute pas un inconnu pour les amateurs de musiques asiatiques puisqu’il s’est commis notamment avec l’ENSEMBLE KABOUL.
Ce qui frappe dans ces Dialogues, c’est la remarquable entente et le respect mutuel dont les musiciens font preuve non seulement envers la tradition hindoustanie mais également l’un envers l’autre. Paul GRANT n’est pas le touriste faire-valoir de Nayan GOSH, pas plus que ce dernier ne sert de caution d’authenticité au premier. Tous deux ont une grande capacité d’écoute mutuelle qui leur ouvre de larges perspectives d’échanges, perspectives d’autant plus démultipliées par le fait que chacun maîtrise à la fois un instrument à cordes et un instrument de percussion, ce qui autorise plusieurs combinaisons.
C’est ainsi en « jugalbandi » (duo de solistes) que GOSH et GRANT interprètent le Raga Charukeshi, chacun avec ses cordes respectives, le sitar pour l’un et le santour pour l’autre. Leur choix de ne jouer que le prologue arythmique de ce raga (les mouvements « alap » et « jhor ») leur permet de développer un dialogue particulièrement libre, sans obligation de suivre une composition précise.
Suit un éloquent Tabla solo de Nayan GOSH que Paul GRANT accompagne avec une percussion peu répandue, le « tabla tarang », un ensemble de timbales en bois (« dayan ») disposées en cercle qui permet de jouer un support mélodique répétitif.
Pour les deux derniers ragas, les musiciens adoptent la formule courante soliste/percussionniste. Sur le Raga Bhairav, Paul GRANT distille ses éclats de lumière au santour tandis que Nayan GOSH le soutient vivement au tabla. Les rôles s’inversent dans le Raga Yaman, GRANT assurant le soutien rythmique alors que GOSH répand avec grâce ses notes vibrantes et scintillantes de sitar.
GOSH et GRANT souhaitaient rendre hommage à tous les gardiens de la tradition indienne vivante. Ils ont fait mieux que cela, ils se sont immergés avec une profonde dévotion dans cet univers aux richesses perpétuellement renouvelables. Leur rencontre s’est mue en communion ; on ne pouvait rêver mieux.
Stéphane Fougère
Site : www.paulgrant.net
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°15 – septembre 2004)