Nick CAVE – B-Sides and Rarities Part II

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Nick CAVE –  B-Sides and Rarities Part II
(Mute Records)

Tout d’abord, une grave question se pose à vous, lecteurs avertis de ce site : Quel est le véritable intérêt (sauf à vendre) à l’heure d’internet partout et en tous lieux, de sortir une collection de raretés dans l’industrie du disque ?

Depuis l’avènement du CD on a assisté en effet à la réédition de pratiquement tous les catalogues disponibles et de tout ce qui a été fait en vinyle des années 1960 à 1980 avec, pour attirer le client, une profusion d’inédits, de chutes de studio, de prises live piquées avec ou sans l’autorisation de l’artiste, en tous cas avec une volonté de remplir l’espace musical des quelques 77 minutes disponibles sur la galette « inusable » petit format et au son presque parfait, sauf pour les mélancoliques des vinyles rayés.

Pourtant, les fameuses rééditions ont souvent laissé de côté la qualité du son, la dynamique des enregistrements et ont parfois agencé n’importe comment les titres des albums originaux, faisant paraître en fin de compte ces rééditions comme une aubaine lucrative et une jolie petite arnaque destinée aux afficionados de la complétude acharnée et maladive.

De plus, pourquoi vouloir s’étouffer à tout prix avec les restes d’un artiste, restes qu’il n’a pas toujours voulu ou pu exhumer, en tous cas de son vivant pour certains ou sans son autorisation pour ceux qui survivent et qui sont conscients de la manière rapace type vautour matinée d’hyène des maisons de disques.

Enfin, et c’est un des dadas sournois de l’internet : Pourquoi acheter des choses qu’on peut avoir gratuitement en cherchant un peu dans la boîte noire (ou la poubelle mondiale c’est selon) du joyeux foutoir du gigantesque trou sans fond qui mélange allégrement déchets et joyaux sans que quoi que ce soit soit trié ou nettoyé par les émetteurs. Pour conclure et pour essayer de sauver certaines initiatives salutaires pour quelques rééditions, il faut reconnaitre que certains albums réputés introuvables (et par conséquent hors de prix) en vinyle des années 1970 ont pu grâce au CD être à nouveau disponibles (avec une durée de vie parfois brève) pour les auditeurs frustrés et amateurs de musiques difficiles et modérément grand public.

En 2005, Nick CAVE et sa maison de disque, tous deux désireux de faire un point sur les quelques 20 ans de carrière du chanteur avec son groupe THE BAD SEEDS fait paraître un premier coffret dense (3 CDs bien remplis de 56 morceaux) un peu fourre-tout désordonné et tout venant pas vraiment chronologique et un peu chaotique (à l’image des « Mauvaises Graines »)  et plutôt tourné vers les B-Sides que les raretés ; l’idée, en effet, était de ratisser la production hétéroclite du groupe, et de faire à l’époque un bilan définitif de ce qui avait de l’intérêt comme « témoignage » de la prodigalité et la profusion de ce chanteur/écrivain depuis ses débuts australiens et berlinois.

En 2021, les temps ont changé et Nick CAVE également, et sa production depuis 2016 tournée vers un détachement progressif de son groupe et une diversification de ses productions (en solo ou en duo avec Warren ELLIS pour une douzaine de musiques de films) se déploie ici sur deux CDs pour la période 2004 – 2021.

Le premier CD, dans l’esprit de la compilation passée est une collection hétéroclite de bonus parus souvent de façon très confidentielle ou prestigieuse (Disquaire D de 2013 !). Quelques morceaux restent dispensables notamment un duo avec Debbie HARRY de 2009 sans grand intérêt à l’image de la chanteuse montre bien que l’artiste a raclé au fond de ses archives et que l’exercice paraît ici un peu vain et racoleur. Il faut tout de même sauver la version d’Avalanche de Léonard COHEN au piano voix enregistré en 2015 (soit 30 ans après la version inaugurale des BAD SEEDS) les deux morceaux Needle Boy et Lightnings Bolts 2012, tous deux issus d’une édition limitée de Push the Sky Away et la touchante version live d’un Push the Sky Away avec le Melbourne Symphony Orchestra en 2019 (il passe deux bonnes minutes à remercier TOUT le monde, des musiciens aux chœurs, à Warren ELLIS !)  qui clôture le CD.

Pourtant, et c’est la nouveauté de ce coffret, le deuxième CD (16 morceaux pratiquement tous datant de 2014/2015, soit la période Skeleton Tree et Ghosteen) n’est ni une collection de B-Sides, ni une suite de « raretés » mais bien au contraire un nouvel album, une version bis de Skeleton Tree (paru en 2016 et comprenant 8 morceaux pour un temps total de 39 minutes) album réalisé principalement avec Warren ELLIS, devenu depuis lors l’élément indispensable, le frère en écriture du chanteur (les BAD SEEDS existent toujours, mais font plutôt dans les chœurs et utilités diverses).

Huit morceaux de ce deuxième CD, provenant des sessions de Skeleton Tree, sont inédits, ce qui tend à doubler la durée de l’album original ; cinq viennent de Ghosteen (2019) inédits également et ce CD devient l’album parfait du duo en pleine complicité, car Warren ELLIS, producteur omniprésent, est à la fois au moog, au wurlitzer, aux synthétiseurs divers, aux percussions, organisant les loops, le violon, la basse et même les chœurs.

« You Fell from the Sky » : c’est par ces mots que Nick CAVE nous transperce de la façon la plus abrupte de la tragédie qu’il a vécue en 2015 suite au décès de son fils Arthur tombé d’une falaise dans le sud de l’Angleterre. Déjà Skeleton Tree, son album le plus noir (pochette comprise) paru en 2016, est un signal de la sortie du silence du deuil immense du père anéanti ; on entend d’ailleurs sa voix à la limite du tremblement sur les deux morceaux crève-cœur (Girl in Amber et I Need You) de l’album de 2016.

Depuis le premier morceau, Jesus Alone de l’album jusqu’au titre éponyme clôturant l’album avec ses « and it’s alright now » répétés ad libitum, l’album semblait en effet former un tout qui paraissait indépassable. Les « nouveaux morceaux » inédits de ce coffret de 2021 sont de la même veine que ceux de 2016 et tous au piano, au toucher délicat et voix enrouée avec arrangements magnifiques d’ELLIS qui marquent la douleur et la rédemption du chanteur. Et les deux morceaux « embryonnaires » de l’album intitulés First Skeleton Tree et First Girl in Amber ont toute leur place dans l’ensemble. La parution de cette version cachée et inconnue, à tout le moins essentielle, très avancée et quasi professionnelle (en tous cas paraissant ne pas avoir été retouchée en 2021) semble être à la recherche d’une volonté et d’un désir de finitude, car la version de 2016 ne pouvait pas être trop longue au risque de « lasser l’auditeur » ; la douleur intime étant un élément qu’il ne faut pas trop utiliser, car elle peut être synonyme de débordement et de déballage inconvenant.

L’album bis (même s’il n’est pas présenté comme tel), de toute beauté vaut l’achat de ce second tome de B-Sides et Rarities, puisque Nick CAVE a bien pris la précaution de séparer les deux CDs pour notre plus grand plaisir et pour une écoute en continu avec un seul petit bémol : il aurait fallu, en effet, mettre dans le livret les paroles (lyrics) des huit morceaux sortis des limbes et qui rendent un vibrant et déchirant hommage du père à son enfant désormais destinataire de la plus belle preuve d’amour inconsolable qu’on puisse imaginer avec toute la douleur et la souffrance servant d’exorcisme définitif pour continuer à aller de l’avant.

Peu d’albums ont réussi à allier la détresse causée par la disparition d’un être cher à leur musique pour tenter de capter ce moment unique et étrange dans la vie en le transformant en une œuvre qui à la fois défie la mort et que celle-ci ne pourra jamais effacer. Merci à Nick CAVE d’avoir transformé l’exercice des Rarities en superbe cadeau au plus près de l’âme.

« You fell from the sky ; crash landed in a field near the river Adur 
Flowers spring from the ground ; lambs burst from the wombs of their mothers 
In a hole beneath the bridge ; she convalesce, she fashioned masks of clay and twigs 
You cried beneath the dripping trees ; ghost song lodged in the throat of a mermaid
With my voice, I am calling you, with my voice I am calling you (ad lib) »

 Jesus Alone (from Skeleton Tree – Nick Cave 2016)

Xavier Béal

Site : www.nickcave.com

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