Nick CAVE & THE BAD SEEDS – Wild God

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Nick CAVE & THE BAD SEEDS – Wild God
(PIAS)

Tiens, revoilà les BAD SEEDS, réengagés pour le 18e album de Nick CAVE, lui qui les avait un peu écartés (ou étouffés) depuis Ghosteen de 2019 et la période du Covid qui avait redistribué les cartes. Il faut dire que cette période avait consacré le chanteur solo et solitaire « Alone at Alexandra Palace » pour l’album solo Idiot Prayer de 2020 et surtout le duo avec Warren ELLIS Carnage en 2021. Nick CAVE, dans une de ses interviews récentes, pose une question qui semble éclairer sa lanterne et la nôtre : « Est-ce que le monde a besoin d’un nouvel album de Nick CAVE ? » à laquelle on pourrait ajouter une question subsidiaire : « Est-ce que le monde attend un autre album de Nick CAVE ? ».

En effet, on pourrait oser dire à ce fantôme à la silhouette de vieil hibou dégingandé, que ses souffrances, ses peurs, ses angoisses, son deuil, sa foi semblent avoir fait long feu (à lire son recueil Faith, Hope and Carnage paru en 2022, on a parfois envie de laisser tomber ces histoires et confessions qui n’en finissent pas et de lui demander de se débarrasser de ses oripeaux seul avec sa conscience). Le duo avec Warren ELLIS (sorte de Jésus et St Jean-Baptiste voyous tous les deux, l’un glabre et l’autre barbu) avait atteint sa consécration avec la musique du film Blonde ainsi qu’avec la parution d’un concert bilan enregistré en Australie (retour au bercail pour les deux) en 2023.

Mais il ne faut pas oublier que Nick CAVE reste un grand compositeur torturé, un prophète païen, mais pas entièrement, tout droit descendu d’Australie, chevauchant les continents, parcourant le monde en fils furieux de Gog et Magog, il faut se souvenir également que ses quarante ans de carrière ont été jalonnés de cette sorte de recueillement et d’osmose avec son groupe (on y compte 23 musiciens différents et pourtant le groupe sonne curieusement toujours à l’identique depuis 1984). Le propos, en 2024, semble clair : avec les BAD SEEDS, on reprend les affaires laissées en suspens(ion) après Ghosteen et on gomme quelque peu ces douloureuses années noires et introspectives qui menaçaient de tourner en rond.

Belle initiative, avec même une chanson intitulée Joy au beau milieu de l’album juste après Frogs dans laquelle CAVE raconte qu’en rentrant chez lui il aperçoit une grenouille dans une gouttière « leaping to God, amazed of love, amazed of pain, amazed to be back in the water again in the sunday rain » il en appelle aux « children in the heavens jumping for joy, jumping for love and opening the sky above ».

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Nick CAVE se pose à nouveau en (vieil) homme sage désormais, un peu saint, un tantinet ange déchu, plutôt mystique mais courroucé et envoutant, et revendiquant une musique quasi religieuse, sans pour cela être « converti » ni « religieux » et se battant comme Jacob contre l’ange face à un dieu sauvage et froid comme le marbre. On pense ici aux paroles de The Lie, chanson de Peter HAMMILL en 1974 dans The Silent Corner and the Empty Stage et ses fulgurances : «Genuflexion, Erection in Church, Sacristy Cloth, moth-eaten Shroud, secret silence, sacred Secrets … Ice Cold Statue, Rapture Divine, Unconscious Eyes, the Open Mouth, the Wound of Love, the Lie » à propos de la sainte Thérèse du Bernin abandonnée au milieu d’une chapelle romaine dans son extase avant la transverbération par l’ange.

Wild God pourrait être le fantôme d’un Nick CAVE jeune cavalier fougueux, fléau de Dieu (Attila en langage Goth voulant dire « petit père »), revenu de tout et qui a fini de dévaster tout autour de lui, ne laissant que des cendres comme ces envahisseurs qui tuaient et brûlaient tout ce qu’ils rencontraient sur leur passage. Le vieux dieu s’est pourtant calmé et s’autorise même à chanter au milieu des chœurs de sa chorale parfois déchaînée et intempestive tel un prêcheur essayant de cacher sa douleur par un enthousiasme proche du délire.

Il est vrai que cette chorale envahissante gâche les premières chansons et que ce gospel inattendu noie et prend le dessus et en rajoute sur le côté religieux, même si le chanteur cherche à tout prix à métamorphoser sa souffrance en joie, plantant derrière lui sa solitude et ses tableaux sinistres et s’ouvrant à l’extérieur de façon élégiaque (un peu forcée) et en surmontant son auto apitoiement proche parfois de la haine de soi.

Retenons quelques fulgurances : Conversion, Long Dark Night et Cinnamon Horses parmi les réussites de l’album (toujours les chevaux, les fantômes, les flammes, les douze vampires blancs errant dans des ruines et les ténèbres à la William BLAKE), les accompagnements moins débordants et la chorale se faisant discrète Le côté élégiaque du chanteur, stigmates et citations de Jean de la Croix, Lewis CARROLL (Humpty Dumpty all the King’s Horses à peine entamé), Kris KRISTOFFERSON en passage éclair et en chemise sale (dans Frogs à nouveau), etc.

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Retenons également la chanson d’ouverture Song of the Lake et son allégorie, son chant d’amour et d’abandon à la fois, repris dans Final Rescue Attempt, hymne définitif et ode à la love song ultime : « you arrive just in time with the wind oh with the wind in your hair ».

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Retenons enfin l’hommage à un autre de ses morts ou spectres, sa bien-aimée Anita LANE, O Wow O Wow, dont on entend la voix et dont il convoque le rire « d’outre-tombe  » par téléphone et auto-tune.

La magie opère, car l’homme est un magicien hors pair (hors père), l’apôtre terrifiant et terrifié est devenu un prêcheur bienveillant, un archange transi d’amour et expiant sa grandiloquence d’avant pour mieux envoûter son public, avec son bestiaire sacré (même les lapins aux oreilles bouchées par des carottes sont convoqués à la fiesta). Il aura fallu cinq années de rédemption pour passer du deuil à la communion et à la cérémonie collective, laissant de côté ce que Nick CAVE appelle ses créatures de la perte. La machine BAD SEEDS semble repartir avec ses félures et ses cicatrices, et plutôt de bon pied, malgré les climats hasardeux, puisqu’on dit toujours que la « mauvaise graine » repousse sans cesse, même si on l’arrache, la brûle ou la réduit en poussière.

Peut-être faut-il relire Foi, Espérance et Carnage : le livre des conversations de 2022 entre Seàn O’HAGAN et Nick CAVE à l’aune et à la puissante lumière de ce renouveau, de cette « résurrection », cette métamorphose vers la joie de ce prince des ténèbres apaisé, libéré de ses vieux fantômes même si ce n’est pas forcément de lui-même.

Xavier Béal

Site : www.nickcave.com

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