Nick CAVE & Warren ELLIS – Carnage
(Goliath Records)
Avec la parution de ce nouvel album un an jour pour jour après Idiot Prayer qui, lui, était un majestueux live sans public au piano voix de l’artiste seul en confinement, Nick CAVE semble décidé à ne plus perdre de temps tout du moins du temps discographique dans sa carrière. En tous cas, depuis Ghosteen en 2019, où il était pourtant accompagné encore par des BAD SEEDS de plus en plus discrets aux utilités. Nick CAVE a décidé de poursuivre et perdurer dans la veine de Skeleton Tree paru en 2016, album qu’il lui fallait faire seul à l’époque afin d’essayer de colmater ses blessures et de canaliser la douleur brutale du deuil de son fils sans tomber dans le lugubre.
Ici en duo avec Warren ELLIS aux commandes, dont l’influence est manifeste depuis Skeleton Tree, avec peu d’instruments, peu de percussions, souvent éparses et un chœur tout en retenue, Nick CAVE s’éloigne encore des guitares furieuses et des lignes de basse qui marquaient jadis l’empreinte des BAD SEEDS. Toutes ces musiques, signées à quatre mains, enregistrées et mixées dans l’urgence dans le même studio qu’Idiot Prayer dégagent la même atmosphère : une sorte de recueillement mi païen mi prêcheur d’un chanteur habité par ses propres tourments (la solitude, la mort, le salut, la violence et le souvenir).
On est dans la veine des romans atmosphériques de Cormack Mc McCARTHY et Flannery O’CONNOR, avec toujours à l’arrière-plan un paysage fantasmatique à la mesure des démons du chanteur, lui qui se rêve à la fois Malin et charlatan, artiste bonimenteur ou conteur ironique parfois, sardonique également, triste et désespéré de plus en plus souvent.
La souffrance affleure sur toutes les chansons et les larmes sont toujours très proches et pourtant ravalées car Nick CAVE, qui a du métier, a voulu dépasser sa peine par l’épure : le chanteur annonce lui-même que le disque est « brutal mais très beau, ancré dans une catastrophe communautaire ». Les huit chansons évoquent, il est vrai, des sujets qui tournent autour des mêmes thèmes parfois entrelacés (on voit des phrases répétées d’une chanson à l’autre (There is a Kingdom in the Sky sur trois morceaux) et ce Carnage pourrait être aussi un symbole à demi voilé de la pandémie actuelle.
Warren ELLIS a rejoint les BAD SEEDS en 1993 et son violon a accompagné tous les albums de Nick CAVE depuis lors. Ellis est passé à la coproduction pour les BAD SEEDS et d’autres avec l’album Push the Sky Away en 2013 et a continué à co-écrire les musiques du groupe avec Nick CAVE depuis. Les deux ont également collaboré sur plusieurs B.O. de films notamment sur L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d’Andrew DOMINIC et ont « amusé la galerie » avec les albums de GRINDERMAN, pochades sauvages et brutales pas toujours bienvenues.
Carnage, signé par les deux compères semble être l’aboutissement de cette collaboration enregistré dans la solitude forcée du confinement et ressemble davantage à une variation en huit morceaux de l’impossibilité à dire la douleur et la volonté en dernier recours de s’en remettre à une puissance invisible (Dieu, présent comme toujours chez CAVE avec le premier morceau Hand of God), comme une offrande où les mots soutenus par des mélodies feraient une musique d’un film tourné vers la contemplation dévastée de la peine du chanteur qui cache son désespoir jusqu’à l’os. Goliath et la Venus de BOTTICELLI (avec un pénis) sont conviés chez le White Elephant (quatrième morceau) tout en rageuse détermination vers le « maitre inconnu qui voit tout » ; on songe à nouveau à ces morceaux élégiaques de prières religieuses qui emportent tout tel le Galleon Ship de l’album Ghosteen et à ses textes à forte connotation symbolique : ses « So Many Riders in the Sky » qui accompagnent le chanteur dans sa quête spirituelle et liturgique.
La toute première chanson de Nick CAVE en 1984, sur le premier album des BAD SEEDS From Her to Eternity était une reprise d’Avalanche de Léonard COHEN (de Songs of Love and Hate de 1971). En 2021, soit 50 ans plus tard, Carnage est la conclusion d’Avalanche dans le domaine des catastrophes prévisibles de l’humanité et Nick CAVE conclut d’ailleurs l’album Carnage par un clin d’œil à l’adage nietzschéen sur Balcony Man, la toute dernière chanson de l’album : « And what doesn’t kill you just makes you crazier ! ».
Xavier Béal
Site : CARNAGE – Nick Cave