Nolwenn KORBELL – Ar Preñv Glas (Lampyris Noctiluca)

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Nolwenn KORBELL – Ar Preñv Glas (Lampyris Noctiluca)
(Coop Breizh / Aztec Musique)

En 2003 la compositrice, chanteuse et comédienne bretonne Nolwenn KORBELL sortait son premier album solo, N’eo ket echu, autrement dit « Ce n’est pas fini ». 21 ans et 6 albums plus tard, ce n’est toujours pas fini. Et même si Nolwenn ne « squatte » pas en permanence l’actualité (son précédent disque, Avel Azul, remonte à 2017), elle n’a pas disparu de la scène musicale de Bretagne ; elle y tient même une place assez singulière, pas vraiment postée sur le haut du podium en pleine lumière médiatique, plutôt sur un bas-côté, à l’ombre des mirages « starisants », où il lui est plus loisible de construire son parcours selon les clairs-obscurs de son inspiration. Et c’est une fois encore dans la part obscure de l’être et de son existence qu’elle puise sa faconde créative, mettant sa plume à l’écoute des épreuves que nous infligent désirs, sentiments, intuitions, engagements, croyances, sensations, rires, larmes, colères, désabusements, disparitions, espérances…

Et c’est précisément le constat de la raréfaction d’une certaine forme de vie qui a inspiré à ce septième disque son titre : Ar Preñv Glas en breton, comme Lampyris Noctiluca en gréco-latin, désigne ces insectes coléoptères que l’on appelle « vers luisants », en raison de leur capacité, au moins pour les femelles, à émettre de la lumière avec leur corps, un phénomène. La disparition progressive de ces créatures « bioluminescentes », due à la pollution lumineuse et à la diffusion de pesticides, a inspiré Nolwenn KORBELL un parallèle poétique avec d’autres types de disparitions et d’extinctions auxquelles elle a été confrontée au cours de sa vie.

Une lumière qui s’éteint, c’est un peu de vie qui s’en va… Alors la moindre des choses est de ne pas oublier toutes ces lumières qui ont éclairé, ébloui ou révélé nos vies ne serait-ce qu’un court instant, afin de se permettre de vivre mieux, ou autrement.

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« Dalc’hit soñj deus ar preñv glas » (« Souvenez-vous des vers luisants »), chante donc Nolwenn KORBELL d’entrée de jeu dans cet album de onze nouvelles chansons qui dressent la carte des obscurités existentielles sur lesquelles il convient de braquer les projecteurs sensibles pour en limiter l’expansion. Il y est question de désillusion (À quoi bon), de lassitude (Tired), de doute (Ha Ma – Et si), de perte (Hepdout – Sans toi), d’oppression sexiste (Deuit Ganin-Me – Venez avec moi), d’abdication culturelle (Bugale Breizh – Enfants de Bretagne), mais aussi de la possibilité de faire œuvre de réparation (Kintsugi), d’espérer malgré la fatalité (Mr. Hope), de pérenniser une passion sensuelle (L’Arc de Cupidon). Et avant de fermer définitivement la porte, Nolwenn KORBELL prend soin d’allumer une petite lanterne (Tiny Song) à l’usage de celles et ceux qui craindraient encore de s’égarer dans la nuit…

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Vous l’aurez deviné, Ar Preñv Glas ne s’écoute pas à la légère, pas plus que les précédents albums de Nolwenn KORBELL, du reste ! N’attendez aucune concession à la tradition bretonne « festive et dansante » : sa « Bretonnité », Nolwenn KORBELL ne la conjugue à aucun cliché culturel. Elle la forge au contraire à travers une forme de poésie contemporaine mettant en action ses talents de chanteuse et d’actrice à travers une diction chantée-parlée qui s’offre de plus le luxe d’être plurilinguiste, puisque Nolwenn chante tour à tour en breton, en français et en anglais, quand elle ne mêle pas deux langues dans une même chanson.

Musicalement, Ar Preñv Glas renoue avec l’option électrique de Noazh et d’Avel Azul, mais avec un rendu encore différent, explorant des rivages blues-rock, électro-trip-hop et folk volontiers rugueux et saillants, brassant ambiances lourdes, rages contenues, contorsions flottantes, méditations amères et caresses scarifiantes.

Toujours avide de nouvelles explorations sonores aptes à entrer en adéquation avec l’esprit de ses chansons, Nolwenn KORBELL s’est entourée sur cet album d’une équipe de musiciens au sein de laquelle on retrouve la complice Hélène BRUNET (déjà entendue chez SYLBÀT, IZHPENN12, Duo HAYES/BRUNET, FAUSTINE, KAOLILA, TAN DE’I !…), dont la guitare déploie ici plusieurs mode de grogne électrique (pour ne pas dire nucléaire) ; Mathieu LE MOAL (du groupe heavy-psyché-rock KOMODRAG & THE MOUNODOR) dont la polyvalence guitaristique va de la basse incisive et à la « pedal steel » ondulante ; et Thierry SAOUZANET (THE PASTE TRAVELLERS, DEADLINE), préposé aux machines et aux claviers générateurs de couches visqueuses, de rythmiques sourdes et d’ambiances pesantes.

Tous ont contribué aux arrangements et ont sculpté à chacune des chansons de Nolwenn un écrin de modernité amplifiée et granitique qui résonne de façon idoine avec ses mots au goût de flamme âcre, de fiel plombé, de flétrissure sensuelle, de sourire grinçant, de lumière crue, de soupir mat, de souffle moite…

Aux mots d’ordre « positivistes » et consensuels dont la plèbe est sommée de se gaver, Nolwenn KORBELL substitue les brûlures d’une âme et les convulsions d’un corps marqués par les coups de boutoir de l’existence qui poussent à privilégier les doutes visionnaires aux certitudes aveugles. Car c’est de la mise en abîme de ces brèches douloureuses que surgira la force de guérir, de consoler.

« Je me pare l’âme et le corps de mon habit de blessures d’or », chante encore Nolwenn dans Kintsugi, terme qui désigne justement une technique japonaise qui consiste à réparer avec de la poudre d’or des objets de porcelaine ou en céramique brisés.

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Même si elles exposent une surface sombre, ces onze nouvelles chansons de Nolwenn KORBELL ont le même pouvoir que cette poudre d’or, de même qu’elles sont capables de réfléchir la bioluminescence de ces « vers luisants » évoqués dans le titre de l’album.

Il n’y a pas de musiques « light » dans Ar Preñv Glas, mais des mots, des notes et des sons agissant tels des pansements sur des plaies, car chargés de rayons vibrants aptes à illuminer subrepticement les phases d’obscurité. Et de toute façon, « Il est plus méritoire de découvrir le mystère dans la lumière que dans l’ombre », comme l’écrivait le poète-boxeur Arthur CRAVAN. Merci donc à Nolwenn KORBELL de faire passer la luisance dans ses vers…

Stéphane Fougère

Page label : https://www.coop-breizh.fr/

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