Nolwenn KORBELL – Noazh
(Coop Breizh)
Il y a des pochettes de disque qui ne préfigurent rien du contenu ni n’illustrent rien du titre du disque ; ce n’est pas le cas de cette pochette qui dit astucieusement bien de quoi il est question : une mise à nu, un dévoilement. La chanteuse et compositrice bretonne Nolwenn KORBELL tombe ici la robe pour afficher fièrement sa poitrine, juste masquée par ses mains, et tourne augustement la tête pour mieux faire voler sa crinière à tout vent, dans un style très rock n’roll. On ne pouvait imaginer illustration plus concrète du titre donné à cet album, Noazh, terme breton pour « nu », tout simplement.
La chanteuse nous avait habitués dans ces disques précédents à afficher sa « bretonnité » artistique en éludant tous les clichés inhérents au genre : pas de costume bretonnant, pas d’instruments dits folkloriques non plus, encore moins de « celtitude » à gros sabots, mais une volonté de projeter la langue bretonne, dans laquelle elle s’exprime en priorité, dans une contemporanéité ouverte, empruntant à la pop électrique, avec parfois quelques touches classisantes et occasionnellement des sonorités « d’ailleurs ». Mais avec Noazh, Nolwenn KORBELL transcende et radicalise ses choix : l’habillage instrumental est plus minimal que sur N’Eo Ket Echu et Bemdez C’houloù, juste des guitares, assurées par Didier DREO (ex-KERN) – musicien déjà présent dans Bemdez C’houloù, et dans le studio de qui a été enregistré ce disque – et une batterie (plus des programmations) tenue par Jean-Christophe BOCCOU (ex-GLAZ et KERN).
Certes, ce n’est pas aussi minimal que sur Red, où Nolwenn était uniquement accompagnée de la guitare acoustique de Soïg SIBÉRIL (l’album était du reste crédité au duo). En ce sens, et paradoxalement, Noazh est sur le plan musical moins nu que Red. C’est à une autre forme de mise à nu qu’invite Noazh, et qui confine à une mise à vif. Le choix de la photo de pochette prend donc un sens plus profond : il reflète l’idée que Nolwenn KORBELL se fait de sa démarche artistique et qu’elle souhaite exhiber plus pleinement, à savoir dévoiler l’intime, s’exposer à fleur de peau, mettre les sentiments à nu. Cela nécessitait donc une réorientation musicale ; aussi le style chanson folk moderne auquel on assimilait l’art de Nolwenn KORBELL se teinte-t-il ici d’accents fortement blues et rock, prodigués avec beaucoup d’inspiration par Didier DREO et Jean-Christophe BOCCOU (lesquels jouent eux aussi le jeu de la mise à nu dans le livret).
C’est du reste avec un Blues ar Penn Sardin que nous sommes cueillis en introduction de cet album et qui n’usurpe pas son titre. Nolwenn KORBELL y évoque les états d’âme nostalgiques d’une ancienne ouvrière de conserverie à « tête de sardine » (du fait de sa coiffe) et y répète, tel un mantra « Tremen ‘ra an amzer baby ; Ha ‘teui ket en-dro ‘nezhi » (Le temps passe, baby ; Et il ne reviendra pas.), sur fond de guitares à l’épaisseur effectivement blues, et un « beat » pesant juste ce qu’il faut, qui alterne avec une frappe plus percussive.
Plus loin, Kuit (Parti) cultive une veine également bluesy, sertie de lignes de guitares aux teintes subtilement diversifiées, de même que deux des trois chansons interprétées en anglais, Don’t Try et One More Day ; la première se parant d’une ambiance cotonneuse avant de se réveiller dans une lenteur apathique, et la seconde étant fendue d’un solo de guitare caniculaire, le tout étant dominé comme il se doit par une voix ondulante dans ses hauteurs, et sensuelle dans ses épanchements.
Introduit par une batterie assez leste, Hir (Longue) prend un ton résolument rock, avec une guitare aiguisée, et un chant plus tendu, la langue bretonne prenant des inflexions plus « west coast » (jusqu’à incruster des bouts de phrase en anglais !) pour nous rappeler combien « long is the road » (« Hir, Hir, hir an hent »). Qu’on ne s’y trompe pas : derrière le stéréotype « routard » s’exprime une forme de colère, la route évoquée étant le temps qu’il faut à une langue pour se faire reconnaître et accepter (en l’occurrence la langue bretonne, comme on l’aura compris), et le fait qu’il faille toujours se démener – donc courir sur la route – pour la défendre.
La rage rock est de même exprimée dans Aet Oan (J’étais allée), qui épluche les tourments et les angoisses de la narratrice qui cherche à tout oublier, y compris « le goût de la mort ».
Sur les onze titres que contient Noazh, un seul avait déjà été enregistré pour l’album Red, le pamphlétaire Anna, qui revient ici sous une forme évidemment plus conforme au ton d’ensemble, plus blues-rock donc, et introduit par un poème en russe dit par Antonia MALINOVA.
Sur An Dud, Nolwenn KORBELL raconte avec un brin de fatalisme combien les hommes ne sont que… des hommes (« Tous disent « maman » devant la porte de la mort »), dans une atmosphère rendue poisseuse par des guitares torpides, électrique comme acoustique, et des percussions exsangues, et d’où surnage un semblant de refrain en forme de berceuse un tantinet grivoise (« Fri Toñtoñ Lom ba’revr toñtoñ Reun », avec un petit rire nerveux en fin de course).
On trouve toutefois dans cet ensemble rugueux et hargneux des chansons qui agissent comme des respirations, ce sont celles qui traitent de sentiments amoureux : inaugurée par le bruit d’un orage dans le lointain et une mélodie circulaire aux sonorités lunaires, Mad Love serpente comme un tour de manège qu’Alice ferait dans son pays des merveilles ; Je voudrais, seul titre chanté en langue française (avec cette fois une allusion au Magicien d’Oz), prend l’allure d’une valse, Nolween prenant sa guitare acoustique, et sa voix se dédoublant pour accentuer l’ambiance nonchalante.
Enfin, pour clôturer ce disque, Nolwenn KORBELL a choisi de s’exprimer dans une quatrième langue qu’on ne lui connaissait pas encore : Misjac Na Nebi est en effet une chanson populaire ukrainienne, qu’elle interprète, nimbée de légère réverbération, juste accompagnée par le piano de Philippe VERGOZ, par ailleurs responsable des superbes photos qui ornent le livret.
Avec Noazh, Nolwenn KORBELL franchit donc une étape qui relève du plaisir transgressif, consommant une rupture toujours plus marquée avec le cliché de la « chanteuse bretonne » en s’abandonnant à des élans sanguins qu’on ne lui connaissait pas encore. En se livrant à nu, elle effectue une métamorphose qui lui permet de mieux exhiber son « costume intérieur ». Et en se livrant à Noazh, l’auditeur découvrira les émotions et les sentiments non fardés d’une artiste bretonne par la langue, mais surtout d’une femme d’ici et de maintenant, sensible jusque dans ses extrémités.
Stéphane Fougère
Label : www.coop-breizh.fr