Nour EDDINE – Bahja (Morocco – Traditional Songs and Dances)
(ARC Music / DOM)
Quoi de plus normal pour un musicien marocain, qui plus est d’origine berbère, de consacrer ses œuvres musicales au désert et à la Méditerranée ? Quoi de plus évident pour ce même musicien de se commettre dans des groupes spécialisés dans les musiques gnawa et du désert saharien, comme AZAHARA, DESERT SOUND et JAJOUKA ? Nour EDDINE combine toutes ces tâches, en plus d’avoir créé l’ensemble Nour EDDINE FATTY, qui a été récompensé par un premier prix au festival de musique folklorique de Vejani, en Italie, d’avoir une activité de réalisateur de films (Casanegra est son plus célèbre), d’avoir participé la B.O. de plusieurs films et d’avoir figuré en vedette dans le film Sound Of Morocco, présenté en 2009 au festival international du film, à Rome. Et parce qu’il réside en Italie, il s’est même essayé avec succès à mêler les sons et les chants gnawa avec la tarentelle calabraise du groupe italien PHALEG sur le disque Taragnawa (2003).
Sur ce nouvel album (son treizième, et le second à paraître sur ARC Music, après Zri-Zrat, The Music of Morocco : In the Rif Berber Tradition en 2000, qui est en fait la réédition de son tout premier disque paru deux ans plus tôt), Nour EDDINE, bien qu’entouré de jeunes musiciens maghrébins, tient à lui seul plusieurs instruments. C’est en priorité au guembri, luth à trois cordes riche en basses, qu’il s’illustre, mais il touche également ici et là à l’outher (ancien luth berbère), au leira, au t’bel (tambour cylindrique à deux peaux) et au bendir (tambour sur cadre). Ah oui !, et c’est lui qui assure le chant « lead » ! C’est en quelque sorte le portrait type de l’artiste (quasi) complet.
Entièrement dévoué à la musique gnawa, « Bahja » désigne l’une des phases d’un rituel à but thérapeutique se prolongeant une nuit entière et durant lequel sont invoqués les bons esprits afin de chasser les mauvais qui ont pris possession d’une personne. Le terme « bahja » désigne à la fois la couleur rouge et une entité, l’esprit d’une personne disparue qui fut convertie au soufisme. Cela dit, les origines de ce rituel sont plutôt à chercher du côté des anciennes cultures d’Afrique noire, les ancêtres des Gnawas ayant été victimes de la traite négrière transsaharienne et s’étant retrouvés en Afrique du Nord, ont été assimilés à la cause islamiste sans pour autant renier leurs croyances de base.
Toutefois, ce disque ne relève pas du document ethnomusicologique enregistré « in situ ». Le propos de Nour EDDINE n’est pas de « recopier » trait pour trait cette phase de rituel mais plutôt de s’en inspirer, assez fortement tout de même, pour réaliser un opus écoutable pour l’auditeur-touriste moyen. On retrouve certes tous les ingrédients propres à l’esthétique musicale gnawa, luths, percussions, claquements de mains, flûte, mais l’accent est porté sur les cordes et la voix, les « qraqebs » (crotales) et les sons percussifs étant relégués un poil plus en arrière dans le spectre sonore que dans celui de la plupart des enregistrements de terrain consacrés à cette musique.
Il s’agit donc d’une transe gnawa moins criarde et exubérante que de coutume, mais non moins habitée et d’où se dégage presque une atmosphère de huit clos. Les chants sont pour leur part évidemment dédiés aux Saints musulmans et aux esprits anciens. Quelques pièces instrumentales mettant en valeur le t’bel, la flûte ou l’outher complètent le répertoire.
Le livret présente de nombreuses photos de prestations scéniques de Nour EDDINE et de son ensemble qui donnent sacrément envie de voir ça en direct.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée
dans ETHNOTEMPOS en 2010)
Label : www.arcmusic.co.uk