NUCLEUS – Live in Bremen (Cuneiform / Orkhestra)
NUCLEUS – The Pretty Redhead (Hux)
NUCLEUS est un groupe de fusion des années 1970 dirigé par le trompettiste écossais Ian CARR. Mais c’est surtout probablement le premier ou l’un des premiers à avoir marié le jazz et le rock. Le livret du double CD Live in Bremen est particulièrement bien documenté de ce point de vue. NUCLEUS réalisa entre 1970 et 1980 douze albums studio. À une époque où ni RETURN TO FOREVER ni WEATHER REPORT ni le MAHAVISHNU ORCHESTRA n’avaient encore enregistré, NUCLEUS avait déjà fait trois albums et pas mal de concerts.
Cousin de SOFT MACHINE qui lui volera certains de ses musiciens phares (John MARSHALL et Karl JENKINS), NUCLEUS, plus orienté rock à la base que les Miles DAVIS et affiliés, a une sonorité particulière et un talent à la fois de composition et d’interprétation évident.
Au départ, Ian CARR, après une expérience de jazz classique (dont cinq albums avec le RENDELL-CARR QUINTET), en eut assez à la fois du format classique du jazz (thème-soli-thème), de l’amateurisme en terme de management de ce milieu en général, qu’il décida à l’été 1969 de créer son propre groupe et de le doter de tous les atouts nécessaires pour ni mourir de faim ni s’ennuyer musicalement. Il se dotera pour cela de musiciens virtuoses du jazz mais ayant tous un goût et une aisance pour le rock et le blues.
Vainqueurs d’un concours international de jazz à Montreux (après leur premier album, Elastic Rock), ils avaient été invités au fameux festival de Newport. Là, grâce ou à cause, d’un malheureux incident technique avant le concert, Ian CARR, en rage, fit se déchaîner le groupe sur scène. Le public, les confrères, les critiques et les correspondants radios ont été submergés et conquis : NUCLEUS fit sensation aux États-Unis. De manière générale le groupe avait une excellente réputation en concert.
Ce Live in Bremen arrive à la croisée des chemins pour NUCLEUS (mai 1971). Jusqu’à quelques semaines plus tôt le groupe était resté dans la même configuration, avait enregistré beaucoup et joué pas mal. Le groupe se distingue par ailleurs des formations de jazz, car il utilisait durant les enregistrements studio des techniques de studio, préparait l’ensemble et cherchait l’intérêt de l’album en lui-même. Alors qu’un combo de jazz enregistrait en live dans le studio et respectait l’aspect improvisation et la fraîcheur du live en studio. NUCLEUS réservera essentiellement cela pour ses concerts. Celui-ci comporte d’ailleurs de beaux exemples de ces longues improvisations.
Mais revenons à nos moutons. Le groupe a, à l’époque de ce concert, perdu Jeff CLYNE à la basse et récupéré Roy BABBINGTON (oui, le même qui venait du Keith TIPPETT GROUP, comme Jeff CLYNE et qui ira lui aussi chez SOFT MACHINE plus tard…si l’école de Canterbury possède un son particulier et commun c’est peut-être aussi parce que beaucoup de ses musiciens ont joué aux pigeons voyageurs et fait partie de plusieurs de ses formations). De même Chris SPEDDING, le guitariste bluesy est parti pour être musicien de studio, remplacé par Ray RUSSEL, qui ne restera pas longtemps dans le groupe.
Voilà, à partir de là, vous comprendrez que nous avons un groupe qui sonne un peu Canterbury et qui nous présente ici un travail s’éloignant de ce qu’il a produit en studio. Les trois premiers albums sont des perles avec certains thèmes de Karl JENKINS (que SOFT MACHINE reprendra quand celui-ci intégrera le fameux groupe) qui sont ici exploités différemment.
La formation se compose donc de : trompette, sax/flute, haut-bois/piano électrique, guitare électrique, basse et enfin batterie. Alors qu’en est-il ? Curieusement le groupe présente une certaine retenue (surtout sur le premier disque).
On n’a pas vraiment la machine à détruire les sceptiques, le rouleau compresseur d’une dynamique époustouflante des premiers studios. La prise de son (et c’est peut-être la raison) n’est pas parfaite. La trompette est mixée un peu trop en avant et surtout la batterie semble un peu étouffée. Ces critiques sont toutes relatives, car bien sûr, les musiciens sont excellents et le document est vraiment intéressant pour les amateurs du groupe. C’est un live entier qui montre la force et les limites de leur formule pleine d’invention, d’expérimentations et d’improvisations en concert. Les moments magiques sont nombreux, et on fait vite abstraction des défauts précédemment cités.
The Pretty Redhead est un document exhumé par la BBC. Les albums live de la BBC semblent être une bénédiction. Quel son ! Quelle force ! Cette formation comporte, elle, Jeff CLYNE à la basse et Chris SPEDDING à la guitare électrique (au jeu très jazzy, tout en petites touches et diversité) pour la première moitié du disque, qui se réfère à un enregistrement de mars 1971.
La seconde moitié est un enregistrement de 1982. La version de Song for the Bearded Lady, thème de Karl JENKINS, est beaucoup plus rapide et dynamique que celle du Live in Bremen. Les soli sont plus nets et le son est tellement meilleur, digne des meilleurs enregistrements studio. Là on a les deux : les improvisations, la cohésion et à la fois la qualité sonore et le sens du drame. En effet, le groupe est à la fin de sa première vie avant les changements. La mécanique est parfaitement huilée.
La seconde moitié du disque est plus typiquement jazz (je ne connais pas encore les derniers albums de NUCLEUS) et les qualités d’un grand groupe de jazz-rock sont là ,mais pas de claviers. Les rythmes sont plutôt lents, façon rhythm’n’blues et l’accent est donné à la trompette. D’ailleurs à l’époque le groupe s’appelle Ian CARR’s NUCLEUS. C’est bien huilé, mais je ne pense pas que les compositions permettent la pulsation et le sens du drame de celles de Karl JENKINS qui dominaient les premiers albums du groupe et donc la première moitié de ce disque.
The Pretty Redhead m’apparaît comme essentiel aux fans du groupe ou de jazz-rock, de fusion et de Canterbury. Les amateurs de jazz eux seront parfaitement ravis avec ces disques et surtout avec la seconde moitié de ce magnifique Pretty Redhead.
Romain Rioboo
Pages Labels : https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/live-in-bremen
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES°14 – décembre 2003)