Wang LI – Guimbarde (Chine)

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Wang LI – Guimbarde (Chine)
(Cinq Planètes/L’Autre Distribution)

On l’appelle « jew’s harp » en Angleterre, « doromb » en Hongrie, « mungiga » en Suède, « morsing » en Inde du Sud, « dan moi » au Vietnam, « genggong » à Bali, « khomus » en Sibérie yakoute, ou encore, rien qu’en Chine : « kouxian » (région du Nord), « laxian » (région du Sud-Ouest, chez le peuple Yi), et « hoho »… Sans doute parce que c’est l’un des instruments les plus anciens du monde, la guimbarde porte pas moins de quarante noms différents à travers le globe terrestre, et charrie autant de mystères auditifs, induisant la transe chez les chamanes de Sibérie ou appelant l’amour dans les campagnes chinoises.

Constituée d’une, de deux, ou trois, voire quatre ou cinq lamelles en métal, en cuivre ou en bambou, attachée ou non à une armature, la guimbarde se place dans la bouche, et les doigts et la bouche font le reste, et il n’est plus question que de vibrations, sismiques ou langoureuses…

Ce n’est en tout cas pas sa complexité d’usage qui a fait reculer Wang LI, lequel en a fait son instrument de prédilection. S’il pratique aussi la flûte chinoise et le chant de gorge, comme il l’a démontré sur son premier CD autoproduit, c’est ici aux seules guimbardes (hem… « seules », c’est peu dire : il en a plus de 1 500 !) que le jeune Chinois étale la pleine mesure de son expression musicale. Du reste, c’est aussi la philosophie du label qui a bien voulu le signer : « un homme, un instrument ».

Ce sera donc Wang LI et la guimbarde, autant dire toute une expérience, une vie entière d’impressions vibrées. Et comme Wang LI n’est pas homme de tradition, pas question de faire dans la musicologie didactique. Du reste, on ne saura rien des guimbardes utilisées ici, ni de leur histoire. Seule importe celle de l’artiste, dont les quinze pièces musicales consignées sur ce CD sont comme des reflets plus ou moins romancés et extrapolés.

Ainsi la guimbarde raconte-t-elle les aventures d’un petit garçon moqué par ses camarades, jouant dans l’escalier en attendant le retour de papa-maman, et obligé de rentrer seul parmi les fantômes que dessine le paysage nocturne. Puis l’enfant grandit, il « pousse », et se brûle la rétine en admirant les jupes des filles par temps de canicule, avant de brûler de désir pour une fille des montagnes et de se perdre dans les suantes secousses des étreintes charnelles…

Ailleurs encore, il est question de souvenirs : des jeux d’enfants, une rizière, un grand-père décédé avec qui l’on converse, un père qui donne ses dernières recommandations…

Émotions, sensations… les potentialités sonores de la guimbarde atteignent avec Wang LI une acmé expressive particulièrement bluffante : on croirait par moments entendre un synthétiseur, une rythmique technoïde, une voix filtrée au vocoder, et autres singularités soniques.

Ici, tout n’est que souffles et vibrations, mémoires et visions, tellurismes et voluptés, bref un imaginaire aux résonances à la fois intimes et universelles qui connectent le passé avec le présent, et le tumulte avec le silence.

Les férus d’érudition technique en seront pour leur frais, mais les amateurs de paysages insolites et innovants, même peu au fait des cultures traditionnelles, reviendront sans nul doute souvent se nourrir de la manne poétique de cet inclassable CD.

Stéphane Fougère

Site : http://aspiration.free.fr

(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°27 – novembre 2006)

 

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