OFFERING – Concert Triton 2013
(Seventh Records)
Une trentaine d’années après sa naissance et une vingtaine d’années après sa mise en sommeil (en dépit d’une fugace réapparition en 2003), OFFERING est venu célébrer son anniversaire dans la même salle qui avait déjà célébré les 35 ans de MAGMA en une mémorable rétrospective étalée sur un mois. Pour OFFERING, ça n’a duré que quelques jours, mais ce fut assez pour graver une trace tant auditive que visuelle.
Le résultat figure sur ce coffret DVD+2CD, qui restitue l’intégralité de ce qui fut joué sur scène les 4, 5 et 6 juillet 2013. Enfin « presque » l’intégralité, puisque des problèmes techniques ont empêché l’inclusion du sublime et éthérique tandem Cosmos/A Fïïeh, ce qui est fort regrettable. (Vous auriez dû venir plus nombreux, le groupe aurait eu des dates supplémentaires, aurait pu jouer davantage et se faire encore plus enregistrer et filmer, ce qui aurait sûrement permis d’avoir les deux morceaux manquants dans ce coffret !) Mais le reste a été somptueusement filmé et enregistré, et le résultat dépasse en qualité certaines réalisations discographiques de MAGMA. En prime, on a même droit (sur le DVD seulement) à l’ultime rappel surprise de la dernière soirée, qui n’est rien moins qu’une version improvisée de Earth, l’hymne tellurique ébouriffant des débuts d’OFFERING que ce dernier n’avait pas dû jouer depuis… 1986 ?
L’ambiance des concerts est parfaitement reproduite grâce à un jeu de plusieurs caméras judicieusement placées devant et au-dessus de la « grande scène » du Triton qui permettent de voir chaque musicien en plans rapprochés et l’interaction entre les musiciens par des plans plus larges, avec de belles lumières, le tout dans un montage très dynamique.
Dès les premières notes d’Offering, la magie revient et opère d’emblée. Stella VANDER illumine de son chant ample cette pièce qui sert de carte d’identité au groupe. Christian VANDER intervient aux balais, c’est le seul morceau où on le verra derrière la batterie. Le reste du temps, cette dernière est confiée à Philippe GLEIZES, qui enchaîne les éclats et les brillances avec une facilité subjuguante, tandis que Christian VANDER s’impose comme la voix « lead », en s’accompagnant éventuellement de percussions. Son chant en forme de lien élastique entre le gospel et le scat est plus maîtrisé que jamais et électrise sans difficulté des compositions par essence acoustiques.
De temps à autres, Christian cède le terrain à Stella VANDER (notamment sur Tilim m’Dohm et sur la relecture en lévitation du thème que Walter SCHUMAANN avait écrit pour La Nuit du chasseur), ou même à Isabelle FEUILLEBOIS, qui s’empare avec assurance et passion de Love in the Darkness, une autre rareté du répertoire d’OFFERING ressuscitée avec bonheur. Hervé AKNIN, également réquisitionné aux chœurs, est plus discret mais montre ici et là les différentes caractéristiques de son registre vocal. C’est même lui qui lance les assauts rocailleux (« Whhaaa !!! ») sur Earth.
Et bien sûr, entre deux séances d’hypnoses vocales syncopées de Christian VANDER (l’ensorcelé Joïa, encore plus étalé que la version studio), il y a ces fameux chants en répons qui enflamment notamment le dantesque Another Day, au cours duquel le sorcier Zebehn lance des formules vocales reprises par les autres voix sur un rythme soutenu et qui va crescendo, comme des mantras qui confinent à l’ivresse extatique.
OFFERING, ce sont des chavirements de voix, mais aussi des vagues de pianos et autres claviers, ici partagés entre Frédéric D’OELSNITZ et Tony PAELEMAN, qui conjuguent notamment leurs roulis de notes sur Auroville, la composition de velours de Michel GRAILLIER jouée à l’époque par le quartet ALIEN.
Un autre moment de suspension est la reprise, intégrée à Another Day, d’une pièce de Simon GOUBERT, Le Temps a passé, avec juste claviers et flûtes (Stella VANDER) dans la pénombre.
Enfin, OFFERING ne serait pas tout à fait OFFERING sans la présence (ou plutôt le retour) du solide Jean-Marc JAFET à la basse et de Pierre MARCAULT, dont les bougarabou et autres peaux qui se caressent et qui se frappent enracinent le propos dans les rites antiques de l’Afrique Noire.
Du reste, c’est à une vraie fête de percussions que se livrent tous les musiciens en rappel (sur An Bara Wa), tandis que VANDER s’acquitte des présentations avec ce sens du décalage qu’on lui connaît à l’occasion.
Et c’est bien évidemment avec Ehn Deïss et son intimisme envoûtant qu’OFFERING a clôturé sa série de concerts, laissant le public espérer que son aventure ne s’arrête pas là. Et fort heureusement, ce ne sera pas le cas puisque d’autres rendez-vous scéniques ont programmés en 2014.
Ce coffret arrive à point nommé pour rappeler l’existence de cette musique, en même temps qu’il offre aux connaisseurs un autre document live assez différent de l’archive Paris, Théâtre Déjazet 1987 paru sur AKT il y a quelques années.
C’est l’occasion ou jamais pour les générations plus jeunes de découvrir ce groupe dont le principal tort, au yeux des fans de MAGMA, est d’avoir rappelé avec plus d’insistance les racines coltraniennes de la musique de Christian VANDER et de les avoir exploré dans une forme plus épurée, plus libre, plus improvisée, sans doute aussi plus risquée et plus viscérale, et d’en avoir épanoui la dimension élémentale.
L’eau, la terre, le vent, l’air, OFFERING les tutoie avec une grâce et une énergie dont l’appréhension exige l’abandon des préjugés sclérosants. OFFERING invite à écouter un autre cri (celui de joie), qui mérite lui aussi son extension…
Stéphane Fougère
Label : www.seventhrecords.com
(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°34 – juillet 2014)