Olivier MESSIAEN
Il y a 80 ans… la fin du Temps à Görlitz
Le contexte de l’émergence du Quatuor pour la fin du Temps d’Olivier MESSIAEN
Quelques œuvres ont marqué le XXe siècle avec une telle force qu’il faut bien leur reconnaître un caractère révolutionnaire. Elles seront reconnues comme révolutionnaires parce qu’elles ouvriront des voies nouvelles et qu’il sera impossible aux compositeurs qui suivront d’ignorer le pas de géant qui vient d’être franchi à chacune de ces étapes. En naîtront des filiations qui elles-mêmes auront des répercussions conséquentes sur la musique et c’est sans doute la raison pour laquelle la musique du XXe siècle vit une évolution exponentielle, mouvement dont témoignera également l’art pictural et qui, compte tenu de sa rapidité, explique peut-être les difficultés que peut avoir le grand public à en suivre l’évolution.
Parmi ces œuvres phares, l’une des plus importantes fut sans doute Le Sacre du Printemps d’Igor STRAVINSKY en 1913 : cette œuvre semble annoncer, sans avoir eu pourtant cette intention, les signes tangibles d’un déferlement de violence en Europe, à la veille de la première guerre mondiale. Huée par le public lors de la première, cette pièce, unanimement considérée comme un chef-d’œuvre de nos jours, est une rupture formelle profonde, tant sur les plans rythmique que mélodique et harmonique. Aujourd’hui encore, et pour longtemps semble-t-il, ce n’est pas sans une certaine fascination que cette œuvre s’écoute.
Le but n’est pas ici d’énumérer les différentes œuvres et compositeurs qui jalonnèrent ces soudaines évolutions mais nous pouvons rendre hommage à DEBUSSY, à STRAVINSKY, à SCHOENBERG ou à BARTOK d’avoir révolutionné l’art de la composition de la première partie du XXe siècle. Il est étonnant cependant de constater que le Quatuor pour la fin du Temps, d’Olivier MESSIAEN, ne bénéficia pas de l’intérêt médiatique qu’il aurait mérité malgré les conditions incroyables qui présidèrent à sa création – comparable, par son caractère exceptionnel, à la première du Sacre.
Ce XXe siècle a été violemment marqué par deux guerres mondiales, la deuxième atteignant un paroxysme jusque là inégalé en termes de violence avec l’application de méthodes empruntées à l’industrie pour mettre en œuvre le pire génocide dont se soient rendus coupables des hommes, la Shoah. Au cœur de cette époque apocalyptique, Olivier MESSIAEN est un jeune compositeur français dont l’originalité est déjà affirmée : à partir de 1936 il enseigne la composition à la Schola Cantorum et à la faculté de l’École Normale de musique. Depuis 1931 il est organiste titulaire à l’église de la Trinité à Paris. La seconde guerre mondiale éclate en 1939 et, incorporé dans l’armée de Terre, Olivier MESSIAEN est fait prisonnier par les allemands et envoyé au camp de Görlitz, en Silésie.
La première : une légende véridique
C’est dans ce camp, le 15 janvier 1941, que MESSIAEN donnera la première du Quatuor pour la fin du Temps, et voici le récit qu’il en fait : « Conçu et écrit pendant ma captivité, le Quatuor pour la fin du Temps fut donné en première audition au Stalag VIII A, le 15 janvier 1941. Ceci se passait à Görlitz, en Silésie, dans un froid atroce. Le Stalag était enseveli sous la neige. Nous étions trente mille prisonniers (Français pour la plupart, avec quelques Polonais et Belges). Les quatre instrumentistes jouaient sur des instruments cassés : le violoncelle d’Étienne PASQUIER n’avait que trois cordes, les touches de mon piano droit s’abaissaient et ne se relevaient plus. C’est sur ce piano, avec mes trois confrères musiciens, habillés de la plus étrange façon, moi-même étant vêtu d’un uniforme de soldat tchèque vert bouteille complètement déchiré et chaussé de gros sabots de bois permettant à peine la circulation du sang, que je jouai mon Quatuor pour la fin du Temps, devant un auditoire de cinq mille personnes où se trouvaient mêlées les classes les plus diverses de la société, des paysans, des ouvriers, des intellectuels, des militaires de carrière, des médecins, des prêtres et j’en passe. Jamais je n’ai été écouté avec autant d’attention et de compréhension ».
Si cette version de la première, rapportée maintes fois par Olivier MESSIAEN, comporte des éléments de vérité, il faut la nuancer par les témoignages qui nous sont parvenus des autres musiciens du quatuor et d’autres prisonniers présents lors de cette première : Étienne PASQUIER, le violoncelliste avait été accompagné par deux gardes, sur ordre du commandant du camp, chez un luthier de la ville voisine pour y acheter un violoncelle (ses compagnons de chambrée s’étaient cotisés pour lui en permettre l’acquisition). Celui-ci comportait bien ses quatre cordes -la pièce n’aurait, sinon, pu être interprétée selon Étienne PASQUIER. Malgré les protestations de Étienne PASQUIER, Olivier MESSIAEN maintiendra cette version du violoncelle à trois cordes, ce qui, en fin de compte, amusait PASQUIER. La salle du concert, sorte de Stalag aménagé en petit théâtre pouvait contenir un maximum de quatre-cent personnes. Quant aux sabots de bois, si leur usage n’est guère élégant, il était considéré par les prisonniers eux-mêmes comme un privilège de pouvoir en porter, car ils évitaient d’avoir les pieds gelés contrairement aux pauvres souliers qui leur étaient, en grande majorité, habituellement dévolus.
Néanmoins, et après un silence difficilement obtenu, ce public hétéroclite finit par faire silence et écoute avec une grande attention – et parfois une grande perplexité – le Quatuor intégralement : l’œuvre dure près d’une heure et il est vrai que peu de personnes dans le public sont familiarisées avec le concert classique et moins encore avec le répertoire contemporain.
Quand la dernière note du quatuor s’éteint, peu à peu les applaudissements envahissent le silence. Il subsiste des témoignages de cette première qui vont de la sidération à l’émerveillement. Car l’œuvre a ceci de particulier que, donnée et en grande partie composée aux heures noires de la vie du compositeur mais aussi de l’époque, le Quatuor pour la Fin du Temps est une œuvre marquée par un élan vital, une vigueur verticale qui contraste avec les circonstances terribles du lieu mais aussi avec les œuvres sombres composées à la même époque par CHOSTAKOVITCH, SCHOENBERG, HINDEMITH ou PENDERECKI.
Avant de passer à la composition elle-même, il est intéressant de se pencher sur les carrières convergentes en ce lieu des musiciens exceptionnels qui interprétèrent – et dans quelles conditions ! – cette première du Quatuor.
Les membres du quatuor
C’est pour un ensemble inusité que MESSIAEN compose son œuvre : violon, violoncelle, clarinette et piano. À part le Quatuor d’HINDEMITH, composé en 1938 et que ne connaît pas MESSIAEN, aucune pièce n’a eu recours à cette instrumentation. Les quatre acteurs de la création à Görlitz, le 15 janvier 1941, il y a quatre vingts ans, presque jour pour jour, étaient donc des soldats français prisonniers au Stalag VIIIA en Silésie, Pologne. Il s’agit de Jean LE BOULAIRE au violon, Étienne PASQUIER au violoncelle, Henri AKOKA à la clarinette et Olivier MESSIAEN au piano.
Jean LE BOULAIRE (1913-1999) prend ses premières leçons de violon à l’âge de 7 ans (le violon « dont les huit cent grammes de bois produisaient des sons merveilleux ») et à 14 ans il entre au Conservatoire de Paris. Il a entendu parler d’Olivier MESSIAEN mais les deux élèves ne s’y sont pas croisés. Il ne sera pas libéré en 1941, et ne donnera donc pas la première parisienne, en 1942, du Quatuor pour la fin du Temps, contrairement à MESSIAEN et PASQUIER (violoncelle). Il abandonnera la pratique du violon pour se tourner vers la carrière d’acteur où il sera connu sous le nom de Jean LANIER, estimant avoir trop souffert dans les camps et considérant qu’il n’avait pu, après le Quatuor, maintenir un niveau technique lui permettant de réintégrer la vie musicale à sa libération.Il ne pourra participer à la première parisienne en 1942 car il sera ensuite transféré au Stalag IX et y restera jusqu’en 1945. Il sera remplacé par Jean PASQUIER, frère d’Étienne, le violoncelliste du trio éponyme.
Étienne PASQUIER est né à Tours en 1905, il décède à Paris en 1999. Sa mère enseignait le piano et son père le violon. Enfant prodige, il commence le violoncelle à 5 ans, tandis que ses deux frères, Jean et Pierre, jouent respectivement du violon et du violon alto. Ils formeront le Trio PASQUIER, qui fera une carrière internationale à partir de 1927 et au-delà des années 50. Il sera au plus proche d’Olivier MESSIAEN dans la mise au point du Quatuor : bien que la partition du Quatuor pour la fin du Temps ne le mentionne pas, c’est lui qui a précisé sur cette partition tous les coups d’archet de l’œuvre. Il est fait prisonnier en même temps que Olivier MESSIAEN et transféré avec lui en Pologne, à Görlitz, au Stalag VIII A.
En même temps qu’eux est fait prisonnier Henri AKOKA qui sera le clarinettiste du quatuor. Henri AKOKA est né à Palikao en Algérie en 1912. Son père, trompettiste amateur, fait déménager toute la famille à Ponthierry dans l’espoir que ses enfants deviennent des musiciens professionnels. Henri est premier prix de clarinette du Conservatoire de Paris en 1935. En 1940, MESSIAEN, PASQUIER et AKOKA sont parqués dans un camp en plein air près de Nancy avant de partir pour la Pologne. C’est dans ce camp que MESSIAEN soumet à Henri AKOKA la partition d’une pièce pour clarinette solo intitulée Abîme des oiseaux. Cette pièce sera ensuite incorporée au Quatuor pour la fin du Temps. Henri AKOKA décédera des suites d’un cancer en 1972.
La technique et le travail sur le timbre d’Henri AKOKA seront déterminants pour MESSIAEN : il ne cessera dans les interprétations ultérieures d’y faire référence. PASQUIER reconnaît lui-même que l’interprétation d’Henri AKOKA, d’une grande difficulté, était exceptionnelle. Malheureusement, quand il sera libéré, Henri AKOKA devra se réfugier en zone libre, craignant les persécutions de la politique antisémite de Vichy, ce qui rendra impossible sa participation à la première parisienne du Quatuor en 1942. C’est André VACELLIER qui reprendra son pupitre en cette occasion.
Olivier MESSIAEN est le pianiste et le compositeur du quatuor. Né en 1908 à Avignon et mort à Clichy en 1992 MESSIAEN grandit entre un père professeur d’anglais qui lui transmet l’amour de SHAKESPEARE, et une mère poétesse dont les œuvres le marquent profondément. La première guerre mondiale le conduit à devenir un catholique fervent. MESSIAEN prend ses premières leçons de piano après une approche d’autodidacte et est très tôt influencé par DEBUSSY (Pelléas et Mélisande) et RAVEL (Gaspard de la Nuit). Parallèlement il développe un goût intense pour l’ornithologie et, à quinze ans, il sait noter et identifier le chant d’une cinquantaine d’oiseaux : cette passion aura une influence déterminante dans sa technique de composition. À trente ans, il obtient, en fin d’un cursus déjà bien récompensé, un premier prix de composition du Conservatoire de Paris de la classe de Paul DUKAS. Il acquiert également pendant toutes ces années une connaissance approfondie des textes catholiques. L’Apocalypse de Jean constitue la source d’inspiration majeure de son Quatuor pour la fin du Temps.
Propos de l’œuvre
Lors du 15 janvier 1941, Olivier MESSIAEN présente son œuvre au public en ces termes (il réitérera le procédé lors de la première à Paris en 1942), avec pour conséquence un étonnement, voire une agacement ou une certaine incompréhension du public. « Je leur ai d’abord dit que ce quatuor était écrit pour la fin du temps, sans jeu de mots avec leur temps de captivité, mais pour la fin des notions de passé et d’avenir, c’est-à-dire pour le commencement de l’éternité, et que cette œuvre s’appuyait sur ce magnifique texte de l’Apocalypse ou saint Jean raconte : « Et je vis un autre Ange puissant descendant du ciel, revêtu d’une nuée, et l’arc-en-ciel sur sa tête . Son visage était comme le soleil et ses pieds comme des colonnes de feu. […] Il posa son pied droit sur la mer et le gauche sur la terre, il leva sa main vers le ciel, et jura par Celui qui vit dans les siècles des siècles, disant « Il n’y aura plus de temps ».
Dans un article publié dans le Figaro en 1942 par Marcel HAEDRICH, ce prisonnier présent lors de cette présentation dit « Comme il semble loin, soudain, le camarade de chaque jour, différent de lui-même, à l’aise dans un monde où il sera difficile de le suivre. On le reconnaît à peine : lui, si effacé, presque timide, il fait montre maintenant d’une singulière assurance. Plein de son œuvre, il voudrait partager avec tous la joie qu’il éprouve, à pouvoir, ce soir, la recréer au camp… Les visages sont anxieux : où veut-il en venir ? Nous l’écoutons avec une certaine méfiance quand, donnant quelques explications sur l’origine de son Quatuor il dit : « des modes réalisent mélodiquement et harmoniquement une sorte d’ubiquité tonale et doivent rapprocher l’auditeur de l’éternité dans l’espace ou l’infini ? Des rythmes spéciaux, hors de toute mesure, contribuent puissamment à bannir la temporalité ».
On le voit ici : le propos de MESSIAEN n’est certes pas celui d’un positionnement militant. Cette pièce n’illustre pas une hypothétique prophétie annonçant « la fin des temps », et ne se veut pas non plus porteuse d’une espérance combative de liberté. Et pourtant, par son émergence en des circonstances si difficiles, le Quatuor pour la fin du Temps apparaît comme une libération par l’esprit et la créativité, par l’enchantement sonore aussi, du contexte mortifère du temps (la guerre, l’antisémitisme) et du lieu (l’Europe à feu et à sang, le camp et ses privations, la liberté interdite).
Cependant, la fin du Temps est bien ici une préoccupation esthétique et spirituelle majeure de MESSIAEN. Et pour le comprendre il faut tenir compte de ses préoccupations rythmiques (il a une connaissance profonde des rythmes grecs et des métriques indiennes – les talas – et le Quatuor est écrit sans aucune barre de mesure ni indication chiffrée de la mesure), mélodiques (sa technique d’écriture modale – mais avec des modes spécifiques – introduit des couleurs nouvelles dans la musique) et harmoniques (l’utilisation contrapuntique des modes conduit MESSIAEN à émanciper sa musique du contexte purement tonal sans basculer dans l’atonalité mais génère au contraire une forme de polytonalité, sorte de troisième voie). Abolir le temps n’est pas basculer dans l’imprécision rythmique pour MESSIAEN, bien au contraire. Ses amis musiciens disaient combien il était déstabilisant de lire une partition d’une heure sans indication de mesure mais avec un comptage des temps à la double-croche ne souffrant aucun rubato (effet de ralenti que détestait MESSIAEN). La fin du Temps est ici un étirement ou une compression appliquée à la texture sonore, car chez MESSIAEN le timbre de l’instrument est de première importance.
À ces particularités « structurelles » s’ajoute celle-ci : pour MESSIAEN, la haute virtuosité du chant des oiseaux est un modèle et, qui plus est, un modèle inaccessible. On reconnaîtra des « citations » de chants de rossignol et de merle dans Abîme des oiseaux mais, s’ils nous sont aisément identifiables, MESSIAEN reconnaît que pour être transposés à la clarinette, ces chants d’oiseaux doivent être ralentis et baissés d’une ou deux octaves. Et enfin, chez MESSIAEN, à chaque son correspond une couleur, l’œuvre sonore jouant alors le rôle d’un rayon de lumière traversant un vitrail et projetant un kaléidoscope sur le dallage d’une cathédrale.
Voici ce que dit MESSIAEN à ce sujet quant à certains de ses modes à transpositions limitées : « Le mode 2 est transposable trois fois. Pour moi, le mode 2 numéro un se définit ainsi : rochers bleu-violet, parsemés de petits cubes gris, bleu de cobalt, bleu de Prusse foncé, avec quelques reflets pourpres violacés, or, rouge, rubis, et des étoiles mauves, noires, blanches. La dominante est est bleu-violet ». Le même mode, dans sa deuxième transposition, est totalement différent : spirales d’or et d’argent, sur fond de bandes verticales brunes et rouge rubis. Dominante : or et brun. Et voici la troisième transposition : Feuillage vert clair et vert prairie, avec des taches de bleu, d’argent et d’orangé rougeâtre. Dominante : verte. »
Toutes ces notions (rythme, timbres, couleurs, polytonalité, modes) font partie des matériaux spécifiques de MESSIAEN et auront un rôle déterminant dans sa pédagogie. En tant que professeur de composition, il aura sous son aile Pierre BOULEZ ou Iannis XENAKIS par exemple.
Les mouvements du Quatuor
Le Quatuor pour la fin du Temps est composé de huit mouvements et le choix de ce nombre est aussi signifiant : sept est le chiffre de la perfection, et l’ajout d’un huitième mouvement suscite une émancipation du temps autrement dit l’entrée dans l’éternité. Au sein de ces sept mouvements qui précèdent la Louange à l’Immortalité de Jésus, le mouvement final, l’auditeur est conduit au travers d’un voyage dans le temps musical où celui-ci est tantôt étiré, tantôt compressé, en usant de durées complexes, irrégulières visant à émanciper la structure et les timbres d’un carcan temporel conventionnel. Au terme de ce voyage l’auditeur se trouve « conduit » dans cette dimension « au-delà du Temps » chère à MESSIAEN. Outre l’annonce « messianique » que fait le compositeur de son œuvre, chacun des mouvements qui compose l’œuvre est précédé d’une présentation qui fut donnée à Görlitz en 1941 et à Paris en 1942 : cette présentation figure entre guillemets sous le titre de ces mouvements.
I. Liturgie de cristal
« Entre trois et quatre heures du matin, le réveil des oiseaux : un merle ou un rossignol soliste improvise, entouré de poussières sonores, d’un halo de trilles perdus très haut dans les arbres. Transposez cela sur le plan religieux, vous aurez le silence harmonieux du ciel. »
Le chant est joué par la clarinette, dans un environnement sonore en partie indépendante des trois autres instruments (violon, violoncelle et piano). La clarinette imite un merle, tandis que le violon reprend le chant d’un rossignol.
II. Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du temps
« Les première et troisième parties (très courtes) évoquent la puissance de cet Ange fort, coiffé d’arc-en-ciel et revêtu de nuée, qui pose un pied sur la mer et un pied sur la terre. Le “milieu”, ce sont les harmonies impalpables du ciel. Au piano, cascades douces d’accords bleu-orange, entourant de leur carillon lointain la mélopée quasi plain-chantesque des violon et violoncelle. »
Ce mouvement est joué par le quatuor au complet cependant la clarinette n’intervient qu’au début et à la fin. Ce mouvement, du moins dans sa partie centrale pour les trois autres instruments, déploie des harmonies originales d’accords successifs.
III. Abîme des oiseaux
« L’abîme, c’est le Temps, avec ses tristesses, ses lassitudes. Les oiseaux, c’est le contraire du Temps ; c’est notre désir de lumière, d’étoiles, d’arcs-en-ciel et de jubilantes vocalises ! »
Abîme des oiseaux, d’une grande difficulté technique, est joué par la clarinette en solo.
IV. Intermède
Ce mouvement, un « scherzo de caractère plus extérieur que les autres mouvements », réunit le violon, le violoncelle et la clarinette. On y retrouve des articulations plus académiques et des modulations par quintes.
V. Louange à l’Éternité de Jésus
« Jésus est ici considéré en tant que Verbe. Une grande phrase, infiniment lente, du violoncelle, magnifie avec amour et révérence l’éternité de ce Verbe puissant et doux […] Majestueusement, la mélodie s’étale, en une sorte de lointain tendre et souverain. »
Ce mouvement très lent réunit le violoncelle et le piano dans un chant infiniment lent, extatique au violoncelle, souligné par des accords répétés au piano. Sur certaines harmonies on peut sentir un système quasi tonal. Ce mouvement est un arrangement d’une pièce antérieure, Oraison, extraite de Fête des belles eaux pour six Ondes Martenot, œuvre qui fut créée pour l’Exposition universelle de 1937.
VI. Danse de la fureur, pour les sept trompettes
« Les quatre instruments à l’unisson affectent des allures de gongs et trompettes […] Musique de pierre, formidable granit sonore ; irrésistible mouvement d’acier, d’énormes blocs de fureur pourpre, d’ivresse glacée. »
Le quatuor joue à l’unisson un mouvement d’une grande exigence rythmique. Seul ce mouvement fait allusion, dans toute l’œuvre, à l’aspect apocalyptique du Jugement dernier. Ce mouvement s’achève sur un quadruple fortissimo très saisissant.
VII. Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du temps
Ce mouvement joué par l’ensemble du quatuor fait écho au deuxième (Vocalise, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps) : sa construction est identique.
VIII. Louange à l’Immortalité de Jésus
« Cette deuxième louange s’adresse plus spécialement au second aspect de Jésus, à Jésus-Homme, au Verbe fait chair, ressuscité immortel pour nous communiquer sa vie. Elle est tout amour. Sa lente montée vers l’extrême aigu, c’est l’ascension de l’homme vers son Dieu, de l’enfant de Dieu vers son Père, de la créature divinisée vers le Paradis. »
La Louange à l’Immortalité de Jésus est symétrique du cinquième mouvement (Louange à l’Éternité de Jésus) le violon y tient le rôle de soliste accompagné par le piano. Ce final est la transcription d’un des mouvements du Diptyque pour orgue de 1930.
Une belle version donnée ici en public en 2016 au Festival de Solsberg :
MESSIAEN: Quatuor pour la fin du temps / Weithaas, Gabetta, Meyer, Chamayou
Quelques références d’enregistrements :
https://boutique.harmoniamundi.com/release/186909
https://boutique.harmoniamundi.com/release/187737-
pascal-moragus-and-trio-wanderer-MESSIAEN-quatuorpour-
Article réalisé par Philippe Perrichon
et dédié à MM Karl-Albert Brüll et Abraham Akoka
Merci Stéphane, oui tout comme vous je trouve cette pièce magistrale.
Merci pour ce bel article, qui précise les circonstances dans lesquelles est née cette oeuvre magistrale.