Paolo ANGELI – S’Û
(ReR Megacorp / Orkhêstra)
Une consonne, une apostrophe et une voyelle surmontée d’un accent circonflexe : le titre du nouvel album de Paolo ANGELI se prononce-t-il vraiment avec facilité ? En tout cas, il interroge, tout comme l’œuvre qu’il contient posera question à ceux qui pensaient avoir affaire à une musique rectiligne et quadrillée. Comment pourrait-il en être ainsi, dès lors que l’instrument conçu par Paolo ANGELI, la guitare sarde préparée, est par nature hybride, tant dans son allure que dans sa gamme sonore ?
Bardée de 18 cordes, de chevalets, de pédales, d’hélices, de bourdons, de choses et de machins, cette guitare a les dimensions d’un violoncelle, qu’elle peut imiter aussi bien qu’une guitare électrique, et peut en plus servir de percussion. C’est un orchestre à elle seule, et on aura beau chercher la présence de musiciens additionnels dans les crédits du CD, on n’en trouvera pas ; pour la bonne raison que tous les sons que l’on y entend proviennent de ce seul instrument, animé par les mains (et les pieds) d’un seul artiste, Paolo ANGELI.
Au-delà de la curiosité visuelle qui fait le sel des performances scéniques de ce dernier, il y a l’extrême qualité musicale de sa démarche, qui va bien au-delà de l’esbroufe virtuose. Un disque solo de Paolo ANGELI ne s’écoute pas comme une performance athlétique, mais bien comme un recueil de poésie sonore, aussi raffinée que rugueuse, subtile et mouvante, mélodique ou dissonante, purement soliste ou polyphonique. C’est une musique qui comporte plusieurs couches et qui se déploie dans moult directions, du folk au jazz en passant par le free, le contemporain, le traditionnel, sans pour autant donner l’impression d’un patchwork.
Tout ici fait montre d’une cohérence exceptionnelle. Paolo ANGELI ne prétend pas « fusionner » des influences multiples, il les laisse cohabiter et les enchaîne, parfois par progressions harmoniques, parfois par cassures, mais chaque détour ou volte-face fait partie d’un récit qui fait sens, évoquant BEEFHEART ou John FAHEY par ici, saluant Paco De LUCIA par là, croisant Fred FRITH au détour, s’offrant des rasades de flamenco ou des tranches de Sardaigne natale, ou toutes autres épices méditerranéennes…
Paolo ANGELI n’a pas choisi de verser dans un style, il a créé un style, a peaufiné une vision unique dans laquelle diverses sources d’inspiration s’entrechoquent et alimentent un processus créatif parfaitement maîtrisé. La preuve en est que S’Û est au moins son cinquième album solo (en plus de ses collaborations en duo, trio, etc.) et qu’il réussit encore à se renouveler, à proposer d’autres angles d’écoutes, des approches obliques. Chacun de ses disques solo représente une étape dans son processus créatif comme un regard sur le monde.
Les douze pièces qui composent S’Û (plus la pièce « bonus ») sont comme les chapitres (enchaînés) d’un récit qui se lit d’une traite ; il est impossible de s’arrêter en chemin, sous peine d’y perdre en émerveillement et en projection poétique.
À l’instar des différentes couches de peinture écaillées d’un bateau qui ornent les volets de ce digipack, la musique de Paolo ANGELI recèle des textures variées qui ont chacune leur histoire, sont autant de marques des mouvements du temps, comme les rides d’un corps disent la propension d’une âme à vivre l’aventure humaine dans maints espaces et autant d’époques, dans les intempéries comme dans les intervalles, dans les pressions et dans les relâches, dans les flux et dans les détours, dans les éclats et dans les replis…
Stéphane Fougère
Site : www.paoloangeli.com
Label : www.rermegacorp.com
Distributeur : www.orkhestra.fr