Peter BLEGVAD – Hangman’s Hill

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Peter BLEGVAD – Hangman’s Hill
(ReR Megacorp/Orkhêstra)

Souvent cité dans la mouvance avant-progressive en tant que membre – même éphémère – du groupe de référence HENRY COW (et même passé chez FAUST), le compositeur, chanteur et guitariste d’origine new-yorkaise Peter BLEGVAD n’est pas exactement une figure de proue des musiques extrémistes et expérimentales, comme pourrait le faire penser sa présence sur le label ReR Megacorp ; et le fait que son trio soit précisément composé de deux anciens membres de HENRY COW, John GREAVES et Chris CUTLER, n’est qu’un trompe-l’oreille.

En fait, ses deux albums précédemment parus sur ReR Megacorp, Downtime et Just Woke Up, sont indubitablement ce que ce label a sorti de plus « mainstream ». Aussi, on ne voit pas pourquoi ce troisième album du Peter BLEGVAD TRIO devrait faire exception. Peter BLEGVAD y a casé treize nouvelles chansons de tendance blues-rock-country-pop, avec des racines américaines évidentes, et il n’y a là-dedans rien d’inaccessible. Si certains pensent qu’un tel « laissez-aller » musical mérite la potence, Peter BLEGVAD leur répond en intitulant justement cet album Hangman’s Hill, soit la « colline du pendu ». C’est dire s’il accepte son sort avec un sens philosophique qui fleure subrepticement la pataphysique.

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Hangman’s Hill est donc un recueil de chansons simples, directes, je veux dire sans tirades homérico-prétentieuses, sans triturages sonores et sans ponts instrumentaux étirés dans le sens d’un « m’as-tu-entendu » ultra-technique. Anti-prog et anti-expérimental, quoi ! Mais compte tenu des participants, il ne faut pas s’attendre non plus à du produit marketing léché et manufacturé aux contours rognés en fonction d’un passage en radio. En dépit de leur réputation d’activistes avant-gardistes, Chris CUTLER et John GREAVES égrènent un large panel d’idées harmoniques et mélodiques qui exhibent les chairs, les entrailles des chansons de BLEGVAD, et non seulement leur surface, ce qui fait toute la différence avec une production « tout-terrain ».

Ajoutez-y les contributions, ici et là, d’autres guitaristes (BJ COLE aux guitares pedal et lap-steel, Chris STAMEY et Bob DRAKE – ce dernier assurant aussi percussions et voix), ainsi que les interventions de Geraint WATKINS aux claviers et Kristoffer BLEGVAD à la voix, et vous comprendrez que Peter BLEGVAD a le sens et le souci du détail, du ton, de la couleur à donner à chacune de ses chansons. Et c’est pourquoi il s’entoure de gens dont l’expérience dans des domaines éventuellement plus radicaux les autorise à livrer des arrangements qui se démarquent indubitablement de ce qu’on entend généralement sur les radios généralistes.

Car les chansons de BLEGVAD, interprétées avec ce timbre quelque peu nasillard, réminiscent d’Elvis COSTELLO ou de Bob DYLAN, ont chacune ce « je-ne-sais-quoi » qui les rend allergiques au statut « middle of the road ». Elles font montre d’un caractère à la fois insolent et séduisant, précisément parce qu’elles lorgnent vers la marge, l’a-côté, plutôt que vers la normalisation linéaire. Elles affichent une mélancolie élégante, un désabusement alcyonien, une rugosité sémillante, une malice contemplative…

Vous connaissez beaucoup de chansons qui vous parlent de quitter vos corps pour voyager astralement, de vous mettre à quatre pattes, d’observer un chien qui se roule dans la crasse, de vous scarifier pour la vie par amour, de passer par-dessus bord, de guetter le merveilleux dans le quotidien, des peintures de Magritte, d’une fiancée de feu, ou encore de vivre dans un monde où il y aurait une chanson, une seule, qui tournerait inlassablement en boucle jusqu’à vous rendre malade ? Sans parler de cette tirade philosophique qui vous assure, sur une mélodie très dansante, qu’on ne devient adulte qu’après avoir connu le chagrin d’une perte, ou encore de cette question hautement existentielle assénée dans la chanson éponyme à l’album : « Comment veux-tu que je t’embrasse si tu n’arrêtes pas de bouger ? »

C’est du BLEGVAD ; forcément, ça ne rentre pas dans les clous ! Mais ça fait un bien fou.

À noter que ce disque comprend deux morceaux en commun (Let’s Travel Light, Scarred for Life) avec l’album de reformation de SLAPP HAPPY, Ça va, paru la même année que Hangman’s Hill, dans des versions évidemment très différentes. De même, on avait déjà eu droit à une version de The Only Song dans l’album Unearthed de BLEGVAD et GREAVES (1194), et quand bien même elle n’est plus « only », on la retrouve en clôture de cet album, et elle remplit bien son office de supplice chinois au sourire en coin. C’est sûr, on en a pendus pour moins que ça !

Stéphane Fougère

Label : www.rermegacorp.com

Distributeur : www.orkhestra.fr

(Nouvelle version dûment remaniée de la chronique
publiée dans TRAVERSES n°3 – janvier 1999)

 

 

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