Peter HAMMILL – Thin Air

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Peter HAMMILL – Thin Air
(FIE! Records / Musea)

« The Air is Thin, the Air is Thin  (l’air se raréfie, l’air se raréfie) » marmonne le « Thin Man », dont les ballades prennent sur ce nouvel album un ton uniformément ombrageux, brumeux… annonciateur d’un orage qui ne viendra jamais.

Les premières écoutes déconcerteront à coup sûr : pas d’éclat, pas d’explosion lyrique, pas de cri de bête blessée… La fougue hammillienne a cédé la place à une aigreur réflexive, une violence contenue. La mélodie semble à plusieurs endroits se déliter, refusant d’être accrochée trop rapidement par l’oreille. Le chant lui-même paraît plus retenu, et s’efface même pour privilégier le parlé, donnant plutôt la sensation d’écouter une suite de palabres philosophiques exsangues, atones, enveloppés (ou étouffés ?) par une belle plâtrée de couches soniques où la guitare basse se fait pesante, les guitares acoustiques se font rêches et les guitares électriques acides et grinçantes.

Peter HAMMILL poursuit ici son travail d’enrobage « ambient » mis en évidence sur le très climatique The Light Continent (cf. l’album This), sauf que la « lumière » est ici sérieusement voilée, dissimulée. C’est donc dit : la révélation se fera dans l’opacité. Et c’est à l’auditeur d’aligner ses dispositions d’écoute en circonstance, sous peine de passer trois sales quarts d’heure.

Et comme toujours, on retrouve ces masses « backing-vocales » qui mêle le murmure et la rage rentrée si typiquement hammilliens. Le piano est cette fois en retrait. Mais quand Peter en joue (sur Undone et Top of the World Club), le climat se décante, les arrangements se dépouillent de ses enclumes élaborées que HAMMILL s’est fait un point d’honneur d’assurer une fois de plus tout seul.

Non que le ton soit plus printanier sur ces pièces pianistiques – loin de là, vous pensez ! – mais l’expression émotionnelle retrouve alors ce « liant », cette fluidité instinctive qui, par-delà les hachures et les ruptures de l’écriture hammillienne, rendent les performances scéniques de l’artiste plus immédiatement prenantes. Mais Thin Air est d’abord un travail de studio, ce qui signifie de plus en plus chez son auteur un isolement artistique certes volontaire mais qui ne manque pas d’interroger…

Ça tombe bien, Peter HAMMILL lui aussi s’interroge : l’effondrement des certitudes, des systèmes de pensées, l’éphémérité de l’existence, assumer ce qui a été fait, ce qui s’est passé, et se préparer à ce qui suivra, tout en sachant que nos présomptions ne sauraient nous garantir l’assurance de maîtriser ce qui est de nature forcément inconnue.

C’est tout cela que raconte Thin Air, avec ses hauts et ses bas, avec en point de mire symbolique la disparition des deux tours du World Trade Center dans ces deux pièces thématiquement jumelées que sont Ghosts of Planes et Top of the World Club, deux grands moments de cet album, au rang desquels il faut aussi compter The Mercy et l’instrumental Wrong Way Round, à la violence plus nue mais à la durée trop courte.

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La force de Thin Air tient précisément à sa cohésion climatique et thématique, même si elle peut paraître de prime abord rebutante ; en cela, cet album se distingue de son prédécesseur, Singularity, aux tonalités plus éclectiques. Il n’en est pas pour autant un disque-concept à la Incoherence, mais il baigne de bout en bout dans cet horizon trouble où l’assombrissement – plutôt que la clarté – devient aveuglant, avec le risque pour l’auditeur même aguerri à la plantureuse discographie hammillienne de trouver cet opus paradoxalement trop statique ou lisse en dépit de ses textures venimeuses et dissonantes.

Il faudra sans doute à cet auditeur réapprendre le goût de la méditation âpre et désabusée pour capter l’essence de cet espace volatile couvert de grisâtres nuages. That Which Passes, Passes like Clouds…

Site : www.peterhammill.com

Label : www.sofasound.com

Stéphane Fougère

(Chronique originale publiée dans
TRAVERSES n°26 – août 2009)

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