Philippe CAUVIN – Frôlements
(Musea)
Des 6 CD constituant la collection « 1978-2015″ des archives de l' »extra-guitaristerrestre » Philippe CAUVIN, celui-ci, qui porte la lettre V de son nom, est le seul qui ne soit pas axé sur une période précise. Au risque de briser la continuité thématique des précédents volumes, ces Frôlements sont formés de captations éparses puisant à diverses sources étalées de 1978 à 1994.
À l’homogénéité thématique et chronologique des autres volumes de la collection, ces Frôlements imposent un hétérogénéité de temps et d’espace qui pourrait le faire passer pour une compilation de bric et de broc, de choses et de machins raclés au petit bonheur… mais pour notre plus grand bonheur ! Car quand on connaît l’intégrité artistique de Philippe CAUVIN, on sait que même des archives retrouvées dans le double fond du quatrième tiroir de la commode endormie à fond de cale du second sous-sol du manoir familial abandonné pendant moult années peuvent receler des trésors pour l’oreille avide d’évasion intense.
Mais à l’écoute de ce volume, cette impression de compilation hétéroclite s’estompe bien vite pour laisser la place à une sensation (forte) d’opus cohérent et profond au-delà de la disparité du matériau rassemblé. Oui, il y a des pièces solistes de guitare classique, toutes en épure et sobriété, qui voisinent avec des compositions élaborées en (bonne) compagnie, notamment celle du fidèle claviériste Serge KORJANEVSKI, lequel fait flotter les pérégrinations à cordes du sieur CAUVIN dans des dimensions liquides ou venteuses (Approche, À distance…) .
Oui, il y a des soli, des duos, des trios, des quartettes, mais aucun ne brise la chaîne… ou plutôt le déchaînement d’inspiration de Philippe CAUVIN, qui semble cueillir les éblouissements comme d’autres les baies sauvages… Arrangées ou dépouillées, ces perles de lumière et de méditation joviale vont dans le même sens et peignent des panoramas complémentaires.
Oui, il y a des instrumentaux et des chants, et même des chansons, mais qui cohabitent en bonne intelligence parce qu’animés par le même élan de spontanéité surréelle. Le plus souvent c’est Philippe qui chante, parfois en « impro-texte » (Tranche de vie, comme une coda au projet Des mots sur des notes mais affranchie des programmations), mais une autre voix peut aussi se faire entendre, comme celle de Françoise BLEUSE sur cette reprise « acoustiquée » d’un morceau que l’on a auparavant connu dans le répertoire du groupe UPPSALA, Coste et Jukka (hommage à deux guitaristes suédois bien connus des amateurs de musiques progressives…).
Oui, il y a la fois des captations de studio qui alternent avec des prises live, mais que leur état de conservation et leur restauration font confondre avec malice. C’est après tout le même souffle qui leur donne vie. Et subrepticement, des « enregistrements de terrain » émergent, des bouts de vie « off » se mettent en mode « on » : on entend des rires légers et pudiques, ou encore le fiston Thibault qui s’essaye à l’harmonica et au chant, papa ayant laissé le magnéto allumé… Autant de Tranche(s) de vie qui s’immiscent entre des Mélopées langoureuses, une Sérénade chimérique et une Ballade nébuleuse...
Oui, il y a, en majeure partie, des inédits, et il y a également des pièces déjà connues (comme la déjà citée Coste & Jukka), mais autrement habillées (ou déshabillées), dévoilant des volumes, des amplitudes inouïes jusqu’à présent. La première pièce, Vertiges, se trouvait (sous une autre forme donc) dans l’album Climage.
La dernière pièce, Éclat d’automne, est une variation sur la pièce maîtresse du disque Memento, Automne. L’une ouvre, l’autre ferme la tranche de temps (ou l’Arc du temps) explorée par ce CD, agissant comme un miroir et révélant comme un envers, un non-dit du parcours discographique soliste de CAUVIN qui va de Climage à Memento, tout en préfigurant déjà la musique que joue Philippe aujourd’hui, consignée dans Voie nacrée et son double, Nu (premier volume de cette collection d’archives).
Alors certes, en apparence, le contenu de Frôlements est un vrai bazar, ou plutôt une foire du trône aux attractions toutes plus fascinantes les unes que les autres, ordonnées et agencées de manière à faire sens. Ces Frôlements touchent du doigt des univers, des configurations, des contextes que Philippe CAUVIN a tout juste eu le temps d’esquisser. Fort heureusement, il les a captés et conservés, et leur assemblage donne naissance à un « Young Person’s Guide » qui apporte une image fort complète et passionnante des différentes facettes de l’onirisme « cauvinal », ce rêve en marche qui nous enjoint à l’éveil des sens…
« Tranchons-en : le merveilleux est toujours beau, n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau. » Cette fameuse allégation d’André BRETON a trouvé avec cet opus sa plus parfaite illustration.
Label : www.musearecords.com
Stéphane Fougère