PIXVAE – Pixvae
(Grolektif Productions / Buda Musique / Socadisc – Bongo Joe)
Se prélasser sous l’ombre suave et rafraîchissante d’un pixvae, nom d’un palmier-pêche hybride aux racines noueuses, sur une côte andine du Pacifique Sud, ça vous dirait ? Ça tombe bien, voilà un groupe qui a pris PIXVAE pour patronyme, ça doit être cool à entendre en fond sonore… Bam ! la baffe ! Non, PIXVAE tient plus de l’uppercut que de la caresse. Une main de fer dans un gant de velours ? Surtout une fusion impensable qui se paye le luxe de marier des percussions acoustiques et des voix claires et radiantes tout droit issues de la tradition afro-colombienne avec des sons et des rythmes rock et jazz tranchants et radicaux. Osiez-vous rêver d’un projet beau comme la rencontre, sur une table de dissection… pardon, de mixage, du currulao fluvial et forestier de Colombie et du jazzcore plombé et grinçant de notre Hexagone ? PIXVAE l’a fait, avec une audace aussi risquée que payante.
À l’instar d’un uKanDanZ vis-à-vis des musiques urbaines éthiopiennes, PIXVAE élabore une musique « crunchy » aux rythmes croisés (hé, hé) entre deux mondes que l’on ne soupçonnait pas pouvoir se rencontrer (d’où l’intérêt !). D’un côté un anthropologue, spécialiste des musiques colombiennes, « bombero » et chanteur, Jaime SALAZAR, et deux « cantadoras », ou chanteuses au timbre éclatant et saillant, Alejandra CHARRY et Margaux DELATOUR, tous trois membres du groupe acoustique franco-colombien NILAMAYÉ. De l’autre côté, le saxophoniste baryton et claviériste Romain DUGELAY, le guitariste électrique Damien CLUZEL et le batteur Léo DUMONT, piliers du power-trio lyonnais KOUMA, auteur de deux exactions discographiques qui ont dû faire subir à vos voisins leurs pires cauchemars.
C’est un intérêt commun pour les poly-rythmes chaloupant entre mesures binaires et ternaires qui a permis à ces deux parties d’élaborer une entité réellement fusionnelle entre le currulao et le jazzcore, et non une hasardeuse juxtaposition, et ce grâce aux pertinents arrangements goupillés par Romain DUGELAY. D’entrée de jeu, La Fuga explicite de quoi il retourne : deux voix féminines à l’unisson, entament en espagnol une mélodie entêtante, au refrain récurrent extatique, ne semblant aucunement incommodées par le barouf environnant que génèrent les riffs de sax baryton, les phrasés de guitare en boucle, et une assise rythmique joyeusement disloquée.
L’auditeur est bien vite saisi d’une transe qui ne le quittera plus. Este niňo quiere / Monte en el reloj poursuit sur un même registre hypnotisant, assenant au passage quelques hachures rythmiques déstabilisantes. Le feu est constamment mis aux poudres sur La Luna està floreciendo, El Curruco et Garcita morena. Et au chapitre des bouillonnements progressifs, ménageant détours et ruptures, Lancherito s’impose comme un modèle du genre.
Face aux couches hypno-métalliques du sax baryton, de la guitare, des claviers et de la batterie, Jaime SALAZAR frappe son grand tambour (bombo arrullador), ses cununos (petits tambours coniques) et agite ses maracas avec constance et fermeté, et monte aussi au créneau côté chant sur certains morceaux. Les chanteuses alternent chant choral et chant en réponses, agitant imperturbablement des hochets (guasà), sans craindre les entreprises de déstabilisation des Lyonnais sauvages.
PIXVAE se réapproprie également des chants à caractère plus religieux, auxquels il fait subir un traitement tout aussi pervers, conférant une solennité trouble au chant de prière La Plegaria ou allant jusqu’à métamorphoser ce qui était à l’origine une berceuse en une complainte cérémonielle aigre et ténébreuse, El Nazareno.
PIXVAE joue à plein l’ambiguïté culturelle et environnementale : les femmes chantent avec éclat et aplomb des histoires d’une vie rurale antédiluvienne ponctuée de célébrations joyeuses, tandis que les gars plantent à coups de pioche un décor sonore de contemporanéité urbaine heurtée et saturée.
Entre les masses sonores en acier trempé, les blocs rythmiques chavirés et les voix aussi radieuses qu’intraitables, l’entrechoc joue à plein, moins conflictuel qu’orgiaque. Cuisinant dans un même pot extase chaloupée et secousse électrisante, PIXVAE ne fait pas de quartier mais s’avère diablement addictif et ouvre de réjouissantes perspectives en matière de dialogues entre cultures, loin des mots d’ordre naïfs et consensuels. La « world music in opposition » existe, PIXVAE en est l’un de ses enfants terribles.
Stéphane Fougère
Site : www.pixvae.com
Labels :
Pour la version CD : www.budamusique.com
Pour la version LP : http://www.bongojoe.ch/label