Sainkho NAMTCHYLAK – Who Stole The Sky ?
(Ponderosa)
La culture musicale touvaine étant en soi un objet de curiosité suffisamment singulier pour le public occidental, Sainkho NAMTCHYLAK, aurait pu, à l’instar de plusieurs de ses compatriotes musiciens et chanteurs, se contenter d’en faire valoir les composantes traditionnelles pour se faire un nid douillet dans la jungle de la world music.
Mais, polymorphe et imprévisible, SAINKHO semble être plutôt devenue un objet d’appréciations dubitatives de la part de ses concitoyens, là où les Occidentaux sont trop heureux de voir en elle « l’ambassadrice culturelle de la République de Touva » sans trop se poser de questions et sans même trop écouter ce qu’elle fait. Il va quand même bien falloir se rendre un jour à l’évidence que SAINKHO est bien plus qu’un faire-valoir folklorique. Ses années d’expériences musicales avec plusieurs personnalités de la musique improvisée suffisent à faire d’elle une artiste irréductible aux codes stylistiques du folk, du trad’ ou de la world music, plus préoccupée de partage et de découverte des autres mondes musicaux et soucieuse d’enrichir sa palette de facultés vocales au-delà des caractéristiques culturelles de son pays (en l’occurrence les techniques de chant diphonique).
De la même façon, SAINKHO a ces dernières années inversé ce processus d’irréductibilité par rapport à son statut d’improvisatrice hors pair et s’est lancée à l’assaut du créneau et du public plus friand de world-fusion. Cette tendance a été entérinée en 2000 par la sortie de l’album Stepmother City. Elle est aujourd’hui poursuivie avec Who Stole The Sky ?, qui propose une dizaine de chansons (en majorité des compositions) à l’habillage ethno-électro-pop ouvrant la voie d’un folklore urbanisé et métissé délicieusement excentrique.
Claviers et programmations électroniques se partagent le terrain avec maints instruments acoustiques provenant de divers continents, comme la kora, le saxophone, la trompe tibétaine, le bendir, l’ueillean pipes, le piano, la ghaita (clarinette), la flûte, le cornet et, tant qu’à faire, le chant harmonique.
Avec son look de « Brigitte FONTAINE de la world », Sainkho NAMTCHYLAK y affirme sa volonté d’être appréciée comme une citoyenne du monde moderne et du nouveau siècle, c’est-à-dire vivant à l’ère multimédiatique, usant des possibilités d’expression des technologies actuelles sans jamais perdre de vue son héritage ancestral, mais vivant aussi à l’heure des musiques du monde et de leurs inépuisables puits de découvertes instrumentales.
L’album est dédié à tous les férus de l’ordinateur et à tous les internautes de Touva, les chansons de SAINKHO, interprétées en touvain, en russe ou en anglais, prenant la forme d’e-mails musicaux qui traduisent une quête de connaissance et de spiritualité dans un univers d’agitations virtuelles et de mutations digitales. SAINKHO se fait ainsi la voix d’un cyber-chamanisme aux contours mouvants.
Et comme on ne se refait pas comme ça, la rigidité du format pop est dans certains cas quelque peu assouplie pour permettre de faire souffler les vents de l’improvisation. À ce sujet, la fin du disque réserve quelques surprises, avec notamment une improvisation non titrée sur laquelle Sainkho NAMTCHYLAK musarde avec le pianiste transalpin Stefano BOLLANI (auteur d’un peu orthodoxe album solo sur Label Bleu). Chassez le naturel, il revient au galop d’un cheval dans les steppes…
Stéphane Fougère
Label : www.ponderosa.it