SambaSunda – Rahwana’s Cry
(Network Medien/Harmonia Mundi)
Du pays Sunda, région située dans l’Ouest de l’Île de Java, en Indonésie, on connaît principalement ses formes musicales traditionnelles représentées par le gamelan Degung, petit orchestre de chambre aux origines palatines composé de différents gongs bulbés et suspendus, de divers métallophones (bonang, saron…) et flûte suling, ou encore à travers le chant classique sundanais appelé « tembang sunda », dans lequel sont narrés avec une grâce mélancolique profondément touchante des poèmes traditionnels accompagnés par un petit ensemble instrumental constitué des cithares kacapi, rincik et siter et de la flûte suling.
Cet univers unique aux raffinements extrêmes ne doit pas faire oublier que l’environnement sonore de la région de Sunda, à l’heure de la mondialisation et du globalisme galopant, n’échappe pas plus que le nôtre à l’emprise de la pop music et des musiques dites actuelles, et bien sûr de la world fusion.
Comme ailleurs, la contagion du métissage a gagné l’île javanaise. Et tandis que certains groupes s’efforcent au clonage pathétique des poses pop-rock et hip-hop usuelles, d’autres s’efforcent, sans pour autant verser dans le traditionnel, de faire entendre leurs racines. C’est le cas de SambaSunda, un ensemble de 17 musiciens et chanteurs que le label Network nous avait déjà révélé via son coffret-compilation Island Blues et dont il signe ici le premier album de diffusion internationale.
Le groupe n’est pas le premier venu en Indonésie, puisque son origine remonte à 1995 et qu’il a déjà enregistré cinq albums et tourné dans différentes îles. Son fondateur, Ismet RUCHIMAT, a pleinement profité de l’inspiration de Gugum GUMBIRA, l’un des musiciens les plus influents de Bandung, la capitale sundanaise (et à qui l’on doit la création du style de danse de séduction « jaipongan » dans les années 1960).
Bien que l’on ne puisse raisonnablement pas appeler SambaSunda un groupe de musique traditionnelle, sa spécificité et son intérêt reposent cependant sur sa large palette instrumentale qui fait la part belle aux instruments acoustiques issus de différentes traditions de musiques de gamelan javanaises et balinaises et qui, dans ces traditions, n’étaient pas nécessairement joués ensemble.
Son style fusion est donc principalement indonésien, et c’est bien ce qui fait son originalité dans le contexte pop sundanais. Point de claviers ni de « beats » électro programmés chez SAMBASUNDA, rien que des métallophones (bonang, saron, péking), tambours, cithares et flûtes garantis maison, auxquels s’ajoutent – dans un souci de métissage vraiment « world » – un terompet (hautbois) de Sumatra, un violon tout ce qu’il y a d’occidental mais joué dans un style sundanais, plus un djembé africain et des timbales sud-américaines qui passent comme une lettre à la poste aux côtés des tambours sundanais (kendang), des percussions à lames-tubes sur cadre (angklung) et des plaques de métal (kecrek).
SambaSunda livre sur Rahwana’s Cry de subtiles compositions instrumentales inspirées par les rythmes, mélodies, danses et modes traditionnels des musiques des gamelans de Sunda et de l’île voisine Bali. L’influence des traditions balinaises se remarque aussi dans les chœurs masculins, marqués notamment par l’empreinte du fameux ketjak, ce chœur de percussions vocales qui reproduit les polyrythmies du gamelan.
De la pièce d’ouverture euphorisante Bubuka à des pièces plus feutrées comme Banon Dari ou Dadalati, l’hypnose infusée par le groove incessant de SambaSunda grise facilement l’auditeur, sans parler du morceau éponyme à l’album joué uniquement avec les instruments à cordes kacapi et violon, auxquels s’ajoute le suling, et qui installe un moment de béatitude que l’on croirait infini…
À ces morceaux instrumentaux font écho des chansons interprétées par l’autre arme secrète de SambaSunda, à savoir la chanteuse Rita TILA, qui sait restituer les climats doux-amers du tembang sunda dans Kahayang ou Kulu Kulu, ou illuminer des sucreries aux relents bollywoodiens comme Ronggeng Imut.
Richement arrangée, fondée sur des rythmiques foisonnantes et complexes et livrant des mélodies fondantes ou percutantes, la musique de SambaSunda devrait séduire tout amateur de musique indonésienne, mais aussi ceux qui auraient hésité jusqu’à présent à découvrir les expressions savantes et nobles des musiques de gamelan indonésiens. Dans une formule plus accessible et populaire, SambaSunda distille les échos de leur imparable magnétisme spirituel.
Stéphane Fougère
(Chronique originale publiée dans
ETHNOTEMPOS n°22 – mai 2006)