SONAME – Plateau
(World Village / Harmonia Mundi)
Avez-vous remarqué comme, dans le marché de la world, les voix tibétaines sont souvent divisées en deux catégories stylistiques : les voix masculines sont le plus souvent celles de moines bouddhistes qui pratiquent une musique religieuse et sacrée, alors que les voix féminines investissent un répertoire plus ancré dans le folklore populaire, mais toujours baigné de spiritualité bouddhiste. Du coup, les chanteuses tibétaines bénéficient d’une marge d’innovation et d’ouverture plus large et peuvent marier leur pratique vocale à des sons provenant d’autres cultures, tenter des expériences, ce que n’ont pas manqué de faire Yungchen LHAMO et Namgyal LHAMO, par exemple. C’est désormais au tour de SONAME – son nom complet est Soname YANGCHEN, qui veut dire « mélodie de la bonne fortune » – d’être révélée par un label occidental.
Comme d’autres, désireuse d’échapper à sa condition d’enfant-esclave et au régime oppressif que le gouvernement chinois a imposé au Tibet, elle s’est exilée à travers les rudes sommets de l’Himalaya pour vivre en Inde… puis au Royaume-Uni. Il aura fallu plusieurs années et d’heureuses rencontres ici et là pour que SONAME devienne chanteuse professionnelle et écrive ses propres compositions. Elle a enregistré un premier disque de six titres, Turquoise One, en 1998, un EP en 2003, puis un premier véritable album autoproduit, Unforgettable Land, en 2006, aujourd’hui épuisé. Mais elle doit aussi sa célébrité à son autobiographie, SONAME ou la bonne fortune, une enfance tibétaine, parue en traduction française en 2008 (éditions Intervalles).
Plateau, le second album de SONAME, se distingue par l’épaisseur (relative) de ses arrangements et une production assurée par Dave M. ALLEN, plus connu pour son travail avec des artistes de la new-wave anglaise, comme THE CURE, DEPECHE MODE et SISTERS OF MERCY. Si vous vous attendiez à de l’enregistrement de terrain à visée ethnologique, c’est loupé !
SONAME, de sa voix suave et fluide, chante les paysages de montagnes et de lacs de son pays devenu à elle inaccessible, elle évoque sa faune, ses saisons, ses déités, ses fragrances de sagesse bouddhiste, accompagnée par des percussions indiennes, une harpe celtique, une flûte, une clarinette, des cordes occidentales, des claviers, dosés de manière à tisser un tapis musical qui n’alourdisse ni ne couvre l’amplitude de son chant.
Bref, Plateau est un pur produit world, à prédominance toutefois acoustique, qui sculpte des espaces oniriques un rien exotiques où la sérénité est parfois traversée de soubresauts (le jeu des percussions à la fois ample et vigoureux sur certains titres). Il y a aussi une ballade folk-pop électrique plutôt hors-sujet, qui confond « plateau » avec platitude…
À part cela, l’ensemble est joliment fait, mais on s’interroge toutefois sur la pertinence de ce type de production qui ne laisse qu’une portion très congrue à l’instrumentation folk locale, réduite ici à un luth dranyen qui ne se fait entendre qu’une fois ou deux. Certes, le choix instrumental reflète le parcours de SONAME en tant qu’exilée qui s’est ouverte à d’autres influences (de l’Inde à la Grande-Bretagne), mais il investit plus dans l’esthétisme de façade que dans la mise en abîme vibratoire, que la seule voix de SONAME parvient heureusement à créer. (Écoutez ses fulgurances dans Vulnerable.)
Paru il y a dix ou quinze ans, cet album aurait été prisé pour son sens de l’innovation audacieuse ; aujourd’hui il ne fait que remiser des recettes déjà éprouvées, non sans talent bien sûr. Moins expérimental que les opus de Yungchen LHAMO, moins synthético-planant que ceux de la paire GYURMÉ-RYKIEL, Plateau infiltre une voie médiane, world-soft, qui évite presque par accident l’écueil souvent courant de la « new-agisation » de la culture tibétaine, même si on a quelquefois l’impression que les sommets himalayiens ont été débarrassés de leurs aspérités et de leurs rugosités pour devenir un espace édénique plutôt qu’un lieu de souffrance ou d’endurance. C’est au mieux optimiste…
Dans le livret, SONAME remercie les musiciens et artistes qui sont intervenus dans son disque, mais aussi les « professionnels de l’industrie». La politesse compassionnelle soulève-t-elle les plateaux ?
Stéphane Fougère
Site : https://www.deezer.com/fr/artist/1266246
Label : https://www.facebook.com/worldvillagefrance